- Le Canada met actuellement en œuvre l’Accord de Bâle IV en accélérant la cadence par rapport aux principaux concurrents. Le Bureau du surintendant des institutions financières obligera les banques canadiennes à mettre en œuvre ces réformes d’ici le milieu de 2026. Il semble que les États‑Unis soient en train de reconsidérer la mise en œuvre de certaines réformes de l’Accord de Bâle, alors que le Royaume‑Uni et l’Europe mèneront intégralement ces réformes d’ici 2030 et 2032 respectivement.
- La mise en œuvre de ces réformes pourrait obliger les banques à se délester de 270 milliards de dollars en actifs pondérés des risques (APR) afin de respecter, d’ici le milieu de 2026, le niveau d’étiage des fonds propres. Les banques réduiraient ainsi le crédit consenti aux entreprises et aux ménages, dont le crédit hypothécaire, d’environ 9 % du PIB nominal actuel à une époque où les besoins en financement sont élevés.
- Cette obligation imposée par l’État de se délester d’actifs (ou de mobiliser des capitaux) est contraire aux efforts consacrés à réunir des investissements et à améliorer l’accès au marché du logement pour les Canadiens et les Canadiennes. Il semble que ce soit un autre cas d’incohérence des politiques dans le paysage décisionnel canadien.
Le système financier du Canada est constamment classé parmi les plus résilients dans le monde, essentiellement grâce à l’approche adoptée par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) dans l’encadrement de notre système financier. À l’instar de la Banque du Canada, le BSIF exerce un degré élevé d’influence sur le système financier de notre pays en supervisant et en encadrant les institutions financières et les régimes de retraite réglementés par le gouvernement fédéral. Même s’il n’a pas le rayonnement de la Banque du Canada ni son processus de fixation des taux, le BSIF a un impact énorme sur le crédit consenti par les banques et sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire.
Prenons l’exemple de la mise en œuvre de l’Accord de Bâle IV. Les accords de Bâle constituent un ensemble de conventions internationales destinées à fortifier le système bancaire mondial. Ils ont été négociés et mis en œuvre par vagues et imposent aux banques des obligations par l’entremise d’organismes de réglementation et de supervision nationaux comme le BSIF au Canada. Les précédentes vagues (Bâle I, II et III) faisaient état des exigences imposées aux banques dans la gestion des liquidités, des capitaux et des risques. On est en train de mettre en œuvre l’Accord de Bâle IV. Cet accord mise sur les précédentes déclinaisons des accords de Bâle sous différents aspects; or, dans cette note, nous nous inquiétons d’un aspect en particulier : le niveau d’étiage des fonds propres.
Le niveau d’étiage des fonds propres détermine les modalités selon lesquelles les banques calculent les actifs pondérés des risques (APR), ce qui les oblige à remplacer une approche interne modélisée, qui est arrimée aux pertes techniques de l’institution financière pour le calcul des APR par une approche normalisée, généralement indifférente, du point de vue des risques, aux résultats techniques des banques, pour calculer ces actifs. Ces APR servent à déterminer le ratio du capital de la banque (soit le ratio du capital réglementaire par rapport aux APR). Pour les institutions prêteuses prudentes comme les banques canadiennes, ce changement aura pour effet de rehausser considérablement les APR, ce qui donnera lieu à des besoins en capitaux plus considérables. Le ratio du capital minimum lui-même, qui fait l’objet d’une obligation imposée par le BSIF, est parfois rajusté en fonction de la conjoncture économique.
Même si on peut croire qu’il s’agit de changements techniques, ces nouvelles obligations auront de profonds retentissements sur le comportement des banques. Le tableau 1 fait état des APR actuels des banques canadiennes et compare aux APR de l’approche normalisée. À l’heure actuelle, les banques canadiennes font largement appel à des modèles internes pour calculer les APR. Cette approche donne des APR nettement moindres que ceux de l’approche normalisée, en raison des pratiques de gestion des risques historiquement rigoureuses de ces banques. En partie à cause de l’énorme différence entre les APR déterminés en interne et ceux qui découlent de l’approche normalisée, l’Accord de Bâle IV fait état du délai dans lequel les banques doivent mettre en œuvre l’approche normalisée. Le BSIF a décidé qu’au Canada, cet accord serait mis en œuvre intégralement d’ici le milieu de 2026. Les APR des banques canadiennes devront alors se situer à au moins 72,5 % de ceux qui sont calculés d’après l’approche normalisée. C’est ce qu’on appelle le niveau d’étiage des fonds propres. À l’heure actuelle, ce niveau d’étiage s’établit à 65 %.
La transition qui nous mènera du pourcentage actuel de 65 % au pourcentage final de 72,5 % aura un impact sur les ratios du capital, à moins qu’on fasse le nécessaire. C’est bien entendu voulu, puisque ces règlements d’application visent à mieux fortifier la gestion des capitaux dans les banques. Pour veiller à ce que les ratios du capital se maintiennent aux niveaux obligatoires minimums, les banques peuvent soit mobiliser des capitaux en émettant des actions, soit réinvestir leurs résultats bénéficiaires (en abaissant par exemple les dividendes), soit réduire les APR. Les récentes modifications apportées à la politique fiscale ont eu pour effet de réduire les résultats bénéficiaires des banques, qui peuvent plus difficilement mobiliser des capitaux en réinvestissant leurs bénéfices. Les banques peuvent toujours réunir des capitaux en émettant des titres participatifs; or, cette option n’est pas attrayante en raison des valorisations. C’est pourquoi les banques décideront probablement de se délester d’APR afin de répondre à leurs besoins en capitaux.
Le tableau 2 fait état de l’impact produit sur les actifs des banques lorsque le niveau d’étiage de 72,5 % entrera en vigueur, en 2026. Cet impact est calculé d’après l’information financière la plus récente publiée pour les six grandes banques au Canada. Dans la dernière colonne du tableau, on calcule l’évolution des APR nécessaires pour atteindre le niveau d’étiage des fonds propres de 72,5 % en supposant que l’on maintient les ratios actuels du capital et que les banques ne font rien pour mobiliser des capitaux. Cet exemple, sans doute extrême, permet d’illustrer la difficulté de faire appel aux bilans actuels des six grandes banques.
Dans l’ensemble, les banques devraient se délester d’environ 270 milliards de dollars d’actifs d’ici 2026 si les ratios du capital restent inchangés et qu’elles ne mobilisent pas de capitaux. Ce chiffre représente environ 9 % du PIB nominal actuel et constituerait un important recul dans le crédit par rapport à la situation actuelle. Les actifs pondérés des risques sont majoritairement consacrés au crédit consenti aux entreprises et aux particuliers. C’est pourquoi le délestage des actifs serait probablement concentré dans ces secteurs; ainsi, les banques prêteraient moins que ce qu’elles feraient normalement aux grandes sociétés et aux particuliers pour atteindre ces objectifs. En outre, puisque le crédit consenti aux particuliers comporte un important volet de prêts hypothécaires résidentiels, les banques réduiraient probablement le financement hypothécaire en fonction des changements apportés à la réglementation. Il va de soi qu’il se peut que les banques décident de mobiliser des capitaux au lieu de se délester d’actifs; or, même en supposant qu’elles fassent appel en parts égales au délestage des actifs et à la mobilisation des capitaux, les banques se délesteraient quand même d’actifs de l’ordre de 4,5 % du PIB.
Les incidences potentielles de ces changements soulèvent un certain nombre d’inquiétudes du point de vue des politiques. Bien qu’il soit évident qu’un système bancaire mieux capitalisé soit plus sûr, la sécurisation d’un système déjà sûr donne lieu à un coût économique. C’est aux décideurs qu’il appartient de déterminer si ce coût en vaut la peine; toutefois, il ne fait aucun doute qu’en allant de l’avant, on réduirait le crédit intermédié par les banques et offert aux Canadiens par rapport à la situation actuelle.
Il faut tenir compte de ces impacts dans le contexte de deux grands défis du point de vue des politiques au Canada : notre piètre productivité et la détérioration de l’abordabilité du logement, déclenchée par notre incapacité chronique à créer suffisamment de logements pour répondre aux besoins de la population. L’État fédéral et les gouvernements provinciaux ont lancé dans les derniers mois un certain nombre d’initiatives destinées à améliorer notre productivité et à combler les déficits dans le logement. Sous maints aspects, ces efforts visent à réduire le coût du financement des investissements en espérant qu’on pourra ainsi muscler le stock de capitaux résidentiels et non résidentiels compte tenu du rôle central et bien documenté que joue l’investissement inférieur à ce qui est nécessaire dans chacun des enjeux.
Les gouvernements feront valoir qu’ils mènent un effort déterminé et concerté pour relever ces défis. Cette affirmation pourrait bien se vérifier dans les différentes instances de l’État, ce qui est toutefois moins évident dans l’appareil fédéral. Nous avons déjà fait état du conflit entre les politiques monétaires et les politiques budgétaires, ainsi que de l’impact, sur les taux d’intérêt, des politiques budgétaires mal calibrées. Il semble qu’un autre échec de coordination se dessine à l’horizon, cette fois entre la mise en œuvre des règlements de l’Accord de Bâle IV et les objectifs fédéraux dans le logement et la productivité. La mise en œuvre du niveau d’étiage des fonds propres pourrait obliger les banques à limiter le crédit aux secteurs mêmes de l’économie que les gouvernements tâchent d’aider dans la mobilisation du financement. En outre, une réduction potentielle du financement hypothécaire à une époque marquée par la hausse spectaculaire des besoins de la population risque de rendre le logement encore moins accessible pour certains Canadiens et Canadiennes malgré les efforts contraires des gouvernements.
Le délai associé à la mise en œuvre du niveau d’étiage est une autre considération. Comme nous l’avons fait observer ci‑dessus, le Canada mettra intégralement en œuvre ce niveau d’étiage au milieu de 2026. À l’heure actuelle, on ne sait pas vraiment si les États‑Unis enchaîneront avec la mise en œuvre de certaines réformes de l’Accord de Bâle. Au Royaume‑Uni, le niveau d’étiage sera intégralement mis en œuvre en 2030. En Europe, des aménagements transitionnels seront en place jusqu’en 2032. Il est évident que le Canada décide de mettre en œuvre ces réformes à un rythme accéléré par rapport à nos principaux concurrents. Même si le système bancaire est plus résilient au Canada que dans ces pays, la mise en œuvre de ces réformes défavorisera le Canada par rapport à la concurrence à une époque où l’accès au financement est absolument essentiel pour répondre aux besoins des Canadiens et pour transformer notre économie.
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