- Depuis mars 2021, l’inflation selon l’IPC au Canada s’est vivement accélérée, en lançant une polémique sur les sources et la durée de la hausse. La durée du surcroît actuel de l’inflation sera très importante pour la Banque du Canada dans les prochains trimestres à l’heure où elle se penchera sur son discours monétaire.
- Pour éclairer le débat sur la durée temporaire ou permanente de l’inflation au Canada, nous décomposons en trois éléments l’inflation récente et l’inflation prévue : l’inflation fondamentale déterminée dans le contexte d’une courbe de Phillips, dans laquelle elle est très chronique; un effet de base captant la léthargie de l’inflation il y a un an, qui a un caractère temporaire; et l’inflation liée aux dislocations de la chaîne logistique en raison de la COVID-19.
- Notre analyse montre que l’inflation fondamentale suit un parcours haussier graduel et chronique dans la période comprise entre 2021 et 2023. L’inflation fondamentale atteindra la cible inflationniste à la fin de 2021 et s’établira aux alentours de 2,5 % en 2022-2023 en raison de l’émergence de la demande excédentaire.
- Les effets de base temporaires, qui rendent compte de l’inflation anormalement faible il y a un an, expliquent 71 % de la récente accélération de l’inflation totale et 54 % de l’évolution de l’inflation de base. L’incidence de l’effet de base devrait essentiellement se dissiper graduellement d’ici le début de 2022.
- On suppose que la pression inflationniste résiduelle est liée aux dislocations de la chaîne logistique en raison de la COVID-19. D’après nos résultats, ce facteur explique une hausse de l’inflation de 0,25 point de pourcentage, ce qui représente respectivement 13 % et 23 % de l’accélération récente de l’inflation totale et de l’inflation de base. La chronicité de cet effet est très incertaine.
Pour calculer les contributions de différents facteurs, nous faisons appel à notre cadre de prévision de l’inflation et calculons distinctement l’incidence des effets de base. Nous attribuons aux contraintes de la chaîne logistique et à d’autres facteurs ce que notre cadre de prévision de l’inflation et les effets de base ne permettent pas d’expliquer.
1. NOTRE CADRE DE PRÉVISION DE L’INFLATION
Nous faisons appel à une courbe de Phillips augmentée pour prévoir l’inflation de base (soit l’IPC hors alimentation, énergie et impôts, ou IPC-HAEI). Cette courbe de Phillips augmentée tient compte :
- des attentes inflationnistes prospectives;
- du décalage de l’inflation (soit les rigidités nominales);
- des variables de la traction de la demande comme le déficit de production;
- les variables de la poussée des coûts comme le coût unitaire de la main-d’œuvre;
- les prix relatifs (par exemple le cours réel du pétrole).
Nous établissons la prévision de l’IPC total d’après une équation fondée sur la prévision de l’inflation de base et du cours réel du pétrole. Le lecteur trouvera plus de détails sur notre cadre de prévision de l’inflation dans le Rapport sur l’inflation du 24 juin : L’inflation fondamentale à la Banque du Canada : doit-on revenir à l’essentiel?. Ce rapport sur l’inflation confirmait que notre cadre de la courbe de Phillips augmentée réussit très bien à expliquer et à prévoir l’inflation, surtout depuis 2017.
Les graphiques 1 et 2 décomposent la prévision de l’inflation de base (IPC-HAEI) et l’IPC total en trois éléments : le niveau fondamental avant rajustement pour tenir compte des effets de base (les barres bleues), les effets de base (les barres rouges) et un résiduel que nous associons aux contraintes ou aux blocages de l’offre en raison de la COVID-19 (les barres grises). Les graphiques 3 et 4 font état du parcours prévu de l’inflation (la ligne grise), de l’inflation liée aux fondamentaux économiques rajustés pour tenir compte des effets de base (la ligne rouge) et de l’inflation liée aux fondamentaux économiques. Dans les trois sections suivantes, nous analysons les trois éléments de la prévision de l’inflation.
2. ÉLÉMENT NO 1 : LE PARCOURS FONDAMENTAL CHRONIQUE DE L’INFLATION
Le niveau fondamental avant les rajustements pour tenir compte des effets de base correspond au parcours de l’inflation qui primerait sans porter de jugement sur la courbe de Phillips liée à l’effet de base ou aux bouleversements de la chaîne logistique. Il s’agit donc de la prévision franche de la courbe de Phillips augmentée. Il est intéressant de signaler que même avant de tenir compte de l’effet de base ou des contraintes de la chaîne logistique, la courbe de Phillips laisse entendre que l’IPC de base et l’IPC total connaîtront, dans la période comprise entre 2021 et 2023, un parcours de hausse graduelle et chronique. Cette trajectoire s’expliquer par :
- l’élimination fulgurante de l’offre excédentaire actuelle de l’économie et l’émergence d’une demande excédentaire chronique à partir du T1 de 2022;
- la hausse récente et prévue du cours du pétrole.
Par conséquent, lorsque les effets de base temporaires et les effets de la chaîne logistique s’amoindrissent, l’inflation de base et l’inflation totale convergent chroniquement sur 2,5 % en 2022-2023. Ce niveau est supérieur à la cible inflationniste de la BdC en raison de la demande excédentaire, qui devrait, à notre avis, primer dans cette période. La convergence sur la cible inflationniste de 2 % se déroule au-delà de 2023, lorsque l’économie revient graduellement au potentiel.
3. ÉLÉMENT NO 2 : L’EFFET DE BASE TEMPORAIRE ET LE PARCOURS FONDAMENTAL DE L’INFLATION RAJUSTÉE POUR TENIR COMPTE DE L’EFFET DE BASE
Au T2 de 2021, l’inflation de synthèse de l’IPC sur un an dépassait considérablement la cible inflationniste de la Banque du Canada, en s’accélérant pour passer de 1,4 % au T1 de 2021 à 3,3 % au T2 de 2021. Cette accélération dans le premier semestre de 2021 peut s’expliquer par un certain nombre de facteurs, soit essentiellement le taux très faible de l’inflation constaté il y a un an au beau milieu de la pandémie (ce que l’on appelle l’« effet de base »1).
On peut démontrer la mécanique des calculs de l’effet de base en examinant la dynamique de l’inflation de synthèse sur un an en février et en mars cette année.
- En mars, l’IPC de synthèse était supérieur de 2,2 % à celui du même mois en 2020, ce qui représente un rythme inflationniste nettement plus fulgurant par rapport à l’inflation de 1,1 % constatée en février.
- Puisqu’en mars 2020, le niveau global des prix a accusé sur un mois, en données non désaisonnalisées, une baisse de l’ordre de 0,6 %, ce qui représente un point de pourcentage entier en deçà du taux prépandémique moyen de l’évolution de l’inflation mensuelle relevée en mars depuis 1995, le niveau de prix de mars 2020 était inférieur d’environ 1 % au niveau normal.
- Ainsi, en mars 2021, l’inflation sur un an a gagné 1,1 point de pourcentage, surtout en raison de l’effet de base.
On peut s’inspirer du calcul ci-dessus pour chiffrer la contribution de l’effet de base à l’évolution de l’inflation de synthèse et de l’inflation de base sur un an chaque mois à partir de mars cette année. Après avoir établi la moyenne du trimestre, on constate que les effets de base apportent +1,4 point de pourcentage à l’évolution de l’inflation totale de l’IPC sur un an et +0,6 point de pourcentage à l’IPC de base au T2 de 2021 (cf. le graphique 5). Au-delà du T2 de 2021, les effets de base devraient permettre de réduire l’inflation de synthèse sur un an, puisque les fortes hausses de prix de l’été 2020 musclent la base de comparaison. Au-delà du T3 de 2021, les effets de base devraient ralentir l’inflation sur un an.
4. ÉLÉMENT NO 3 : LE RÉSIDUEL TEMPORAIRE ET INCERTAIN LIÉ À LA COVID
Or, les effets de base ne viennent pas tout expliquer, puisque les statistiques récentes de l’inflation sont supérieures au niveau qui cadre avec les fondamentaux rajustés de l’effet de base. Ce « résiduel » positif, de l’ordre de 0,25 point de pourcentage (cf. le graphique 6), est probablement lié à un facteur qui n’est pas compris dans le cadre de la courbe de Phillips augmentée. Au cœur de la COVID-19, on relève des preuves statistiques substantielles de blocages de la production et du transport en raison de la pandémie. Cette pression inflationniste supplémentaire transparaît probablement dans l’élément résiduel de 0,25 point de pourcentage de l’inflation. Nous supposons que ce résiduel lié à la pandémie se propagera éventuellement, conformément à la chronicité type des chocs inflationnistes, qui est fonction des rigidités et des circuits d’attentes compris dans la courbe de Phillips augmentée. D’après la courbe de Phillips, ce résiduel lié à la pandémie commencera graduellement à s’amoindrir rapidement au deuxième semestre de 2021 et disparaîtra en 2022. Il y a un risque que ce résiduel perdure encore si la pandémie s’aggrave et que les gouvernements réagissent en imposant de nouvelles restrictions. Ceci dit, l’effet sur l’inflation devrait être masqué par l’effet négatif des fermetures sur l’ensemble de la demande par le truchement du circuit du déficit de production de la courbe de Phillips augmentée.
5. CONCLUSION ET INCIDENCES POUR LA POLITIQUE MONÉTAIRE CANADIENNE
Une forte part de la hausse récente de l’inflation au Canada s’explique par des facteurs temporaires comme l’effet de base et les blocages liés à la COVID dans les procédés de production de nombreux secteurs d’activité. Sous cette forte hausse de l’inflation, le parcours prévu des fondamentaux économiques devrait porter l’inflation à la hausse. Si les facteurs temporaires qui se répercutent sur l’inflation s’amoindrissent comme nous le prévoyons, l’inflation s’établira légèrement au-dessus de la cible inflationniste en raison de la forte reprise économique en cours et escomptée. Cette dynamique sous-tend notre avis : la Banque du Canada commencera à hausser les taux d’intérêt au deuxième semestre de 2022. Si, par contre, l’incidence des contraintes de la chaîne logistique perdure, l’inflation sera nettement plus importante et obligera probablement à durcir nettement plus sa politique monétaire.
1 Veuillez cliquer sur ce lien pour prendre connaissance d’un exposé complémentaire sur le calcul des effets de base.
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