Irina Zlobina espère pouvoir faire exposer son art expressionniste abstrait dans une galerie canadienne; sa partenaire Olga Kochetkova, quant à elle, aspire à trouver un emploi dans les services sociaux. C’est ainsi qu’elles gagnaient leur vie dans leur Russie natale.

Elles ont quitté Saint-Pétersbourg pour s’installer à Toronto en 2018, après qu’il est devenu évident que leur vie et leur emploi étaient menacés en raison de leur orientation sexuelle et de leurs efforts en tant qu’activistes LGBT+.

Le couple a été arrêté lors d’une manifestation à Saint-Pétersbourg contre des politiques qui auraient octroyé au gouvernement le pouvoir d’enlever des enfants à leur famille LGBT+. Elles ont contesté l’arrestation et ont par la suite prouvé son caractère illégal, mais, selon elles, leurs noms ont quand même été ajoutés à une liste noire.

Par exemple, Mme Kochetkova a tout d’un coup été remerciée de son poste à la tête d’un organisme de bienfaisance qui venait en aide aux mères monoparentales et à leurs enfants. Offres d’emploi et prêts bancaires lui étaient soudainement refusés, sans explication claire.


 

Photo : Irina Zlobina avec sa partenaire, Olga Kochetkova

Elles ont aussi commencé à recevoir des menaces de mort, ce qui les a poussées à laisser leur vie d’alors derrière elles et à s’établir au Canada pour de bon.

Mme Zlobina dit qu’elles sont « infiniment heureuses » d’être à Toronto et de pouvoir vivre de façon authentique, en toute sécurité et liberté.

« Les mots ne suffisent pas à décrire ce sentiment, insiste-t-elle. Nous savons que nous ne serons pas tuées, que nous sommes véritablement libres. »

Mesdames Zlobina et Kochetkova ne sont que deux parmi plus de 1 500 nouveaux arrivants et réfugiés LGBT+ qui reçoivent chaque année l’aide du centre The 519 – organisme de bienfaisance enregistré, centre communautaire et fournisseur de services de Toronto pour les communautés LGBT+ – pour s’établir au pays. Son programme New to Canada donne un coup de pouce à ces Néo-Canadiens de toutes sortes de manières : recherche de logement, services d’orientation et de mentorat professionnels, etc.

S’il est vrai que tous les nouveaux arrivants doivent faire face à des difficultés communes, les personnes LGBT+ peuvent avoir des obstacles de plus à surmonter. Certaines doivent gérer le processus de demande d’asile et peuvent être victimes de discrimination sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, selon Sebastian Commock, coordonnateur des activités juridiques et de sensibilisation et d’aide à l’établissement du centre The 519.

Par exemple, une personne de couleur trans qui vient au Canada à titre de réfugiée aura des besoins et des difficultés plus complexes qu’un autre. « On peut imaginer les multiples niveaux de difficulté que cette personne aura à surmonter, explique M. Commock. Cela nuira peut-être à sa capacité de trouver un logement, d’obtenir un emploi, et plus encore. Il est aussi possible qu’elle vienne d’un environnement où il était absolument tabou de discuter de son orientation sexuelle ou de son identité de genre; elle pourrait donc avoir une mentalité homophobe, biphobe ou transphobe, et avoir intériorisé de la honte pour cette raison. Et tous ces facteurs influencent sa façon d’interagir avec le système et de s’y adapter. »

L’organisme The 519 offre plusieurs services essentiels, comme des repas congelés disponibles pour la cueillette, et donne l’occasion aux réfugiés LGBT+ d’établir des liens avec d’autres personnes dans une situation semblable. Son objectif est de leur fournir tout ce qui pourrait faciliter leur nouveau départ, ajoute le coordonnateur.

« La plupart des gens viennent au centre parce qu’ils tentent d’échapper à quelque chose ou recherchent quelque chose, explique M. Commock. Nous n’avons pas nécessairement besoin de tous les détails, mais si nous pouvons leur fournir les ressources qui rendront leur chemin un peu plus facile, ce serait super. »

Le soutien pour les réfugiés LGBT+ à l’échelle mondiale a d’ailleurs récemment eu un coup de pouce. Le Tent Partnership for Refugees, un réseau de grandes sociétés partout dans le monde qui travaillent à l’intégration des réfugiés, a annoncé en décembre l’engagement de 23 organisations, dont la Banque Scotia, à offrir au cours des trois prochaines années du mentorat à environ 1 250 réfugiés LGBT+, dont environ 450 au Canada.

La Banque Scotia s’est associée à The 519 pour mener à bien ses activités de mentorat et a versé 500 000 $ en soutien à l’initiative.

« Nous sommes fiers d’appuyer The 519, l’un des centres communautaires et fournisseurs de services LBGT+ les plus importants au Canada, pour offrir du mentorat dans les collectivités partout au pays et aider les réfugiés LGBT+ à mener des carrières enrichissantes », souligne Meigan Terry, chef, Communications et Impact social à la Banque Scotia. « Par l’intermédiaire de ScotiaINSPIRE, l’initiative d’investissement de 500 millions de dollars sur 10 ans de la Banque visant à favoriser la résilience économique des groupes défavorisés, nous comptons fournir un financement indispensable à des programmes communautaires essentiels pour les personnes LGBT+ là où nous exerçons nos activités. »

Le centre The 519 travaille à jumeler des mentorés de partout au Canada avec des employés de la Banque Scotia qui pourront leur offrir une expérience de mentorat enrichissante.

« Le niveau de soutien extraordinaire que la Banque Scotia fournit pour développer les capacités des nouveaux arrivants et réfugiés LGBT+ partout au pays afin de les préparer au marché du travail aura une énorme influence à la fois sur les participants et sur les collectivités où ils vivent et travaillent », explique Stacy G. Kelly, directrice du volet philanthropie de The 519. Le programme de mentorat est en voie d’être lancé à l’échelle nationale, mais des employés du groupe de ressources Fierté Scotia et du Réseau d’employés noirs de la Banque Scotia ont déjà mis bénévolement leurs compétences à la disposition de The 519 pour venir en aide aux nouveaux arrivants.

David Zarifian, consultant principal, Acquisition des talents de la Banque Scotia, explique qu’il a commencé à offrir son aide dans le cadre de séances axées sur l’emploi au bureau de Toronto de The 519 avant la pandémie. Les séances portaient notamment sur la rédaction de CV, la promotion personnelle en ligne et les droits des employés au Canada. Depuis, le programme est plutôt offert en ligne.

L’animation de ces ateliers s’est avérée une expérience très émouvante pour lui, « en tant qu’homosexuel de couleur et enfant d’immigrants » qui ont fui l’Iran pour des raisons politiques.

« Ça aurait pu être moi, si ma famille vivait toujours là-bas, dans la République islamique, avec ces lois, ajoute M. Zarifian. Je suis heureux qu’elle soit ici, et je suis chanceux. Je crois qu’en tant que Canadiens, nous tenons beaucoup de choses pour acquis. Mais nous vivons dans l’un des meilleurs pays au monde. »

Juin est le Mois de la fierté, une célébration des communautés LGBT+, de l’inclusion et de la liberté d’expression. C’est aussi une façon de reconnaître la lutte difficile menée au fil des ans pour en arriver où nous en sommes aujourd’hui, et de ne pas oublier le chemin qu’il nous reste à parcourir.

Mme Zlobina et Mme Kochetkova admettent qu’elles ont encore des cauchemars qui les ramènent en Russie, et qu’elles sont reconnaissantes d’avoir pu s’installer au Canada. Recommencer à zéro n’a pas été chose facile, mais l’aide qu’elles ont reçue du centre The 519 pour s’établir dans leur nouveau chez-soi leur a grandement facilité la tâche.

Elles sont arrivées tard, une nuit de janvier 2018, et au matin, elles se trouvaient déjà à The 519. L’organisme sans but lucratif les a aidées à chaque étape depuis, notamment lorsqu’elles ont dû trouver un avocat pour la gestion du processus de demande d’asile et ouvrir des comptes bancaires.

Trois ans et demi plus tard, elles sont mieux établies au Canada et tournent maintenant leur regard vers l’avenir. Mme Kochetkova travaille actuellement pour une famille : elle s’occupe d’un enfant ayant des besoins particuliers. À ses yeux, il s’agit d’un emploi gratifiant, mais elle aspire à retourner un jour à une carrière dans les services sociaux.

Mme Zlobina, qui est titulaire d’une maîtrise en graphisme de l’université d’État des arts de l’impression de Moscou, a reçu la subvention de mentorat des nouveaux arrivants du Toronto Art Council en 2018. Ses œuvres sont exposées dans des collections permanentes du The State Russian Museum, du Tomsk Regional Art Museum et du Surikov Art Museum en Russie, mais elle espère les voir s’ajouter à des galeries de sa nouvelle terre d’accueil bientôt.

Mais leur rêve le plus important, c’est d’être réunies avec leurs enfants, leur fille et leur fils, tous deux dans la mi-vingtaine, au Canada. Elles croient bien qu’ils seront en mesure d’émigrer de la Russie.

« Nous espérons vraiment que nos enfants pourront nous rejoindre bientôt », dit Mme Kochetkova.