- Les salaires américains ont écrasé le consensus, notamment grâce à des révisions positives.
- Les facteurs de désaisonnalisation ont joué un rôle prépondérant et sont appelés à se calmer…
- ... ce qui laisse entendre qu’il faut lisser les gains mensuels de l’emploi au fil du temps.
- Les salaires explosent et doivent s’accompagner de gains de productivité soutenus.
- Les marchés ont essentiellement écarté l’anticipation d’une autre baisse de 50 points de base…
- ... puisqu’il se pourrait bien que le FOMC ait commis une erreur de politique monétaire en commençant par surbaisser les taux.
- S’abstiendra‑t‑il de le faire en novembre?
- Les marchés ont aussi élagué l’anticipation des baisses de taux de la BdC.
- Tous les aspects négatifs militant pour de fortes baisses ne tiennent pas compte des bonnes nouvelles : l’économie américaine est vigoureuse.
- Salaires non agricoles aux États-Unis, en milliers sur un mois // taux de chômage en %, septembre :
- Données réelles : 254/4,1
- Scotia : 165/4,2
- Consensus : 150/4,2
- Auparavant : 159/4,2 (révisées à partir de 142/4,2)
La croissance de l’emploi a explosé aux États-Unis et a écrasé l’anticipation des marchés, qui s’attendaient à une autre baisse démesurée de la Réserve fédérale, ce qui concorde avec notre prévision de deux baisses d’un quart de point en novembre et en décembre. Les détails ont pour la plupart été solides; or, mes arguments sur la façon dont l’évolution du facteur de désaisonnalisation entraînerait un bon compte rendu sur le marché du travail (veuillez cliquer sur ce lien et sur cet autre lien) ont un peu trop bien fonctionné pour être rassurants. Nous conseillons aux clients de lisser au fil des mois les chiffres sur la croissance de l’emploi américain et d’analyser l’ensemble de l’année en minorant les envolées de pessimisme et d’optimisme excessifs.
Les salaires non agricoles se sont accélérés en inscrivant un gain d’un quart de million (+254 000), de concert avec une révision positive nette de 72 000 emplois supplémentaires dans les deux mois précédents. En tenant compte des révisions, les chiffres de septembre représentent plus du double du nombre d’emplois supplémentaires dans l’économie américaine par rapport au consensus attendu.
LES MARCHÉS TERNISSENT LES PERSPECTIVES DE BAISSES DE 50 POINTS
Les marchés d’actions adorent la solide croissance de l’emploi plus que les attentes amoindries dans la baisse des taux : l’indice S&P a en effet gagné 0,5 % aujourd’hui. Le rendement des bons du Trésor américain à 2 ans a gagné 12 points de base dans la foulée. Le rendement des bons à 10 ans a bondi de 8 points de base pour s’inscrire à 3,95 %. Si cette tendance s’inscrit dans la durée, je vais devoir hausser pour l’an prochain la cible de 4 % pour le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans. L’anticipation cumulative pour des baisses de taux d’ici la fin de l’année a été rognée de 8 points de base pour s’établir à environ 58 points de base dans les contrats à terme sur les fonds fédéraux, ce qui élimine essentiellement l’anticipation des marchés pour que l’une des baisses soit de 50 points. Le dollar a été généralement plus solide; or, la réanticipation des attentes vis-à-vis des taux des banques centrales étrangères est venue compenser l’incidence produite sur les marchés des changes. Par exemple, l’anticipation des marchés pour les baisses de taux cumulatives de la BdC dans les deux dernières réunions cette année a été rognée d’environ 7 points de base à 63 points de base, ce que viendra confirmer le rapport sur l’emploi au Canada de vendredi prochain.
LISSER LES FACTEURS DE DÉSAISONNALISATION ERRATIQUES
C’est en septembre 2024 qu’on a comptabilisé le facteur de désaisonnalisation le plus important dans les annales par rapport aux mois de septembre des autres années (graphique 1). Je m’attendais à ce qu’un solide facteur de désaisonnalisation soit un point charnière en faveur d’un vigoureux gain de l’emploi, mais non à ce point!
Le graphique 2 indique pourquoi cette question a tant d’importance. Le gain de 460 000 dans les salaires non agricoles non désaisonnalisé le mois dernier (barre rouge) s’est traduit par un gain désaisonnalisé de 254 000 (barre bleu foncé) en raison du facteur de désaisonnalisation exceptionnellement élevé. Si le facteur de désaisonnalisation avait plutôt été l’un des facteurs un peu plus faibles, les barres en bleu pâle indiquent ce qui se serait produit dans le gain comptabilisé pour les salaires désaisonnalisés.
Nous vivons une époque différente dans la désaisonnalisation, par le BLS, des données sur l’emploi, comme en témoigne le fait que les facteurs de désaisonnalisation de septembre, les plus élevés dans les annales, ont tous été comptabilisés dans les dernières années. Je ne suis pas entièrement certain des raisons qui l’expliquent. Le BLS est discret sur la question. Il se pourrait que ce soit à cause de la temporalité exceptionnelle du choc pandémique, suivie du relâchement, puis du durcissement des restrictions, et enfin, de la chronologie du rebond. Ce qui n’explique pas pourquoi même les facteurs de désaisonnalisation constatés juste avant la pandémie étaient plus élevés que les précédents.
Toujours est‑il qu’il s’agit d’un point charnière majeur par rapport aux mois de l’été, lorsque les salaires non désaisonnalisés étaient écimés par des facteurs de désaisonnalisation exceptionnellement faibles par rapport aux mois comparables d’août dans les annales, comme les mois de juillet, et ainsi de suite.
Autrement dit, il faudrait se pencher sur la croissance de l’emploi déclarée et lisser les chiffres dans le temps. Le début de l’année n’a pas été aussi vigoureux que le gain de 310 000 indiqué en mars parce qu’à l’époque, les facteurs de désaisonnalisation étaient trop généreux; en outre, les rapports de la période estivale étaient plus solides que ce qu’ils paraissaient parce que les facteurs de désaisonnalisation venaient écimer démesurément la croissance de l’emploi. Aujourd’hui, il se pourrait que l’on recommence à surcomptabiliser la croissance de l’emploi aux États-Unis. En moyenne, l’économie américaine a créé 200 000 emplois par mois dans les neuf premiers mois de 2024, et ce chiffre reste solide. Il continue aussi de graviter autour des estimations populaires du point mort de la croissance des salaires, qui serait compatible avec un taux de chômage assez stable, en supposant que le résultat des élections ne donnera pas lieu à un repli draconien du point de vue des courants d’immigration.
Enfin (pour ce qui est de la désaisonnalisation), on peut s’attendre à ce que le même scénario se produise le mois prochain (graphique 3).
ENVERGURE SOLIDE
Le graphique 4 démontre que le gain des salaires est de forte envergure. Le secteur privé s’est enrichi de 223 000 emplois, et le gouvernement en a créé 31 000, presque tous au niveau des États et des localités.
Le secteur des biens a gagné 21 000 emplois; le secteur des services a toutefois mené la hausse grâce à un gain de 202 000 emplois. La construction a gagné 25 000 emplois; dans l’activité manufacturière, le nombre d’emplois a peu changé (‑7 000). Dans les services, les grands gagnants ont été l’éducation et la santé (+81 000), les loisirs et l’hébergement (+78 000), les services aux entreprises (+17 000) et le commerce de détail (+16 000).
EXPLOSION DES SALAIRES
La croissance des salaires a été vertigineuse (graphique 5). Les salaires horaires moyens ont crû de 0,4 % sur un mois en données désaisonnalisées en septembre et ont été révisés à la hausse d’un cran à +0,5 % sur un mois en août. Autrement dit, la croissance des salaires s’est chiffrée à +4,5 % sur un mois en données désaisonnalisées et en rythme annualisé en septembre et à 5,6 % en août, ce qui donne un gain de 4,3 % en moyenne mobile sur trois mois.
Les Américains feraient mieux d’inscrire des gains constants de productivité pour justifier ces hausses de salaire, qui dépassent l’inflation. J’ai des doutes.
BAISSE DU TAUX DE CHÔMAGE
Le taux de chômage a reculé d’un cran, à 4,1 %. S’il en est ainsi, c’est parce que ce chiffre est puisé dans l’enquête complémentaire sur les ménages, qui fait état d’un gain de 430 000 emplois, ce qui est supérieur à l’augmentation de 169 000 travailleurs dans le bassin de la population active.
Ce taux de chômage correspond essentiellement aux estimations du point d’équilibre (soit le taux de chômage à inflation stationnaire ou TCIS) pour les États-Unis.
Il faut analyser ces chiffres avec circonspection, puisque l’enquête sur les ménages comporte encore plus de bruissements statistiques que le rapport sur les salaires. La plage de confiance de 90 % dans les variations mensuelles de l’emploi déclarées dans l’enquête sur les ménages est de +/- 600 000; autrement dit, dans 90 cas sur 100 dans l’échantillonnage répété des ménages, tout ce qu’on peut dire, c’est que la croissance de l’emploi a été comprise entre une perte de 170 000 et un gain de plus d’un million. Bien d’accord.
Par comparaison, l’évolution mensuelle des salaires comportait une plage de confiance de 90 %, soit +/- 130 000; autrement dit, dans 90 cas sur 100, tout ce qu’on peut dire, c’est que les salaires ont augmenté d’une somme comprise entre 124 000 et 384 000 — et que n’importe lequel de ces deux chiffres aurait été solide.
LES HEURES DE TRAVAIL ONT BAISSÉ ET LA CROISSANCE DU PIB A BESOIN DE GAINS DE PRODUCTIVITÉ
Les heures de travail ont baissé de ‑0,1 % sur un mois en données désaisonnalisées, ce qui jette une ombre au tableau. Il s’agit de la deuxième baisse en trois mois. Dans l’ensemble, les heures de travail ont très peu progressé au troisième trimestre (graphique 6).
Puisque le PIB est une identité qui s’entend de l’ensemble des heures de travail multiplié par la productivité de la main‑d’œuvre, cette dernière entité s’entendant du PIB réel divisé par les heures de travail, le traçage de la croissance du PIB américain au T3, qui est de l’ordre de 2,5 %, réclame un solide gain de la productivité des travailleurs.
INCIDENCES POUR LA RÉSERVE FÉDÉRALE
Les Études économiques de la Banque Scotia continuent de prévoir des baisses de taux d’un quart de point aux réunions de novembre et de décembre. Bien honnêtement, si j’étais Jerome Powell, en faisant exception du choc et des effets exceptionnels de l’élection américaine, je serais tout à fait disposé à ne pas abaisser les taux à la réunion de novembre, après avoir lancé une aussi forte baisse.
Je continue de croire que le FOMC a commis une erreur de politique monétaire en abaissant les taux de 50 points de base le mois dernier. Les seules autres fois, de mémoire récente, au cours desquelles ce comité a abaissé les taux de 50 points de base pour entamer un cycle d’assouplissement correspondent aux circonstances impératives de l’éclatement de la bulle technologique. Or, il ne s’agit pas d’une crise. L’économie américaine reste ancrée profondément dans la demande globale excédentaire, malgré un écart de production positif. Elle n’est pas en train de créer une détente désinflationniste; c’est pourquoi elle n’a même pas commencé à voir les effets décalés de cette détente se traduire en inflation durablement faible.
Le président Powell et consorts ont ravivé les contrats à terme sur les fonds fédéraux comme je l’avais affirmé en abaissant les taux de 50 points de base et en remettant aux marchés les clés de la politique monétaire. C’était une erreur, et aujourd’hui, le FOMC doit contenir les marchés.
Le grand problème, c’est que tout ce négativisme vise à amener le FOMC à calmer ambitieusement les risques d’un retour de flamme en créant le faux sentiment d’une crise qui couve. L’économie américaine est solide et se trouve peut‑être dans un scénario où elle évite tout atterrissage. Il faudrait le souligner du point de vue de la croissance, mais traiter très attentivement la question du point de vue de la politique monétaire, qui risque de libérer les mêmes forces que le durcissement de la politique monétaire cherchait à maîtriser.
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