- Les trois indicateurs de l’inflation fondamentale se sont tous accélérés.
- L’ampleur est toujours aussi forte.
- Elle reste nettement supérieure à la cible de 2 % de la BdC.
- Les marchés ont haussé dans les cours leur anticipation des hausses de la BdC.
- Voici pourquoi la BdC ne devrait pas parier sur les effets de décalage…
- … et devrait continuer de hausser les taux…
- … en partie parce que les coûts unitaires de la main‑d’œuvre nous rappellent les années de John Crow.
- IPC canadien sur un mois en %// sur un an en %, en chiffres non désaisonnalisés, juillet 2023 :
- Données réelles : 0,6/3,3
- Scotia : 0,3/3,0
- Consensus : 0,3/3,0
- Auparavant : 0,1/2,8
- Inflation fondamentale au Canada, sur un mois en données désaisonnalisées et en rythme annualisé, en %//sur un an en %, juillet 2023 :
- Moyenne tronquée : 4,2/3,6
- Médiane pondérée : 4,2/3,7
- IPC hors alimentation et énergie : 4,2/3,4
Au Canada, l’inflation a nettement dépassé les estimations de juillet. De concert avec la vigueur des données sur les salaires et la productivité moribonde qui viennent ajouter des facteurs de deuxième tour dans le risque inflationniste, en plus des autres raisons de s’attendre à ce que le risque inflationniste reste orienté à la hausse, le résultat est tel que la BdC doit continuer, à mon avis, de hausser son taux directeur. Inscrire les taux élevés actuels dans la durée ne suffira pas dans cette course contre la montre au travers des exercices d’établissement des salaires puisque l’on s’attend à ce que l’inflation reste supérieure à la cible de la BdC. Je continue de penser que hormis le jeu politique et les pressions, elle doit mater le risque inflationniste et rester fidèle à sa mission principale. Sinon, elle risque fort de perdre le combat.
LA RÉACTION DES MARCHÉS ET LA BdC
Les rendements souverains à 2 ans du Canada ont gagné à peu près 4 points de base dans la foulée de la publication des données, et la vigueur des chiffres sur les ventes au détail aux États‑Unis a renforcé la réaction à l’IPC. Cette réaction initiale a été tempérée par les rendements à 2 ans, toujours en hausse de 4 points de base cumulatifs dans la journée et de 7 points de base par rapport aux rendements à 2 ans des bons du Trésor américain. Le dollar canadien s’est d’abord valorisé d’environ un quart de cent par rapport au dollar US; or, il est aujourd’hui revenu à son point de départ et reste ferme par rapport au billet vert. Les marchés ont tablé sur la probabilité d’une autre hausse de la BdC à sa réunion du 6 septembre sans en faire un scénario de base; toutefois, la volatilité des contrats penche fortement en faveur d’une autre hausse d’un quart de point dans les prochaines réunions. Je préférerais que la première hausse intervienne en septembre. Les risques statistiques supplémentaires portant par exemple sur le PIB le 1er septembre et les autres faits de l’évolution de la conjoncture mondiale pourraient éclairer encore mieux le risque monétaire.
DÉTAILS
Les trois indicateurs de l’inflation fondamentale se sont accélérés en juillet. Les données de synthèse, trompeuses, télégraphient un léger fléchissement des indicateurs de l’inflation fondamentale sur un an et ne font pas état des statistiques probantes sur l’inflation à la marge, d’autant plus que depuis un certain temps, la BdC préfère s’en remettre aux indicateurs tendanciels de plus grande fréquence sur lesquels j’ai insisté durant la pandémie.
Chacun des indicateurs de l’IPC de base traditionnel (hors aliments et énergie), soit l’IPC en moyenne tronquée et l’IPC en moyenne pondérée, a gagné 4,2 % sur un mois en rythme désaisonnalisé et annualisé en juillet (graphique 1). Il s’agit d’une hausse par rapport à la moyenne du mois précédent; les pressions de l’inflation fondamentale se sont donc accélérées. La BdC a fixé à 2 % la cible de l’inflation de synthèse à moyen terme; elle se sert toutefois des indicateurs de base pour guider opérationnellement les efforts consacrés pour atteindre la cible de synthèse, qui peut être distorsionnée par une minorité de facteurs.
La moyenne mobile sur 3 mois pour la moyenne tronquée et la médiane pondérée, reprend les révisions apportées à ces deux indicateurs; elle est de l’ordre de 3,5 % sur un mois en rythme désaisonnalisé et annualisé, ce qui est révélateur de la grande ténacité des pressions inflationnistes sous‑jacentes.
L’ampleur des hausses de prix est toujours aussi forte. Le graphique 2 représente la fraction du panier qui comptabilise les gains en chiffres désaisonnalisés sur un mois et annualisés de plus de 3 % (54 %) et de plus de 4 % (40 %). Les pressions sur les prix ont moins d’ampleur qu’avant; elles sont toutefois toujours aussi insoutenablement élevées.
La BdC surveille attentivement l’inflation des services, qui domine le panier de l’IPC et qui s’est fortement accélérée le mois dernier (graphique 3). L’inflation des biens de base s’est décélérée et reste volatile (graphique 4).
Le bond de l’inflation des services dans le mois dernier a eu beaucoup d’ampleur. Le logement a crû de 0,7 % sur un mois en données désaisonnalisées et non annualisées : les gains ont été menés par les loyers, les primes d’assurance et l’électricité (graphiques 5, 6 et 7). Hélas, personne ne remportera le Prix Nobel de l’économie pour faire observer que lorsqu’on tient compte de la hausse massive de l’immigration dans un marché où il n’y a pas d’offres, les loyers et les prix des logements sont portés à la hausse. C’est l’économ-évidence! L’argument selon lequel l’immigration pourrait donner lieu à des effets équilibrés sur les pressions inflationnistes dans la colonne de la demande et dans celle de l’offre pour qu’elles s’annulent n’a jamais été logique, si bien qu’on se retrouve aujourd’hui avec l’inflation coriace du logement contre laquelle je lance des mises en garde depuis l’an dernier, à l’époque où les chiffres de l’immigration flambaient.
Toutefois, il n’y a pas eu que le logement, puisque d’autres catégories de services ont elles aussi bondi. Les prix des billets d’avion se sont envolés (graphique 8). Il en va de même de la catégorie des loisirs, de la formation et de la lecture, menée par une forte hausse des prix pour les voyages tout compris (graphique 9). Les prix du transport en autobus et en métro ont augmenté de 4,2 % sur un mois. L’immigration pourrait accroître les contraintes de l’économie intérieure et augmenter le pouvoir de tarification dans ces secteurs. Les soins de santé ont augmenté de 0,3 %, et l’assurance automobile a progressé de 0,5 %. Il y a plus d’automobilistes et plus de clients dans le réseau de la santé.
L’inflation des prix des aliments, toujours aussi tenace, évolue tendanciellement à la baisse du point de vue des aliments achetés dans les supermarchés et dans les restaurants (graphique 10).
Dans l’ensemble, l’inflation des prix du transport s’est accélérée (graphique 11). Les prix de l’essence ont constitué un facteur non pertinent (graphique 12). Les prix des véhicules ont augmenté sur fond de ténacité considérable du pouvoir de tarification (graphique 13).
QUE DIRE DES DÉCALAGES?
Je continue de penser qu’il est faux d’affirmer que la BdC devrait attendre les effets de décalage incertains des remaniements de la politique monétaire sur l’inflation et sur l’ensemble de l’économie. Il y a trois raisons à cela.
1. Les effets des décalages dans la transmission de la politique monétaire doivent être évalués à partir du moment où les marchés ont commencé à tabler sur les hausses de taux à l’automne 2021 et où l’assouplissement quantitatif a déjà commencé à se dénouer, et non lorsque le taux directeur a commencé à augmenter en mars 2022. Après presque deux ans de durcissement des coûts de financement des marchés, on devrait aujourd’hui en relever plus d’éléments probants des dommages. Puisqu’il n’en est rien, c’est que la politique monétaire n’a pas été aussi durcie qu’on l’a parfois fait valoir.
2. Deuxièmement, le cycle des hausses de taux est soumis à des effets atténuants qui se compensent et qui indiquent qu’il faut encore durcir la politique monétaire. La balance commerciale, la relance budgétaire continue, la politique d’immigration mal exécutée, l’amélioration des chaînes logistiques dans un cycle de durcissement, la solidité des finances des entreprises, dont la couverture des intérêts élevés, et les points forts des finances domestiques pour la majorité des ménages au Canada ne sont que quelques‑uns de ces arguments.
3. La BdC est engagée dans une course contre la montre. Elle ne peut pas se permettre d’attendre que de savoir si les effets des décalages dans la transmission de la politique monétaire auront fait le travail à sa place ou non. On peut constater cette urgence dans la ruée menée pour sécuriser des gains de salaires élevés pendant des années pour le tiers de l’économie qui est syndiqué et qui se consacre à la négociation des conventions collectives. C’est ce qui se produit dans différents marchés; or, on peut affirmer que la situation est pire au Canada. Je n’en veux à personne de tâcher de hausser les salaires compte tenu de toutes les pressions qui s’exercent sur les finances des ménages. Or, je suis aussi parfaitement conscient du risque considérable des pressions de deuxième cycle qui pourraient s’exercer sur l’inflation en raison de la hausse des gains de salaires par rapport à la faible productivité des travailleurs, définie comme la tendance de l’ère pandémique dans la production par heure de travail. Cette combinaison fait monter en flèche les coûts unitaires de la main‑d’œuvre, et quelqu’un devra en faire les frais, y compris les consommateurs. Si la BdC n’affronte pas cette conjoncture en intervenant beaucoup plus vigoureusement, elle risque de perdre la maîtrise dans les exercices d’établissement des salaires et des attentes et de ne jamais réussir à ramener durablement l’inflation sur sa cible.
Il y a aujourd’hui ceux qui affirment que les salaires ne feront pas nécessairement flamber l’inflation, en invoquant des motifs statistiques contrastés. Or, cet ensemble de données rétrospectives est dominé par bien des années de léthargie dans les gains de salaires et par certaines difficultés socioéconomiques liées. Les expériences d’aujourd’hui sortent de l’échantillon pour trois raisons. D’abord, le rythme des gains de salaires s’accélère et il faut s’attendre à d’autres gains lorsque les accords récents produiront leurs effets et que d’autres secteurs seront aux prises avec des risques de grève élevés (par exemple dans la construction automobile et parmi les enseignants en Ontario). Veuillez consulter les graphiques 14 et 15.
Deuxièmement, selon les travaux de recherche du FMI qu’on a déjà évoqués, ce sont les pays qui accusent les taux de syndicalisation les plus élevés et dont la conjoncture dépasse le plein‑emploi qui affrontent le plus grand risque des effets de débordement sur les salaires des conventions collectives dans d’autres secteurs du marché du travail; le Canada coche les cases de ces deux critères.
Troisièmement, les gains de salaires dépassent l’inflation et surclassent la croissance moribonde de la productivité en creusant les marges (graphiques 16 et 17). Le rebond des coûts unitaires de la main‑d’œuvre (coûts de l’emploi corrigés de la productivité) sort nettement de l’échantillon. La dernière fois que les coûts unitaires de la main‑d’œuvre échappaient autant à notre contrôle remonte à la fin des années 1980. John Crow avait dû nettoyer le fouillis, et nous en connaissons le dénouement.
Si la BdC attend de constater les effets décalés, elle court le risque énorme de perdre le combat si les salaires et les attentes échappent à sa maîtrise.
Les graphiques 18 à 21 font la répartition des variations de prix par constituante du panier de l’IPC en chiffres bruts et après pondération de leur apport relatif à l’ensemble de l’inflation, sur un mois et sur un an.
Le graphique 22 fait la répartition des éléments compris et exclus dans le panier de l’IPC selon la moyenne tronquée.
Nous invitons aussi le lecteur à consulter le tableau de l’appendice pour plus de détails, dont les micrographiques et les indicateurs de la note z de l’inflation par rapport aux données rétrospectives.
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