• La raison pour laquelle la BdC est appelée à abaisser les taux de 50 points de base a très peu à voir avec ce rapport sur l’emploi.
  • Des courbettes aux marchés dans la gestion des risques et la conciliation intrinsèque de Tiff Macklem sont plus vraisemblablement porteurs d’une surbaisse d’une surbaisse qui pourraient se retourner contre lui.
  • Les facteurs de désaisonnalisation paraissent trop aberrants pour qu’on puisse se fier au rapport.
  • Les travailleurs temporaires expliquent la hausse du chômage.
  • Et la baisse des taux pour faire travailler plus de temporaires inemployables n’aidera en rien la productivité.
  • Elle risque même de surchauffer la conjoncture pour l’essentiel de l’économie.
 
  • L’emploi au Canada en milliers sur un mois//taux de chômage en %, en données désaisonnalisées, novembre 2024 :
  • Données réelles : 50,5/6,8
  • Scotia : 20/6,4
  • Consensus : 25/6,6
  • Auparavant : 14,5/6,5

Il est probable que la Banque du Canada abaisse ses taux de 50 points de base la semaine prochaine. Il ne s’agit pas d’une prévision très convaincue du point de vue de ce que nous croyons que cette baisse devrait être. En fait, il n’y a en réalité que deux raisons principales seulement pour abaisser les taux, et ni l’une ni l’autre n’a guère à voir avec le rapport sur l’emploi qui vient d’être publié. (Cf. la synthèse dans le graphique 1.)

Graphique 1 : Répartition des emplois au Canada

La tendance de l’emploi est très solide, et abaisser les taux pour en corriger les lacunes créerait des conséquences dont personne ne veut, et Statistique Canada semble avoir choisi ses facteurs de désaisonnalisation en lançant des dards à l’occasion d’une fête bien arrosée, ce qui remet en question la fiabilité de l’ensemble des chiffres avant même de parler de l’intervalle de confiance de 95 %, soit +/-57 k dans les changements comptabilisés dans l’emploi. Mon interprétation du rapport sur l’emploi déconseille vivement un assouplissement rapide.

Deux raisons d’abaisser les taux de 50 points de base

L’une des raisons de cette prévision veut que la BdC adopte sans doute une approche de gestion des risques qui donne moins d’importance au risque de relancer l’inflation grâce à un assouplissement ambitieux qu’elle en accorde au risque d’abaisser l’inflation nettement en deçà de 2 % en l’absence d’une baisse suffisante dans l’assouplissement de sa politique monétaire. C’est le numéro qu’elle présente. Le temps nous dira s’il s’agit de la bonne approche. Or, c’est son parti pris. Je pense qu’elle devrait prendre plus de précautions. Or, Tiff Macklem est une colombe qui réagit beaucoup trop tard à l’inflation et qui a l’apaisement facile.

La deuxième raison veut que la BdC ait plus de difficulté à expliquer pourquoi elle fait moins que ce qu’anticipent les marchés au lieu de simplement s’incliner devant les opérateurs et leur souhaiter à tous de joyeuses Fêtes. S’il en est ainsi, c’est parce que le gouverneur Tiff Macklem paraît trop conciliant en laissant entendre que la BdC est loin de se rapprocher de la limite du sous‑ciblage de la Fed, en télégraphiant son ambivalence à propos des effets sur la devise. Les marchés anticipent la quasi‑totalité d’une baisse d’un demi‑point dans le sillage des chiffres publiés ce matin. Il faut donc le lui céder et lui consentir une faveur. Tant qu’à y être, qu’il enfile le costume du père Noël pour la conférence de presse.

Mais abaisser les taux parce que le marché du travail s’affaisse? Allons donc! Le marché de l’emploi est très solide. Dans les cas où il ne l’est pas, ce n’est pas avec les taux qu’on va corriger la situation. Mais si c’était le cas, on va abimer autre chose.

La tendance de l’emploi est solide…

Il ne faut pas lever le nez sur le gain de synthèse du marché de l’emploi, soit 50,5 k. De même pour la tendance du marché. Le Canada a créé 112 k emplois dans les trois derniers mois, ce qui est prodigieux. Presque tous ces emplois portent sur des postes salariés dans le secteur privé (+88 k) et sur des postes de travailleurs autonomes (19,5 k), puisque les emplois salariés dans le secteur public n’ont gagné que 4,2 k : les postes de fonctionnaires ont reculé de 10,7 k. Ce n’est donc pas vraiment le marché du travail qui se flétrit.

... or, le Canada continue d’admettre trop de temporaires

Il faut dire que par rapport au flux soutenu des nouveaux arrivants sur le marché du travail, ce n’est pas assez bon du point de vue du taux de chômage, et c’est ce qui hante les marchés. C’est ce qui fait qu’on pouvait entendre les opérateurs hurler (ou faut‑il choisir un autre mot?) en se penchant sur le taux de chômage! Le taux de chômage a arraché trois dixièmes de point pour s’inscrire à 6,8 % parce que la population active s’est enrichie de 138 k travailleurs le mois dernier, soit deux fois et demie le rythme de la création d’emplois. Oui : 138 k.

Cette progression s’explique en grande partie par un nouveau bond de 80 k habitants durant le mois : la population a augmenté de 1,179 million d’habitants dans l’année écoulée. Ottawa, il serait temps de fermer le robinet. Il faut vraiment regarder tous les temporaires dont la situation se répercute sur le chômage, qui est le plus grand facteur de la hausse depuis que le chômage a commencé à augmenter (graphique 2). C’est ri-di-cule! J’ai perdu le fil des conférences de presse et des séances photo dans lesquels on a annoncé un durcissement des règles. L’autre partie du bond de la population active a été portée par le décalage de l’arrivée des immigrants en quête de travail.

Graphique 2 : Les apports pondérés au taux de chômage du Canada

À l’évidence, le durcissement des politiques d’Ottawa sur l’immigration n’a eu jusqu’à maintenant absolument aucun effet. Le problème ne va que s’aggraver en 2025, puisque le dossier de l’immigration continue d’être géré inefficacement. Si on déclenche une élection, à cause du torrent continuel de nouveaux arrivants qui viennent grossir les rangs des chômeurs, les électeurs canadiens vont s’étouffer en avalant leur queue de castor bien sucrée. Et le Mexique affirme que nous n’avons pas de culture… allons donc!

Abaisser les taux pour créer plus d’emplois à l’intention des temporaires drainerait la productivité

Mais abaisser plus rapidement parce que le Canada admet trop d’immigrants? Quelqu’un pourrait-il me dire comment corriger la situation? La croissance de l’emploi est solide, mais pas assez parce que le Canada continue d’admettre plus d’immigrants qu’il le peut. Il faut donc baisser tout de suite les taux… Il faut aussi le faire rapidement pour obliger de trop nombreux immigrants en quête d’un emploi à travailler, vraisemblablement au détriment de la productivité. S’il en est ainsi, c’est parce qu’il y a beaucoup trop d’étudiants internationaux et de travailleurs étrangers temporaires qui viennent s’installer ici et qui ne sont pas aussi productifs que d’autres travailleurs. Mais grâce à presque tous les autres, la population active se porte beaucoup mieux et souhaite une baisse des taux, pour dépenser, acheter des maisons et faire à nouveau exploser l’inflation. Le Canada ne fait que répéter le cycle de rinçage du parcours à long terme qui le mène à une piètre productivité, à des revenus faibles et à des prix qui ne cessent de flamber pour les billets de hockey. Bravo!

Il est important de comprendre ce que je dis ici. On laisse entrer beaucoup trop de temporaires qui ne peuvent pas trouver de travail et qui ont tendance à être moins productifs, ce qui fait monter le taux de chômage; on abaisse donc les taux pour produire encore plus d’activités récentes, ce qui fait monter les ventes d’habitations et de véhicules pour le reste de la population qui ne vit généralement pas la même faiblesse sur le marché de l’emploi. Et on se demande ensuite comment l’inflation se met à flamber de nouveau… Doux Jésus! Mais comment est-ce arrivé? C’est pourtant ce que les boutiques qui ne cessent de se plaindre des chiffres par habitant voudraient que la BdC fasse. Et si jamais le Canada cesse de parler de la baisse de l’immigration et passe effectivement à l’acte, on constatera que ces boutiques ont donné ce genre de conseil au pire moment, à l’heure même où la population dégringole alors que les dépenses par habitant explosent. Une bonne main d’applaudissement pour eux, mesdames, messieurs!

La désaisonnalisation aberrante de Statcan télégraphie sa propre méfiance dans les données

D’après une deuxième considération, en sachant qu’il ne faut pas surréagir à ce rapport, Statistique Canada doit expliquer ce qu’elle fait des facteurs de désaisonnalisation. Je veux dire qu’elle doit vraiment expliquer ce qu’elle fait.

Et à moins d’avoir une très bonne explication, j’ai fortement tendance à conseiller d’ignorer d’emblée ce rapport. Le rapport sera plus utile comme litière dans la cage à hamster des enfants. Il faut essentiellement parler des facteurs de désaisonnalisation qu’on a choisi d’appliquer pour calculer une hausse de 54 k travailleurs dans l’emploi à temps plein et dans l’emploi à temps partiel léthargique (‑3,6 k).

Le facteur de désaisonnalisation qu’elle a décidé d’adopter et qui est le plus faible dans les annales pour l’emploi à temps partiel en novembre par rapport aux mois comparables de novembre dans les annales (graphique 3) a fortement entravé le gain de l’emploi à temps plein.

Graphique 3 : Comparaison du facteur de désaisonnalisation de l'emploi à temps plein au Canada pour tous les mois de novembre

Il aurait plutôt fallu se rapprocher de la moyenne statistique des facteurs de désaisonnalisation de l’emploi à temps plein pour les mois de novembre de toutes ces années, ce qui aurait donné lieu à 92 k emplois à temps plein le mois dernier. Si on était allé plus loin en se rapprochant du facteur de désaisonnalisation le plus élevé dans les annales pour les mois de novembre, on aurait alors créé 135 k emplois à temps plein. C’est dire que le facteur de basculement des emplois à temps plein créés le mois dernier se situe entre 55 k (soit le chiffre qu’on a retenu) et 135 k, sans vraiment donner d’explications sur les raisons pour lesquelles on a retenu le moindre chiffre.

C’est ce qui me permet de dire que les chiffres ne sont pas fiables. Sans une bonne explication, j’ai l’impression que les analystes n’ont pas eu foi dans les chiffres, ont pensé qu’on n’allait pas les croire, ce qui les a énervés et ont donc imaginé un facteur de désaisonnalisation.

Les chiffres sont aussi un peu moins douteux pour ce qui est de l’emploi à temps partiel. Statistique Canada, a adopté les facteurs de désaisonnalisation les plus élevés dans les annales pour l’emploi à temps partiel dans les mois de novembre comparables pour obtenir un chiffre qui n’a pas bougé, soit 3,6 k (graphique 4). Si on avait plutôt pris un facteur de désaisonnalisation moyen pour les mois de novembre pour calculer les emplois à temps partiel, les emplois à temps plein auraient alors perdu ‑22 k; un facteur de désaisonnalisation statistiquement faible pour l’emploi à temps partiel aurait donné ‑46 k emplois à temps partiel de moins. 

Graphique 4 : Comparaison du facteur de désaisonnalisation de l'emploi à temps partiel au Canada pour tous les mois de novembre

Quand je constate que c’est ce qu’on fait constamment sans donner de raison claire pour le faire, on est naturellement porté à penser qu’il s’agit d’un bruissement et à enchaîner avec d’autres questions.

Pour ce qui est de la taille de la population active, on a lancé un signal comparable, puisque Statistique Canada a adopté un facteur de désaisonnalisation qui freine spectaculairement le gain déjà solide de la taille de la population active. Le graphique 5 indique que le facteur de désaisonnalisation dont on s’est servi pour la taille de la population active est le deuxième facteur le plus faible utilisé pour les mois comparables de novembre durant ce siècle. Si on avait plutôt pris par exemple un facteur moyen de désaisonnalisation pour les mois de novembre, la population active aurait augmenté de 170 k travailleurs, au lieu de 138 k. Le taux de chômage aurait été encore plus élevé. 

Graphique 5 : Comparaison du facteur de désaisonnalisation de l'EF au Canada pour tous les mois de novembre

À nouveau, on peut constater que la hausse massive de la taille de la population active était tellement considérable et invraisemblable aux yeux des analystes de Statistique Canada qui avaient été affectés à cette tâche lorsqu’il s’agissait d’analyser logiquement l’Enquête sur la population active, qui porte sur un échantillon modeste qu’on a choisi un facteur de désaisonnalisation très faible pour compenser ce qui était exposé.

Et les marchés ont confiance dans ces chiffres?

Les détails

Or, les marchés s’en sont aussi remis non pas à la tendance sur laquelle devrait s’attarder la BdC à mon avis, mais plutôt aux détails que masque le rapport le plus récent. C’est au secteur public (45 k) que l’on doit l’intégralité du bond de 50,5 k des emplois salariés, puisque les emplois salariés du secteur privé n’ont augmenté que de 6,3 k et que les postes de travailleurs autonomes ont fait du surplace (‑0,7 k). Tout ça dans le même mois. Tant pis pour la tendance qui indique que les emplois du secteur public ont baissé dans les derniers mois, comme on l’a fait observer, alors que les emplois du secteur privé ont monté en flèche; les marchés ne se sont préoccupés que du mois le plus récent et ont porté un jugement normatif sur ce qui est bon ou mauvais dans l’emploi.

Il n’empêche qu’il y a énormément de très bons emplois dans le secteur public. La hausse du mois dernier n’a pas été portée par les fonctions dans l’administration publique (‑2 k), ce qui est encourageant, du moins pour moi, puisque cette catégorie est atteinte de folie depuis 2015. Je ne suis pas entièrement certain, en toute honnêteté, de ce qui explique ce chiffre. Le secteur de l’éducation, qui regroupe les emplois du secteur privé comme du secteur public, a comptabilisé 15 k emplois de plus. Dans le secteur de la santé et de l’aide sociale, le nombre d’emplois n’a augmenté que de 8,6 k, ce qui comprend encore là les emplois du secteur public et du secteur privé. Comment expliquer alors le reste du gain du secteur public, soit 45 k emplois? Il se peut que les constituantes publiques de ces secteurs aient augmenté considérablement pour compenser la léthargie des constituantes du secteur privé. Il se peut aussi que le bruissement du sondage explique l’artificialité de ce rapport.

Les autres détails ont été vigoureux. On doit l’ensemble du gain aux emplois à temps plein (+54 k), puisque les emplois à temps partiel ont plongé de 3,6 k. Il s’agit de la tendance depuis un certain temps maintenant, puisque l’emploi à temps plein a bondi de 192 k dans les trois derniers mois et que l’emploi à temps partiel a perdu 80 k.

Sectoriellement au Canada, le bond a été mené par les services à +71,5 k, par le commerce de gros et de détail à +38,7 k, par l’éducation à 15,4 k, par les services professionnels, scientifiques et techniques à 17,4 k, de même que par les services d’hébergement et de restauration à 15,3 k (graphique 6).

Graphique 6 : L'évolution, en novembre, des niveaux d'emploi au Canada par secteur

Les salaires horaires des employés permanents ont reculé de ‑5,5 % sur un mois en rythme désaisonnalisé et annualisé; il faut toutefois rappeler qu’ils avaient explosé de +8,3 % sur un mois en données désaisonnalisées et annualisées dans le mois précédent, et je ne m’étonne pas de constater que leur moyenne se soit infléchie en novembre. Il faut lisser les chiffres sur de nombreux mois (graphique 7).

Graphique 7 : Les salaires horaires moyens des travaileurs permanents

Je vais donc dire un dernier mot sur ce qui télégraphie peut‑être d’éventuelles inquiétudes. Les heures de travail ont perdu ‑0,2 % sur un mois en données désaisonnalisées pour enchaîner une troisième baisse en quatre mois. Les heures de travail accusent un recul de ‑0,5 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et annualisées jusqu’à maintenant au T4, après avoir inscrit deux honnêtes gains trimestriels (graphique 8), ce qui n’est pas de bon augure pour le PIB du T4, à moins que se produise un miracle de productivité. Ce pourrait être le cas, en raison des nombreux chiffres d’activité orientés tendanciellement à la hausse. Ce changement serait bien accueilli.

Graphique 8 : Le total des heures de travail au Canada

Ainsi, pour conclure, j’attribuerais une probabilité de 70 % à une baisse de 50 points de base de la BdC la semaine prochaine. Si nous surbaissons à nouveau les taux, j’espère qu’il y aura un parti pris beaucoup plus attentif, voire un signal pur et simple selon lequel on abaisserait les taux à 3,25 % et 175 points de base de moins que le pic du taux directeur si la Banque est prête à s’accorder une plus longue période de réflexion pour voir comment se déroulera le reste.

Tout le reste de cette évolution pourrait se dérouler d’une manière très défavorable à un assouplissement ambitieux. Le gouvernement fédéral, l’Ontario et la Colombie-Britannique vont distribuer au printemps des milliards en chèques. La baisse « temporaire » de la TPS et de la TVH entrera en vigueur dans quelques jours et est vraisemblablement appelée à être permanente. L’assouplissement des règles hypothécaires interviendra à peu près au même moment que la baisse de la TPS et de la TVH. Il faut aussi penser à la possibilité distincte que nous ayons atteint le plus creux du PIB et des dépenses de consommation réelles par habitant (graphique 9), sans même retrancher les travailleurs temporaires des chiffres de la population, alors que je continue de penser qu’il aurait fallu le faire.

Graphique 9 : Impact du Plan d'immigration du Canada

Allons-y donc! Abaissons les taux de 50 points de base. Vous serez à un quart de point au-dessus de votre fourchette du taux neutre. Si Donald Trump impose les tarifs douaniers de 25 %, vous aurez l’air brillants, même si vous dites que vous ne bougez pas tant que vous n’avez pas réuni les faits. Si Trump n’impose pas ces tarifs ou que le Canada riposte et provoque ainsi une flambée de l’inflation, on se reverra alors de l’autre côté des effets de décalage sur les marchés du logement et de la consommation. Désolé, M. Poloz : l’économie du Canada est loin de la récession, même si je suis certain que le gouverneur Tiff Macklem apprécie votre ombrage. J’ai bien peur que nous soyons susceptibles d’aller beaucoup trop loin en devançant nos prévisions en raison de la demande refoulée, de l’épargne refoulée et des effets décalés de l’immigration antérieure et des résidents permanents sur les marchés du logement et de la consommation.