- L’économie canadienne reste résiliente.
- La solide croissance du T2 vient accélérer l’élan du T3.
- Alors pourquoi la BdC est-elle si conciliante?
- PIB canadien, évolution en % sur un mois, en données désaisonnalisées, mai :
- Données réelles : 0,16
- Scotia : 0,1
- Consensus : 0,1
- Auparavant : 0,3
- Pronostic « éclair » de juin : 0,1
- Traquage du PIB du T2, évolution en % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé : 2,2 %
- « Acquis » du PIB du T3 : 0,5 %
Certains créneaux du consensus canadien réclament à hauts cris un allégement spectaculaire de la politique monétaire de la Banque du Canada, ce qui ne rend pas justice au fidèle portrait de la vigueur de l’économie canadienne. C’est comme si l’économie était en récession. On risque ainsi d’amener Tiff Macklem, le déjà hyperconciliant gouverneur de la Banque du Canada, à commettre une erreur de politique monétaire en abaissant les taux d’intérêt considérablement, trop tôt et trop cavalièrement. Dans les deux ou trois dernières années, je m’en suis remis constamment à l’aspect positif de l’économie, en lançant une mise en garde : un abaissement prématuré et trop ambitieux des taux pourrait raviver les risques d’inflation. Les données continuent d’étayer ce parti pris.
Commençons par le PIB. L’économie reste résiliente (graphique 1). Le PIB s’est un brin accéléré en mai (de 0,16 % sur un mois, en données désaisonnalisées non annualisées) par rapport à ce que Statistique Canada avait pronostiqué initialement (0,1 %). En outre, alors que j’aurais cru qu’il aurait pu y avoir en juin un risque de baisse en raison des chiffres limités comme les heures de travail, le PIB a plutôt crû de 0,1 %. Il n’y a pas eu de révisions importantes de la croissance avant mai.
Le seul pronostic que nous avons pour le PIB de juin veut que « [l]es hausses observées dans la construction, dans les services immobiliers et les services de location et de location à bail et dans la finance et les assurances ont été contrebalancées en partie par les baisses enregistrées dans la fabrication et dans le commerce de gros ». On n’a jamais publié de chiffres avec l’estimation éclair de juin. Or, le fait que Statistique Canada ait commencé à le faire durant la pandémie est une bonne nouvelle du point de vue de l’actualisation des données.
Ces chiffres nous donnent pour le T2 un taux de croissance de 2,2 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé d’après les comptes mensuels du PIB dans la colonne des revenus (graphique 2). Les comptes trimestriels du PIB en fonction des dépenses pourraient déroger un peu à cette estimation si on tient pleinement compte des effets des stocks et de la balance commerciale nette, ainsi que des révisions potentielles. Or, le traquage aux alentours de +/-2 % de croissance au T2, ce qui est sans doute légèrement supérieur ou légèrement inférieur, est le signe d’une résilience soutenue. J’aurais cru que l’économie connaîtrait un taux de croissance inférieur à 2 % au T2 d’après l’information connue jusqu’à ce matin; c’est pourquoi son traquage potentiel à plus de 2 % est pour ainsi dire une bonne surprise.
Le PIB du T3 tient compte d’un acquis de l’ordre de 0,5 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé. J’entends par là qu’il ne s’agit pas d’une prévision. C’est plutôt le résultat purement mathématique de l’évolution du T2 et de son dénouement, ce qui nous permet d’affirmer qu’avant de prendre connaissance des données du T3, l’économie évoluait allègrement sur la voie de la croissance au T3. Ici encore, j’aurais cru que si juin était plus atone, nous n’aurions peut-être pas connu un aussi bon départ et nous serions plus tributaires des données réelles du T3 pour maintenir la croissance à flot, ce que nous faisons déjà. Nous devrons aujourd’hui attendre que les données effectives évoluent en fonction de nos prévisions pour confirmer cette résilience soutenue.
Les graphiques 3 et 4 font la répartition du PIB mensuel pour mai du point de vue des changements non pondérés par secteur et du point de vue des apports pondérés à l’ensemble de la croissance du PIB.
Le regard que la BdC pourrait poser sur la croissance
La BdC se penchera sur ces chiffres et dira que c’est très bien, mais que c’est aussi égal ou légèrement inférieur à la limite de vitesse non inflationniste de l’économie pour la croissance, soit la croissance potentielle du PIB. C’est pourquoi cette croissance consiste soit à maintenir une légère capacité excédentaire, soit à l’élargir légèrement puisque la croissance est en train de sous-cibler le potentiel de la colonne de l’offre.
La BdC affirme que la croissance potentielle (et non réelle) du PIB est de 2,4 % en 2024. Je crois que c’est trop ambitieux. Personne ne peut observer la croissance potentielle du PIB. Il existe bien une théorie à ce sujet; or, les estimations fermes sont fabriquées de toutes pièces, et selon mon expérience, elles sont conçues pour servir de bouchons prévisionnels dans le discours souhaité. Le discours du gouverneur est conciliant; autrement dit, la croissance potentielle du PIB est faussement haussée. C’est honnêtement ce que je pense.
Or, l’investissement des entreprises est léthargique. La productivité est lamentable. Et la BdC applique une interprétation trop ambitieuse de la croissance de la population dans ce qu’elle est censée vouloir dire pour la croissance potentielle, en traitant toutes les formes de la croissance de la population démographique et de la population active comme des facteurs proportionnés du PIB. Ce qu’elles ne sont pas.
Puisqu’une très grande partie de la croissance démographique du Canada est attribuable à la catégorie non permanente de l’immigration, il est difficile de considérer comme une hypothèse juste ce traitement égal de la productivité et du potentiel de production par habitant. Cette catégorie est constituée des étudiants internationaux, des travailleurs étrangers temporaires dans les secteurs de services essentiellement saisonniers, qui envoient leurs chèques de paie dans leurs pays et qui emportent la quasi-totalité du reste avec eux, ainsi que des demandeurs d’asile, venus essentiellement de la Syrie et de l’Ukraine. Il ne faudrait pas considérer qu’ils ont la même capacité de hausser la limite de vitesse non inflationniste de l’économie autant que d’autres, dont les immigrants qui sont résidents permanents, qui sont nés au Canada et qui sont issus des précédentes générations. Or, il semble que ce soit ce que la BdC a fait lorsqu’elle a révisé à la hausse la croissance potentielle en raison de la croissance agrégée de la population.
Alors pourquoi la BdC est-elle si pressée d’abaisser les taux?
Pourquoi cette hâte d’abaisser les taux? Pourquoi le gouverneur Macklem affirme-t-il que la BdC n’est même pas encore proche des limites de devancer la
Fed en télégraphiant une indifférence totale à ce qu'il advient du huard? Je peux penser à un rééquilibrage des risques d’après le degré de durcissement
monétaire pour motiver certaines baisses. Or, ce gouverneur donne l’impression d’être super conciliant, ce qui pourrait donner lieu à un excès dans les conditions financières.
L’économie reste résiliente. Je suis depuis longtemps dans le camp positif du Canada. En raison des feux de forêt, des grèves à n’en plus finir, des initiatives ponctuelles de l’industrie et du rôle prépondérant joué par le déstockage des entreprises dans les différents trimestres depuis le T4 de 2022, le PIB a paru plus léthargique l’an dernier que l’économie l’était en réalité. Le discours récessionniste était farfelu. C’était un moment de lecture pour observer à quel point le PIB n’est pas toujours le meilleur baromètre de ce qui se passe sous le capot de l’économie.
J’ai alors fait valoir que l’on constaterait, au S1 de 2024, un rebond par rapport au discours de la BdC à la fin de l’an dernier et en janvier, alors qu’elle affirmait que le S1 atteindrait un pic douloureux pour l’économie et pour le durcissement de la politique monétaire avant de réviser à la hausse ses prévisions de croissance du S1 en avril. Mon discours plus optimiste donne jusqu’à maintenant de bons résultats; or, la BdC a adopté un discours plus conciliant par rapport à ces données.
Il en va de même de l’inflation fondamentale. Elle a été atone pour des raisons transitoires dans les quatre premiers mois de l’année et a depuis fortement rebondi à 4,1 % sur un mois, en données désaisonnalisées et en rythme annualisé, en mai, et à 2,9 % sur un mois, en données désaisonnalisées et en rythme annualisé, en juin (graphique 5). Ça ne s’est pas produit, on ne l’a pas vu, on ne veut pas le voir et il faut avancer : tout semble militer en faveur de la BdC malgré l’avertissement lancé du fait de tant de faux départs de l’inflation fondamentale atone jusqu’à maintenant.
Les consommateurs prennent assez bien le rétablissement des taux hypothécaires. La consommation a progressé de 3 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé au T4 et au T1 et redeviendra probablement, du moins temporairement, plus anémique; or, le rétablissement des variables s’est répercuté sur toute l’économie, et nous sommes aujourd’hui témoins d’un abaissement des taux variables. Les obligations du Canada à 5 ans lui sont chères, à mon avis, de sorte que la transmission du rétablissement sur le populaire indice repère des prêts hypothécaires à taux fixe aide les emprunteurs dont les taux d’intérêt fixes sont rétablis. Les faillites de consommateurs continuent d’atteindre le fond du baril, de sorte que les prêts hypothécaires en souffrance de plus de 90 jours et les provisions des banques pour les pertes sur les prêts hypothécaires sont partis de rien quand les taux étaient très bon marché par rapport à la moyenne malgré les affreux comptes rendus sur la question.
Le marché de l’emploi est vigoureux. Il a été en berne le mois dernier en raison de l’effet de l’emploi estival des jeunes, distorsionné par le bond prodigieux des temporaires (résidents non permanents), qui sont ceux qui expliquent toute la hausse du taux de chômage (graphique 6). Le problème du Canada, c’est qu’il en admet beaucoup trop.
La croissance des salaires s’accélère en chiffres réels (graphique 7) et s’en tient à des niveaux supérieurs sur un mois en données désaisonnalisées et en rythme annualisé, en chiffres nominaux (graphique 8).
La productivité éclate (graphique 9). L’accélération des gains de salaires alors que la productivité s’effondre est une combinaison malvenue des risques inflationnistes. Il se pourrait que la productivité reprenne du mieux, comme le prédit la BdC. Or, elle a déjà fait cette prédiction, qui continue de se repousser. En outre, il est nécessaire que la productivité inscrive des gains soutenus, et non seulement ponctuellement si la croissance de la population se ralentit dans l’éventualité où le gouvernement fédéral et les provinces viennent freiner l’immigration non permanente.
La politique budgétaire vient elle aussi augmenter l’âge de la croissance lorsque son utilité est arrivée à expiration. Les plans budgétaires dans une année électorale au cours de laquelle les libéraux et les néo-démocrates ne font pas bonne figure dans les sondages constituent un pari unilatéral dans l’assouplissement des taux. Parlez-moi d’un gouvernement qui fait aussi piètre figure dans les sondages que Trudeau, Singh et Freeland et qui dépense moins dans une année électorale alors qu’ils s’accrochent désespérément aux atouts du pouvoir. Parlez-moi d’un seul gouvernement qui ne dépense pas plus. La chasse aux votes monopolisera probablement l’attention; c’est pourquoi le Canada risque une nouvelle détente budgétaire de concert avec un autre assouplissement monétaire potentiel. Le simple risque de cette évolution des risques devrait au moins permettre de croire que dans son discours, la BdC est plus attentive, sans égard à sa pratique de ne réagir (du moins en public) qu’aux annonces budgétaires a posteriori.
L’immigration reste très excessive et rigoureusement mal gérée. Les déficits du logement se sont creusés avant la pandémie et n’ont fait que s’accentuer. Le logement sauf les intérêts hypothécaires représente un quart du panier et est soumis à des pressions structurelles haussières. Les économistes tâchent de servir uniquement les intérêts immobiliers et réclament des baisses de taux. Je me demande bien pourquoi. Il n’y a pas d’équilibre dans leurs arguments. Dans le pire des cas, ils font de toute évidence fausse route en affirmant que seuls les taux d’intérêt hypothécaires portent l’inflation alors qu’ils ne sont même pas compris dans les baromètres privilégiés de la BdC pour l’inflation fondamentale et qu’ils ne l’ont jamais été pendant toute la pandémie, ni même avant. C’est professionnellement irresponsable.
En outre, les tensions géopolitiques, dont les effets sur les cours du pétrole et l’explosion des frais d’expédition mondiaux, renchérissent modestement le risque inflationniste, puisque les attentes vis-à-vis de l’inflation tournent toujours autour de la limite supérieure de la fourchette de la BdC pour la cible inflationniste, soit entre 1 % et 3 % (graphiques 10 à 12).
Alors pourquoi exactement le Canada doit-il se précipiter pour être l’enfant tête d’affiche de l’assouplissement monétaire mondial? Pourquoi le besoin de faire preuve de circonspection, d’attention et de ne pas prendre d’engagement dans l’avenir a-t-il été supplanté par le discours extrêmement conciliant du gouverneur Macklem, qui aurait dû tirer les leçons des périls d’un cadrage prospectif trop ambitieux pendant la pandémie? Si ce parti pris se révèle exact, c’est qu’il est plus probable qu’il le soit à cause de la chance ou des chocs inattendus, plutôt qu’en raison d’une analyse raisonnée. J’aurais pensé qu’après avoir promis une période de plusieurs années sans hausse de taux puis après avoir nié cette promesse aux emprunteurs pendant la pandémie, le gouverneur aurait été plus attentif aujourd’hui à un parti pris pour l’assouplissement des taux.
Le fait que les marchés croient le gouverneur est en cause. L’humeur des marchés vient s’ajouter au discours conciliant de Tiff Macklem dans une anticipation de la perfection. Les obligations à 5 ans du Canada sont riches, à 3,14 %. Si le taux neutre se situe n’importe où dans les alentours de 2,75 %, ce qui correspond à notre pronostic et au point milieu de la fourchette estimée de 2,5 % à 3 % de la BdC, il faut alors penser à une prime à terme et se dire que les obligations à 5 ans ont basculé en territoire de richesse. Ce serait un scénario beaucoup plus catastrophique pour l’économie et un taux d’inflation moindre que ce que nous prévoyons, ce qui serait justifié si le taux directeur paraissait sous-cibler considérablement le taux neutre. Ou encore, si le risque d’une erreur de politique monétaire se produit à la BdC. Qui vivra verra. Un demi-point ne semble pas cimenter un dénouement; or, la réalisation du discours extrêmement conciliant de la BdC m’amène à pencher davantage pour ce dernier résultat. Il paraît opportun d’abaisser légèrement les taux pour rééquilibrer les risques de la cible inflationniste; toutefois, aller plus loin est hasardeux et a pour effet d’anticiper la perfection dans le ventre de la courbe.
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