LE PROCHAIN DIRIGEANT DU CANADA DEVRAIT S’ENGAGER EXPRESSÉMENT À AMÉLIORER LE TRAIN DE VIE DES CANADIENS

  • Les Canadiens pourraient être appelés aux urnes fédérales d’ici quelques semaines. Les aspirants à la direction du pays seront mis au défi de présenter une vision à long terme incontestable — et unifiée — pour le pays, d’autant plus que la menace immédiate d’une guerre commerciale les guette.
  • La création d’une vision est souvent la partie facile de la tâche. Dans l’anticipation électorale, les dirigeants font souvent de vastes promesses pour améliorer la qualité de vie des Canadiens. Or, l’exécution de la vision accuse fréquemment des lacunes, et trop souvent, ces promesses ne se traduisent pas par des améliorations significatives et généralisées du train de vie.
  • Les Canadiens devraient réclamer de meilleurs résultats à leurs gouvernements. Les élections fédérales offrent l’occasion d’adopter un mécanisme formel de redevabilité pour obliger les dirigeants à agir. Une cible économique explicite, liée au bien-être national, pourrait inculquer une plus grande rigueur dans l’élaboration des politiques, obliger à faire des compromis et, essentiellement, lancer des signaux clairs et opportuns quand le gouvernement déraille.
  • Nous proposons que les dirigeants s’engagent à hausser de 2 % par an, durablement, le PIB réel par habitant. Bien que ce soit loin d’être parfait, le PIB par habitant est mesurable, d’actualité et facile à comprendre pour les Canadiens. Des gains plus solides finissent par rehausser les revenus réels des ménages. Ce niveau d’ambition équivaudrait à un gain annuel composé de ~1 200 $ par personne, soit presque 5 000 $ sur un mandat de quatre ans (graphiques 1 et 2).
  • L’envergure de l’effort à consacrer pour atteindre une cible de 2 % dans la croissance du PIB par habitant serait gigantesque. Il faudrait égaler les premiers investissements dans le capital humain du pays en consentant dans les infrastructures des investissements tout aussi audacieux. Il faudrait aussi assurer une coordination extraordinaire dans l’ensemble des leviers de la politique, ce qui ne laisse guère de marge pour la distraction.
  • Les investissements annuels dans les infrastructures devraient augmenter d’environ ~15 % (soit une progression incrémentielle de ~60 G$) pour permettre d’atteindre cette cible. À l’heure actuelle, les hausses annuelles suivent à peine le rythme de la dépréciation, sans parler de la croissance de la population. Même dans ce cas, il faudrait mener des réformes structurelles approfondies pour déverrouiller les gains factoriels totaux de productivité complémentaires pour que le calcul fonctionne.
  • L’ampleur même du défi devrait inciter les dirigeants politiques à tracer un parcours qui se rapproche au moins du niveau d’ambition auquel s’attendent les Canadiens.
  • Or, il ne faudrait pas sous‑estimer les investissements budgétaires potentiels et le bénéfice politique nécessaire. Le prix pour la bourse publique pourrait représenter des points de pourcentage — et non des décimales — du PIB si le Canada veut se prémunir contre l’incertitude à court terme et verser un acompte sur la transformation de l’économie à long terme grâce à des politiques mûrement réfléchies, qui incitent le secteur privé à investir davantage.
  • Les aspirants à la direction doivent être honnêtes avec les Canadiens s’ils veulent obtenir un permis pour exécuter ce genre de programme. Ils doivent aussi établir des structures‑cadres rigoureuses pour la transparence et la redevabilité, en veillant à accomplir des progrès démontrables dans la réalisation de leurs engagements s’ils veulent garder ce permis.
Graphique 1 : PIB par habitant; Graphique 2 : Gains cumulatifs potentiels du PIB réel par habitant

AUX URNES CITOYENS!

Les Canadiens se rendront bientôt aux urnes : le Parlement sera prorogé jusqu’au 24 mars à l’heure où le Parti libéral au pouvoir se prépare à élire un nouveau chef le 9 mars. Les partis de l’opposition ont laissé entendre qu’ils réclameront un vote de défiance dès la reprise des débats au Parlement, ce qui pourrait déclencher des élections précoces. Or, le nouveau premier ministre pourrait tâcher de retarder le vote afin d’adopter des lois urgentes avec l’aide des autres partis — surtout si les tensions se multiplient avec les États-Unis. Toujours est‑il que les élections sont inévitables : le scénario le plus probable prévoit des élections au printemps et, au plus tard selon la loi, en octobre.

La course s’annonce concurrentielle. Les récents sondages font état d’un rapprochement important de l’écart entre le chef du Parti conservateur et le candidat à la chefferie du Parti libéral. Si les plateformes concrètes des politiques ne se font jour que lorsque le bref électoral sera émis, les premiers messages laissent entendre que les dirigeants souhaitent se distinguer sur l’ensemble des fronts habituels du point de vue des politiques. Les divergences potentielles dans les politiques‑cadres pourraient avoir des incidences sectorielles, au sein des industries et dans l’ensemble de ces industries. Or, le basculement des politiques américaines pourrait en définitive plonger dans l’ombre le programme intérieur, quel que soit le parti qui finira par l’emporter.

SUR LA SELLETTE

Les Canadiens devraient exiger de meilleurs résultats de la part de leurs gouvernements. Les prochaines élections fédérales offrent l’occasion de fortifier la redevabilité des gouvernements pour les décisions qui façonnent l’avenir du pays. Si les élections servent déjà à faire le point sur la piètre gouvernance — en permettant aux électeurs de remplacer les dirigeants inefficaces —, un mécanisme de redevabilité mieux structuré pourrait permettre de faire concorder les promesses politiques avec les attentes du public. Les plateformes électorales sont souvent bondées d’ambitieuses propositions pour améliorer la trajectoire du pays. Parfois, elles sont fructueuses; d’autres fois, elles sont vaines. L’absence de mécanisme d’engagement exécutoire est l’enjeu fondamental des plateformes : plus un parti politique avance des promesses, plus il devient facile de revendiquer le succès, même quand dans l’ensemble, les politiques ne réussissent pas à produire d’importantes retombées économiques.

Nous proposons que les prétendants au poste de premier ministre s’engagent à atteindre une cible économique précise — liée directement au train de vie — lorsqu’ils se feront entendre auprès des Canadiens. La croissance du PIB par habitant pourrait constituer une option raisonnable. L’accroissement de la productivité et de la production par travailleur porte des hausses de salaire non inflationnistes et durables et finit par améliorer les revenus des ménages au fil du temps. Le prochain gouvernement pourrait fixer une cible précise pour la croissance du PIB par habitant, en s’engageant à réaliser une hausse annuelle spécifique ou à respecter un objectif cumulatif pendant la durée de son mandat. Bien qu’il ne s’agit pas d’un baromètre parfait — compte tenu des récentes distorsions produites par la croissance fulgurante de la population —, il s’agit de l’un des indicateurs les plus transparents, d’actualité et faciles à comprendre pour mesurer les progrès économiques.

Cet engagement pourrait apporter de la rigueur aux plateformes des partis politiques, en servant de filtre macroéconomique pour les politiques proposées. Il amènerait les partis à structurer leurs plateformes autour d’un objectif tangible, étayé par une structure‑cadre claire pour mesurer les progrès, évaluer les compromis et gérer les risques. Si les politiques du gouvernement ne permettent pas d’atteindre la cible, les décideurs seraient obligés de réévaluer leur approche et d’apporter les mises au point nécessaires afin de produire les gains économiques promis.

Ce niveau de redevabilité est courant dans d’autres secteurs. Les sociétés cotées en Bourse publient couramment des prévisions sur leurs résultats, en décrivant dans leurs grandes lignes les moyens grâce auxquels elles prévoient d’atteindre les cibles bénéficiaires. Si elles ne répondent pas aux attentes, le cours de leurs actions baisse, les dirigeants sont tenus responsables, les rémunérations se réduisent, et la direction adapte les stratégies en conséquence. Dans la sphère publique, le mandat de ciblage de l’inflation de la Banque du Canada constitue un outil de redevabilité tout aussi précis et mesurable. Le gouverneur doit expliquer ses décisions huit fois par an et doit constamment corriger le tir lorsque les données s’écartent des attentes.

La responsabilité politique est essentielle. D’innombrables cercles de réflexion, conseils de croissance et organismes internationaux réclament des objectifs économiques tout aussi ambitieux; or, aucun gouvernement n’a pris l’entière responsabilité d’une cible transparente, aux enjeux élevés, qui permettrait de faire une évaluation significative. Un objectif bien défini pour la croissance du PIB par habitant obligerait les gouvernements à expliquer les déficits et à exposer les mesures correctives, en veillant à ce que les Canadiens puissent mener un examen public plus fouillé. Ce type d’engagement pourrait constituer un pas de trop pour les dirigeants, et les chocs pourraient faire dévier les gouvernements de leurs parcours. Or, le principe prépondérant tient toujours : les plateformes politiques, et les interventions menées par la suite si le parti politique est élu, devraient simplement viser à produire, pour les Canadiens, des retombées économiques tangibles.

Les critiques pourraient faire valoir que la saine gouvernance n’est pas seulement une question de croissance économique : il s’agit de faire appliquer les lois, d’assurer les services publics, de protéger les droits et de veiller sur la sécurité nationale. Or, la baisse de la productivité du Canada menace toutes ces responsabilités. Si les dirigeants sont sérieux et veulent vraiment protéger la prospérité à long terme du pays, ils doivent tracer un parcours économique clair — en commençant au sommet — et en adoptant des mécanismes pour responsabiliser les dirigeants élus.

INTRÉPIDE, MAIS CONCENTRÉ

Une cible du PIB par habitant devrait être ambitieuse, mais atteignable. Il n’y a pas de chiffre magique. Or, l’histoire permet d’éclairer les fourchettes envisageables. Durant l’âge d’or économique des années 1980, le PIB par habitant a progressé à un rythme annuel moyen de 2,5 %, porté en partie par la libéralisation du commerce. Il s’est ralenti légèrement à 2,2 % dans les années 1990 et au début des années 2000, lorsque l’ère de l’Internet a décollé, jusqu’au début de la crise financière mondiale (CFM). Dans la reprise qui a suivi la CFM, le taux de croissance annuel a été de l’ordre de 1,5 % jusqu’en 2015; il s’est par la suite réduit à 0,7 % à peine dans les années qui ont précédé la pandémie, puisque les investissements dans le secteur des ressources ont fléchi et que la croissance de la population a pris de la vitesse. Depuis la COVID-19, la moyenne n’a pas bougé, en masquant des baisses annuelles de l’ordre de ‑1,5 % dans les deux années les plus récentes, puisque la croissance explosive de la population est venue submerger le numérateur.

Il serait ambitieux de fixer une cible de 2 % pour la croissance du PIB par habitant. Bien que l’on s’attende à un rebond à court terme alors que la croissance de la population se stabilise et que les nouveaux arrivants s’intègrent, les projections à moyen terme laissent entendre que pour cet indicateur, la croissance serait probablement de l’ordre de 0,9 % à moyen terme, d’après les hypothèses de nos plus récentes prévisions économiques. Atteindre un rythme de croissance soutenu de 2 % ne ferait que ramener le Canada à sa trajectoire prépandémique (2010‑2019) d’ici la fin de la décennie. Une cible de 1,5 % — qui cadrerait avec le rythme de croissance d’après la CFM de 2010 à 2014 — pourrait être plus réaliste, sans toutefois répondre aux attentes des électeurs.

Les dividendes économiques rapportés par une cible de croissance de 2 % pourraient être considérables. On estime à 58 700 $ (en dollars de 2017) la production par habitant en 2024. À 2 %, la croissance donnerait lieu à un gain annuel composé de 1 200 $ en chiffres réels — soit un résultat net de ~700 $ au‑delà d’un scénario de base — par habitant. 1 Sur un mandat de quatre ans, il pourrait s’agir d’un supplément de 5 000 $ par personne — soit 2 600 $ de plus que le référentiel —, ce qui porterait cet indicateur à 65 000 $ en chiffres corrigés de l’inflation en 2029. L’économie du Canada, à 2 400 milliards de dollars, progresserait de presque 5 % de plus au cours de cette période par rapport au scénario habituel.

Une cible de 2 % pourrait être non seulement ambitieuse, mais essentielle dans l’éventualité d’une guerre commerciale prolongée et sérieuse. Un grave conflit commercial — dont des surtaxes de 25 % et des représailles partielles — pourrait faire plonger en territoire négatif le PIB par habitant sur les deux prochaines années avant qu’il se rétablisse pour atteindre une limite de vitesse modeste à moyen terme de 0,9 %, bien que calculé à partir d’un référentiel inférieur, ce qui donnerait une baisse du PIB de l’ordre de 3,7 %. Un ambitieux programme de croissance serait crucial pour veiller à ce que les gains du revenu réel par habitant restent en territoire positif sur l’horizon prévisionnel.

DES INVESTISSEMENTS PLUS VIGOUREUX POUR DE MEILLEURS RÉSULTATS

Le rendement abyssal de la productivité du Canada a été abondamment documenté. Si la crise a été déclarée l’an dernier, la baisse tendancielle s’est accélérée il y a une dizaine d’années lorsque les investissements dans les ressources se sont repliés, pour allonger la liste des difficultés structurelles. Font partie des facteurs essentiels, la réglementation encombrante, la léthargie de la compétitivité externe, un régime fiscal dépassé, des barrières commerciales internes et une tolérance au risque généralement faible, entre autres vents contraires.

La hausse des investissements dans les infrastructures est une clé importante pour déverrouiller considérablement le rendement de la productivité et, par le fait même, la prospérité du Canada. Fondamentalement, le PIB par habitant est fonction du ratio capital-travail et de la productivité de ces intrants. (Un tableau plus complet tiendrait également compte de l’équilibre des taux de chômage et de participation.) Le Canada a consacré d’importants investissements à son capital humain dans les dernières années, qu’il s’agisse des politiques migratoires ou des programmes de garde d’enfants; or, ces efforts n’ont pas été suivis d’investissements en infrastructures tout aussi ambitieux. C’est pourquoi le stock de capital par travailleur n’a pas cessé de s’effriter dans la dernière décennie (graphique 3).

Graphique 3 : Stock réel de capital par travailleur

L’importance des investissements à consacrer pour atteindre une cible de 2 % dans la croissance du PIB par habitant est énorme. À titre d’exemple, pour accroître le stock de capital par travailleur de 2 % par an — rythme qui correspond à l’essor économique entamé au début des années 2000 — obligerait à augmenter le stock de capital non résidentiel de l’économie pour passer de 2 700 milliards de dollars environ (en dollars de 2017) à 3 000 milliards de dollars dans un mandat de quatre ans (graphiques 4 et 5). Cet écart paraît gérable à première vue puisque les investissements non résidentiels annuels réels ont varié aux alentours de 330 G$ dans la dernière décennie. Or, l’essentiel de ces investissements ne fait que compenser la dépréciation, qui s’est établie à une moyenne de 305 G$ par an au cours de cette période. 

Graphique 4 : Stock réel de capital par travailleur; Graphique 5 : Investissements dans les infrastructures non résidentielles et stock de capital

Il faudrait que les investissements annuels en capital augmentent d’environ 15 % (ou que la croissance annuelle moyenne progresse de ~60 G$) pour concorder avec ce rythme de creusement du capital (graphique 6). Sur un mandat de quatre ans, les besoins incrémentiels en investissements s’établiraient à 250 G$. Même dans ce cas, il serait difficile d’atteindre une cible de croissance de 2 % du PIB réel par habitant, puisque la part du capital du pays dans le PIB est de l’ordre de 35 %. Pour produire ces résultats, il faudrait réaliser les conditions voulues pour une intervention vigoureuse dans la productivité multifactorielle (PMF). (D’après une fonction de production Cobb-Douglas, si les taux de croissance du PIB par habitant, de la population et du creusement du capital sont fixes, le taux de croissance de la PMF nécessaire correspond au résiduel.) À lui seul, ce calcul laisse entendre que le rendement de la PMF doit être de l’ordre de 1,3 % par an, ce qui n’est possible qu’en apportant des mises au point structurelles massives, en plus de ce relèvement illustratif des investissements (graphique 7). 

Graphique 6 : Investissements dans les infrastructures non résidentielles; Graphique 7 : Croissance de la productivité par constituante

DE LA PELLE AU PARTAGICIEL

Un programme centré sur la productivité permettrait de renchérir sur les secteurs qui pourraient produire les gains les plus importants. Les secteurs de l’extraction minière et des services publics détiennent à eux seuls la moitié du stock de capital du secteur privé du pays, alors que le transport et l’entreposage ainsi que les activités manufacturières portent cette part aux trois quarts. (Les gouvernements détiennent le quart de l’ensemble du stock public et privé [graphique 8].) Il faut aussi penser — pour l’essentiel, aux secteurs dont les niveaux de productivité sont les plus élevés (graphique 9).

Graphique 8 : Stock de capital par industrie; Graphique 9 : Productivité par secteur

Or, l’évolution du stock de capital du Canada varie considérablement parmi les secteurs qui offrent ces rendements démesurés (graphique 10). Les investissements dans le transport et l’entreposage ont bondi depuis le début du siècle pour atteindre une extrémité du spectre, alors qu’on a évidé l’activité manufacturière à l’autre extrémité. La forte accumulation du capital dans le secteur de l’extraction minière a cédé la place à un brusque repli depuis 2015, alors que les investissements dans les services publics ont été freinés dans la dernière décennie malgré d’évidents besoins. (Nous avons tracé la courbe du secteur de la construction même s’il ne représente que 2 % du stock du capital privé, puisqu’il détient une clé essentielle pour déverrouiller l’offre de logements.) 

Graphique 10 : Évolution du stock de capital

Un retour sur la voie de la prospérité obligerait à consacrer des investissements à grande échelle aux infrastructures pour enrayer les blocages qui limitent la mise en valeur des ressources, soit la capacité des ports, du chemin de fer et de la voirie et les oléoducs, entre autres. Il faut aussi investir massivement dans l’espace de la production de l’énergie, puisque les pénuries de la capacité de production de l’électricité représenteront de lourdes contraintes pour la croissance à terme, comme le reconnaît par exemple Hydro‑Québec. (La production d’électricité évolue tendanciellement à la baisse depuis la pandémie!) Le simple fait de hausser les niveaux d’investissement pour atteindre les pics précédents dans le secteur de l’extraction minière et dans les services publics seulement représenterait un incrémentiel de 50 G$, alors que le rétablissement des investissements de l’État à leur pic de 2010 porterait ce total à près de 70 G$ (graphique 11). 

Graphique 11 : Investissement annuel des capitaux En G $

L’intérêt pour la transition vers une économie de l’innovation a donné lieu à beaucoup de belles paroles. Or, l’essentiel des actifs de la production intellectuelle (PI) du Canada se trouve toujours dans ces industries traditionnelles (graphique 12), ce qui ne contredit pas le besoin essentiel de miser sur des chefs de file plus nombreux dans l’économie de cette ère nouvelle (et dans la modernisation des derniers de classe). Or, il faut fixer un « point de départ » si le Canada veut percer clairement dans l’amélioration de sa productivité et de sa prospérité.

Graphique 12 : Investissements dans la propriété intellectuelle

LE RÔLE DE CATALYSEUR

Pour déverrouiller à cette échelle les investissements du secteur privé, il faudrait probablement lui offrir d’importants programmes d’incitation. Le démantèlement des obstacles non financiers pourrait faire pencher la balance pour un accroissement des investissements privés, à défaut de dépenses publiques; or, l’absence de progrès jusqu’à maintenant n’est guère prometteuse. Le gouvernement devra vraisemblablement recourir à des mesures budgétaires — que ce soit dans le cadre de programmes, de partenariats ou de la privatisation — pour encourager le secteur privé à réagir plus vigoureusement. Rappelons (en masquant un grand degré de complexité) que la Banque de l’infrastructure du Canada entend mobiliser 3 $ d’investissements privés et institutionnels pour chaque dollar de l’État. Les ratios des récents programmes de subventions industrielles étaient inférieurs à 1/1. Ces fourchettes pourraient facilement placer la part des investissements publics dans les écarts précédents entre 0,5 % et 2,5 % du PIB par an, selon la nature des investissements et la conjoncture économique dominante — et bien entendu l’efficacité des outils déployés.

Le Canada ne pourra pas corriger son déficit d’investissements grâce à une seule politique. Les efforts précédents — dont les incitations fiscales à investir, les crédits de R‑D et l’amortissement des dépenses en immobilisations — ont eu un impact macroéconomique limité. Il pourrait être utile d’étendre ou d’accélérer ces mesures. Or, il se peut que le gouvernement doive prendre un risque budgétaire encore plus important à court terme pour lancer cette reprise de l’investissement. Les simples réalités veulent qu’il faille compter du temps avant que les mesures d’accroissement de l’investissement portent fruit, si elles sont fructueuses.

L’autre réalité veut que l’incertitude dans laquelle sont actuellement plongés les Canadiens par rapport au programme économique du président Trump paralyse le déploiement du capital. Il faut réfléchir anticonventionnellement pour trouver les moyens de triompher de cette incertitude à court terme et de verser un acompte sur le capital nécessaire pour transformer notre économie à la lumière de l’instabilité de la relation économique avec les États-Unis. Une approche pourrait consister à réduire considérablement et temporairement le coût du capital pour les entreprises. Il se peut qu’on doive engager des dépenses à grande échelle, surtout si les États-Unis donnent suite à la volonté du président Trump à cet égard, ce qui ne permettra toutefois pas de triompher de l’incertitude si ces mesures sont permanentes. Une entreprise pourrait toujours déduire de ses revenus cette dépense à un moment donné lorsqu’elle consent des investissements. Une simple subvention complémentaire et limitée dans le temps, pour compenser les dépenses initiales des entreprises, dont les entreprises en démarrage, à une échelle suffisante pour produire un impact mesurable pourrait constituer un puissant incitatif pour triompher de l’incertitude à court terme. Une subvention complémentaire de 25 % consacrée par exemple aux machines, aux biens d’équipement et à la propriété intellectuelle pourrait coûter chaque année entre 60 et 70 G$, selon le taux de participation (graphique 13). Ainsi, les entreprises auraient par exemple 24 mois pour profiter d’une réduction rétrospective du coût du capital. Les investissements consentis au‑delà de ce délai seraient à nouveau soumis à des procédures opérationnelles normales.

Graphique 13 : Investissements non résidentiels fixes

On pourrait mettre au point et adapter les politiques d’encouragement des investissements en faisant appel à un certain nombre de moyens. Or, nos estimations se rapportent à l’ampleur des objectifs d’investissement de base souhaités — et aux attentes qui les accompagnent. Nous parlons potentiellement de points de pourcentage — et non de décimales — du PIB lorsqu’il est question des besoins éventuels en investissements publics.

SUER MAINTENANT POUR BRILLER PLUS TARD

On ne sait pas clairement ce qui explique précisément le sous‑investissement au Canada, et ce qu’il faut faire est encore moins clair. Or, il est évident que l’investissement des entreprises est une responsabilité commune des milieux d’affaires et du gouvernement. Ils doivent tous deux collaborer pour relever l’investissement au Canada, en misant sur les finances publiques tout en donnant au secteur privé les moyens d’investir dans les secteurs les plus productifs. Cet effort doit être d’envergure, d’autant plus que les menaces tarifaires continues risquent de déstabiliser encore plus la trajectoire économique du Canada.

Par contre, le Canada a besoin d’un plus grand nombre de projets investissables et d’une meilleure conjoncture pour les investisseurs. Un paysage réglementaire prévisible et efficient serait utile. Or, le pays doit aussi poursuivre le dialogue sur les mesures à prendre pour réduire potentiellement les déficits dans les investissements infrastructurels publics grâce à une meilleure participation (volontaire) du secteur privé à long terme. En outre, le Canada doit avoir un plus grand goût du risque, une plus grande tolérance à l’échec (dans une certaine mesure) et une structure‑cadre réglementaire vigoureuse, qui permet de réaliser l’équilibre voulu.

Plusieurs mises au point structurelles fortifiantes devraient être essentielles pour un programme de croissance — sur toutes les plateformes des partis politiques. C’est maintenant ou jamais qu’il faut démonter au Canada les barrières commerciales (et non commerciales) internes. Il est impératif de mener un examen fiscal procroissance complet pour tous les dirigeants qui sont sérieux à propos des progrès économiques. Cet examen devrait s’accompagner d’un examen complet des transferts, compte tenu de leur rôle essentiel dans la redistribution parmi les ménages, les régions et les paliers de gouvernement. Le gouvernement doit bien dimensionner son empreinte pour encourager l’investissement du secteur privé au lieu de le paralyser. En outre, tous les paliers de gouvernement devraient s’engager à implanter un système de la taxe unique, en sachant que la structure de gouvernance fortement décentralisée du Canada ne permet pas de produire des résultats ni de tenir responsables les dirigeants élus.

La liste des vœux est beaucoup plus longue et est encore plus urgente aujourd’hui. Il est essentiel que le prochain dirigeant du Canada soit responsable de l’objectif ultime qui consiste à protéger la prospérité du pays et à tracer un parcours crédible pour atteindre cet objectif. Il s’agit de la meilleure assurance à donner aux Canadiens, quelle que soit l’évolution des politiques au sud de la frontière.

1 Le scénario de base fait appel aux hypothèses des prévisions du 10 février 2025 des Études économiques de la Banque Scotia, alors que le scénario tarifaire se fonde sur les estimations du 28 novembre 2024 des Études économiques de la Banque Scotia (surtaxes de 25 % et demi‑représailles). Pour les scénarios d’approfondissement du capital, le scénario de base est tout simplement fondé sur un taux de croissance annuel du stock de capital de 1,1 %, ce qui correspond à la tendance prépandémique, alors qu’on fait appel à un taux d’amortissement historique (12,3 %). 

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