• Au Canada, la croissance du PIB accuse des lenteurs.
  • Or, les détails sont de bien meilleur augure, grâce aux dépenses de consommation.
  • Dans le même temps, les révisions à la hausse du PIB laissent entrevoir moins de jeu.
  • Si la BdC baisse des taux en décembre, elle devrait être moins conciliante et acter une légère baisse…
  • … avant de pouvoir tenir pleinement compte des évolutions dans le RPM de janvier.
 
  • PIB du Canada, évolution en % sur un trimestre, en données désaisonnalisées et en rythme annualisé, T3 de 2024 :
  • Données réelles : 1,0
  • Scotia : 0,8
  • Consensus : 1,1
  • Auparavant : 2,2 (révisées d’après 2,1)
  • PIB du Canada, évolution en % sur un mois, en données désaisonnalisées, septembre 2024
  • Données réelles : 0,1
  • Scotia : 0,1
  • Consensus : 0,3
  • Auparavant : 0,0
  • PIB du Canada sur un mois, estimation « éclair » d’octobre 2024, en données désaisonnalisées : 0,1

C’est un cas d’école : parfois, le PIB n’atteint simplement pas la perfection. Parfois encore, il y a des faits plus importants sous le capot. En soulevant ce capot, je constate que le PIB est vigoureux. Vraiment très vigoureux. Il est aussi moins lâche que ce que nous avions constaté. À tel point qu’il est improbable que la BdC surbaisse à nouveau ses taux en décembre, et l’amont du marché obligataire canadien est trop riche de concert avec une anticipation trop ambitieuse dans les cours boursiers pour la réunion de décembre.

Même si je crois qu’il abaissera les taux de 25 points de base, si j’étais le gouverneur, je réfléchirais sérieusement avant de rendre un pronostic moins conciliant en décembre, après des baisses de 125 points de base jusqu’à maintenant. Je prendrais une grande respiration, au moins dans le parti pris, et j’attendrais la fin de janvier avant de prendre connaissance de l’information nouvelle et de livrer des prévisions complètes. La BdC aura alors plus de données et sera en mesure de réviser ses prévisions à partir de toute l’information que nous avons réunie aujourd’hui et auparavant, en plus des autres statistiques montrant que les mesures de relance du gouvernement ont été adoptées et qu’il faut probablement s’attendre à encore d’autres mesures dans cette année électorale : il se sera écoulé neuf jours après l’entrée en fonction de Donald Trump, qui menace de hausser les tarifs douaniers, ce qui pourrait donner lieu à des représailles, ainsi qu’à l’inflation correspondante. Les constituantes du PIB comme les dépenses de consommation et la demande intérieure finale sont vigoureuses. Il faut se rappeler qu’on suit de près l’inflation fondamentale, qui perdure tendanciellement (veuillez cliquer sur ce lien), en plus des gains de revenus massifs thésaurisés d’abord de concert avec les statistiques confirmant la demande refoulée et l’épargne.

Je ne pense pas que la BdC interprétera ces chiffres comme le font les marchés, sur lesquels les échanges se déroulent d’après les chiffres de synthèse cet avant‑midi. Rien, dans ces chiffres, ne confirme que la BdC devrait envisager une baisse de 50 points de base en décembre.

Écumer la surface

En surface, la situation n’est pas si rose. L’économie a progressé de 1 % à peine sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé au T3, ce qui représente un cran de moins que le consensus et quelques crans de plus que l’estimation des Études économiques de la Banque Scotia (graphique 1). Surtout, il s’agit d’un demi‑point de moins que la prévision de la BdC dans son RPM d’octobre, prévision qu’elle a révisée à la baisse par rapport à 2,8 % selon la prévision précédente du RPM de juillet.

Graphique 1 : La croissance du PIB canadien

Les chiffres mensuels du PIB paraissent eux aussi léthargiques. Le PIB de septembre a gagné 0,1 % sur un mois, ce qui correspond à mon estimation et à deux dixièmes de moins que le pronostic « éclair » initial de Statistique Canada il y a un mois, et ce qui représente une baisse du même ordre par rapport au consensus. Le graphique 2 fait état de la répartition du PIB par secteur, et le graphique 3 indique les apports pondérés, par secteur, à la croissance du PIB. 

Graphique 2 : La croissance du PIB réel en septembre par secteur; Graphique 3 : Les apports pondérés des secteurs au PIB réel de septembre

L’estimation « éclair » du PIB d’octobre de Statistique Canada se chiffre à 0,1 % sur un mois. C’est inférieur aux données que je suis, en raison des chiffres des activités de plus grande fréquence, notamment le gain de 0,3 % des heures de travail. Je crois qu’une hausse est possible depuis son estimation « éclair », qui sera toutefois mieux éclairée par d’autres données. Statistique Canada ne donne pas de détails chiffrés sur son estimation préliminaire de 0,1 % et se contente d’un pronostic général : « Les hausses observées dans les services immobiliers et les services de location et de location à bail, dans le transport et l'entreposage et dans le commerce de détail ont été contrebalancées en partie par les baisses enregistrées dans la construction et dans l'extraction minière, l'exploitation en carrière, et l'extraction de pétrole et de gaz. »

La consultation de la colonne de production des comptes mensuels du PIB nous apprend que le PIB du T4 s’établit à 0,6 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé. Ce chiffre est établi d’après la moyenne du T3 et selon le pronostic « éclair » du PIB d’octobre, en supposant qu’il n’y a pas de changement en novembre et en décembre, pour focaliser le calcul sur ce que nous savons jusqu’à maintenant. Les « actualités prévisionnelles », qui tiennent compte de données plus nombreuses, sont légèrement inférieures à ce chiffre; or, dans tous les cas, nous devons nous contenter de très peu de données, et il faut donc considérer que toute estimation du PIB pour le T4 est un coup d’épée dans l’eau.

Des détails haussiers

Voici les raisons pour lesquelles je pense que l’économie a été nettement plus vigoureuse, au T3, que ce que le PIB laisse entendre, et il faut s’en remettre au graphique 4, qui en indique la ventilation.

Graphique 4 : Les apports au PIB réel du Canada pour le T3 de 2024
  • Commençons par les révisions. Statistique Canada avait déjà publié les révisions annuelles du PIB pour la période de 2021 à 2023. Nous connaissons aujourd’hui les révisions trimestrielles, et nous pouvons les suivre jusqu’au T2 de 2024. À la fin du T2 de 2024, l’économie avait progressé de 1,45 % de plus que l’estimation précédente. Il s’agit d’une révision haussière massive pour une économie dont le PIB se chiffre à 2 420 milliards de dollars CA.
  • Nous devons nous en remettre davantage aux constituantes et à leurs incidences pour le PIB potentiel; or, comme nous l’avons déjà annoncé, les révisions nous donnent probablement moins de marge excédentaire que ce qui avait déjà été estimé d’après une baisse de l’ordre de ‑0,6 % pour l’écart de production, plutôt que ‑1 %. Il s’agit plus d’une orientation, à mon avis, au lieu de simuler la précision avec des écarts de production. Nous avons moins de marge excédentaire que ce que nous avions déjà estimé parce que le PIB réel a probablement été révisé à la hausse dans une plus grande proportion que toutes les révisions du PIB potentiel qui pourraient compenser cette hausse, ce qui veut dire que la pression désinflationniste a été moindre. Ce seul fait permettrait de croire que la BdC devrait être moins conciliante qu’avant, même en se penchant sur les chiffres du PIB pour le T3 et pour octobre.
  • Puis, les stocks ont rogné une large part pondérée de 1,3 point de pourcentage sur la croissance du PIB au T3 (graphique 5). La diminution des stocks n’a pas eu d’incidence sur le poids du surstock dans le ratio des stocks sur les ventes, puisqu’il est toujours très élevé (graphique 6). On continue de tenir le même débat. Les stocks sont‑ils trop élevés parce que les entreprises gèrent à nouveau mal leurs stocks? Ou sont‑ils trop légers ou bien équilibrés compte tenu de la pandémie et de la conjoncture géopolitique qui ont changé la gestion des chaînes logistiques en favorisant l’augmentation des stocks, et alors qu’aujourd’hui, Donald Trump est sur le point de bousculer à nouveau les chaînes logistiques? J’oserais croire qu’il pourrait y avoir une frénésie dans les commandes en prévision des tarifs douaniers qui pourraient relever le ratio I/V (détail et gros) dans le court terme, en plus de renchérir la croissance du PIB au T4 et la progression du PIB mensuelle. Toute entreprise qui souhaite garder ses clients le printemps prochain voudrait probablement avoir en stock des produits prétarifés à leur vendre. 
Graphique 5 : Les stocks pèsent sur la croissance du PIB canadien; Graphique 6 : Les stocks dans l'ensemble de l'économie canadienne
  • Pourquoi les stocks ont‑ils été à la traîne du PIB? En partie parce que les dépenses de consommation ont très bien fait durant le dernier trimestre. Elles ont relevé de 1,8 point de pourcentage la croissance du PIB au T3 sur la base de leur apport pondéré à la croissance. Corrigées de l’inflation, les dépenses de consommation ont décollé de 3,5 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé au T3 (graphique 7), dans la foulée d’une légère hausse de 0,9 % au T2, après un gain de 3,1 % au T1. Il s’agit d’une solide progression à mon avis. Voilà pour les résultats léthargiques, exécrables et pires que jamais, et pour ceux qui disaient qu’on ne pouvait plus dépenser parce que la conjoncture hypothécaire bouscule le consommateur canadien! L’apport des dépenses de consommation à la croissance du T3 a balayé les attentes de la BdC : l’apport des dépenses de consommation au PIB du T3 était d’un peu moins de 1 % dans le RPM d’octobre, et à 1,84 %, il est beaucoup plus élevé. 
Graphique 7 : La croissance de la consommation réelle au Canada
  • Les observateurs habituels se plaindront de constater que la consommation par habitant a inscrit une croissance moins prodigieuse. Or, il faudrait appliquer les contre-arguments habituels. Premièrement, il ne faut pas s’en remettre au total de la population et on doit retrancher au moins la catégorie de l’immigration temporaire, constituée de personnes qui ont naturellement des propensions à dépenser nettement moindres et qui sont plus vraisemblablement appelées à constituer une population transitoire qui est censée baisser en 2025. Deuxièmement, compte tenu du bond dans le délai dans lequel les résidents permanents dépensent après être arrivés dans leur nouveau pays, après avoir décroché un emploi, peut‑être en décrochant un meilleur emploi et peut‑être même en lançant une nouvelle entreprise, en louant ou peut‑être en achetant un logement et en achetant toutes sortes d’articles pour meubler leur logement. La hausse des dépenses de consommation ne se produit pas du jour au lendemain. Je crois vraiment que ceux et celles qui martèlent cette rengaine constateront que les chiffres par habitant sont appelés à regagner leurs niveaux antérieurs.
  • Mais attendons : les consommateurs n’engagent des dépenses que pour certains articles seulement, n’est‑ce pas? Alors je m’excuse. Les dépenses dans les services réels ont gagné 2,9 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé au T3. Les biens durables ont été menés par les voitures, dont les ventes ont augmenté de 11,8 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé. Certains segments du commerce de détail font moins bien que d’autres. Or, il ne faut pas s’en remettre aux dépenses de consommation consacrées aux seuls segments qui ne font pas aussi bien.
  • En outre, il y a encore beaucoup de dépenses en gestation. Le taux d’épargne des ménages canadiens est toujours élevé, à 7,1 % (graphique 8). Tous les baromètres de l’épargne excédentaire cumulative restent très élevés au Canada.
Graphique 8 : Le taux d'épargne des ménages
  • Le taux d’épargne élevé s’accompagne de solides gains des revenus. Statistique Canada a constaté que la rémunération des salariés a progressé de 1,7 % sur un trimestre en données désaisonnalisées, ou de 7,1 % en rythme annualisé sur un trimestre. La rémunération suit ce type de croissance dans chacun des trimestres cette année. Les finances, l’immobilier, la gestion des entreprises et les services de formation sont les secteurs dominants du point de vue des gains de la rémunération au T3, après les conventions collectives en Ontario et au Québec, de concert avec les paiements rétroactifs.
  • Toute cette explosion des revenus au T3, conjuguée avec les baisses de TPS et de TVH et les stimulants hypothécaires, puis les chèques, sera dépensée avec un décalage considérable. Dans les précédentes notes publiées cette année, j’ai fait valoir que la demande refoulée est considérable pour le logement et la consommation, les effets décalés de l’immigration et la forte épargne refoulée des ménages pour financer les gains des dépenses de consommation et la demande de logements, et je m’attends à ce que cette évolution se poursuive en 2025.
  • Et je le redis : il faut cesser d’être aussi négatifs à propos des dépenses de consommation au Canada!
  • Les exportations brutes ont arraché 0,3 point de pourcentage à la croissance, alors que les importations l’ont renchérie de 0,1 point de pourcentage, ce qui donne un apport net de ‑0,2 point de pourcentage à la croissance du PIB grâce aux échanges commerciaux.
  • Les investissements ont retranché à la croissance du PIB 1,05 point de pourcentage. Toute cette léthargie s’explique par la baisse des investissements dans les machines et les biens d’équipement, qui a privé la croissance du PIB au T3 de 1,06 point de pourcentage. On ne peut pas s’attendre à une reprise de la productivité si les entreprises n’investissent pas…
  • Le logement a ajouté 0,2 point de pourcentage à la croissance du PIB au T3.
  • Le total des dépenses du gouvernement a augmenté de 1 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé, la croissance du T3, alors que les investissements de l’État y ont ajouté un supplément de 0,25 %.
  • La demande intérieure finale a gagné 2,4 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé au T3 (graphique 9). Ce baromètre est le résultat de l’addition de la consommation, des investissements, des dépenses du gouvernement et se focalise donc plus précisément sur l’économie intérieure, après avoir retranché les effets des variations des stocks. Il peut s’agir d’un meilleur indicateur de l’évolution de l’économie intérieure. Cet indicateur a d’ailleurs gagné de 2,3 % à 2,4 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé dans chacun des trimestres jusqu’à maintenant cette année.
Graphique 9 : La demande intérieure finale et le PIB