CANADA : LA PROMOTION DE LA DÉCARBONATION PAR LES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (PME) EST ESSENTIELLE POUR ATTEINDRE LES CIBLES CLIMATIQUES.

  • Les PME représentent 98 % des entreprises employeurs : elles emploient 68 % de la population active et sont responsables de 39 % des émissions nationales de GES au Canada.
  • Les PME affrontent des obstacles qui imposent des contraintes dans les choix qui s’offrent à elles pour réduire les GES, dont l’accès limité au capital, les ressources insuffisantes pour mettre en œuvre des projets et les baux.
  • Ces obstacles empêchent de nombreuses PME d’agir pour réduire les GES à des rythmes accélérés, malgré la multiplication des pressions exercées par les marchés et par les politiques.
  • En particulier, la politique crée l’urgence d’agir : l’industrie finance actuellement les deux tiers environ des recettes fédérales en redevances sur les combustibles, et les règlements d’application dans la déclaration des chaînes logistiques ESG offrent d’autres mesures d’incitation.
  • Tout porte à croire qu’il faut faire plus pour permettre aux PME de réduire leurs émissions polluantes, à l’heure où elles ne perçoivent guère de recettes au titre des redevances sur les combustibles et puisque les politiques existantes sont désorganisées et que la décarbonation des PME est une politique déclarée pour seulement deux gouvernements provinciaux.
  • Le dialogue mené pour aider les PME doit basculer : au lieu de porter sur ce que les gouvernements devraient faire à eux seuls, il faut plutôt nouer des partenariats plus solides entre les gouvernements, les institutions financières, les grandes entreprises et la société civile, en offrant des choix plus vastes pour les petites entreprises.
  • Ces partenariats devraient prioriser la promotion du capital disponible grâce à des outils de financement mixtes, à l’aide apportée dans le développement de la capacité pour permettre de recueillir et d’utiliser les données ESG, ainsi que le ciblage plus rigoureux des émissions en amont et dans l’« empreinte des bâtiments ».

Les PME constituent un aspect important (et divers) du tableau des émissions nationales. Elles représentent 97,9 % des entreprises employeurs au Canada, elles emploient 67,7 % de la population active et elles ont apporté 50,4 % au PIB du secteur privé en 2019. Malgré tout, il n’y a aucune donnée officielle sur leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). En nous inspirant des données de Statistique Canada et de l’Institut climatique du Canada, nous estimons que les PME sont responsables de 38,7 % des émissions nationales (soit l’équivalent d’environ 261 mégatonnes). Autrement dit, les PME sont responsables de 44,9 % des émissions de toutes les entreprises d’un océan à l’autre, et leur contribution varie selon le secteur (graphique 1). Il faudra donc faire baisser considérablement, en pourcentage, les émissions de GES à l’échelle nationale pour atteindre les objectifs dans la réduction des émissions. 

Graphique 1 : Estimation des émissions de GES au Canada par secteur et selon la taille des entreprises en 2021*

Qu’est-ce qui oblige les PME à réduire leurs émissions? Les marchés et la politique, comme partout ailleurs. De nombreuses PME doivent acquitter la redevance sur les combustibles en vertu des politiques fédérales et provinciales, puisqu’elles ne dépassent pas le seuil annuel de 50 kt d’éq. CO2 à déclarer en vertu du système fédéral ou provincial de tarification du carbone industriel. L’information obligatoire à déposer par les sociétés cotées en Bourse et les grands émetteurs‑pollueurs font partie des facteurs majeurs qui pèsent sur les PME. Dans un rapport publié en 2023, la Banque de développement du Canada (BDC) fait savoir que 59 % des PME qui approvisionnent les grandes organisations doivent déjà déclarer leur performance ESG, et ce chiffre devrait augmenter pour passer à 72 % en 2029. L’information obligatoire à publier est définie dans les Directives de l’Union européenne en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dans les mesures comparables de la SEC et de la Californie, ainsi que dans les programmes de déclaration volontaire. Les PME qui constituent les chaînes logistiques interviennent pour une partie des émissions de portée 3 des grandes entreprises et doivent déclarer cette information ou risquer de perdre des clients. Les mesures volontaires et obligatoires adoptées pour amener les propriétaires d’immeubles commerciaux à améliorer la performance de leurs bâtiments, en mettant l’accent sur la consommation de l’énergie et de l’eau, constituent un autre facteur qui entre en ligne de compte.

Malgré ces pressions, nombreuses sont les PME qui ne prennent pas de mesures pour réduire leurs émissions de GES. Les données de Statistique Canada nous apprennent qu’entre 61,3 % et 73,3 % des entreprises qui ont à leur service moins de 100 employés n’ont pris aucun engagement climatique et n’envisagent pas de se fixer des objectifs de carboneutralité. De nombreuses enquêtes statistiques font écho à ce déficit d’objectifs. Une enquête menée en 2022 par Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) a permis de constater que seulement 11 % des petites entreprises et 17 % des moyennes entreprises s’étaient fixé des cibles pour réduire leurs émissions à effet de serre d’ici 2050. Une enquête menée en 2023 sur la maturité nette de zéro par le Conference Board du Canada a aussi permis de constater qu’à l’heure actuelle, 37 % des entreprises ne se penchaient pas du tout sur la question des émissions polluantes.

Les obstacles autodéclarés dans la réduction des GES mettent en lumière le fait que les PME pourraient ne pas être en mesure de réagir aux impératifs des politiques et des marchés aussi facilement que la modélisation pourrait le prédire. Les données publiées par des groupes comme la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) et la Banque de développement du Canada (BDC) font état d’un certain nombre de difficultés déclarées par les entreprises dans la promotion des projets de réduction des émissions de GES (graphique 2). Il s’agit entre autres du manque de capitaux, des ressources insuffisantes pour assurer la mise en œuvre des projets et des problèmes de baux (71 % des petites entreprises étaient locataires en 2020, ce qui limite les changements qu’elles peuvent apporter à leur empreinte physique). Les PME font aussi savoir que nombre de ces difficultés constituent des obstacles dans l’adoption de solutions numériques pour améliorer la productivité, ce qui veut dire que les PME pourraient être appelées à surmonter des obstacles communs dans l’adoption des solutions nouvelles. Certains obstacles, dont l’absence de solutions de rechange disponibles pour l’utilisation finale, sont indépendants de la volonté des PME qui font appel à la technologie pour les surmonter. D’autres, comme la volonté de se consacrer à d’autres enjeux plus prioritaires, pourraient vouloir dire qu’on n’a pas suffisamment de ressources internes pour gérer les priorités supplémentaires. 

Graphique 2 : Pourcentage des pme qui ont fait état des obstacles suivants dans leur action climatique

Il faut se dire que ces obstacles sont des « contraintes d’optimisation » qui limitent les interventions que peuvent mener les PME pour réduire les émissions de GES. Les contraintes d’optimisation empêchent les entreprises de faire des choix qui produisent les meilleurs résultats du point de vue du bien-être (par exemple en réduisant leurs émissions et en minorant les sommes qu’elles paient au titre des redevances fédérales sur les combustibles. Dans bien des cas, les PME qui ne peuvent pas surmonter ces obstacles pourraient ne pas être en mesure d’intervenir et doivent soit absorber des coûts plus élevés pour les intrants, soit répercuter ces coûts sur les consommateurs.

Potentiellement à cause de ces obstacles, on a débattu la question des impacts financiers des politiques climatiques existantes sur les PME. La FCEI et le commissaire fédéral à l'environnement et au développement durable (qui fait partie du Bureau du vérificateur général) ont mis en lumière les impacts démesurés, sur la petite entreprise, des redevances sur les combustibles et ont réclamé des changements. Pour évaluer ces revendications, nous avons estimé les sommes que versent les PME au titre de la redevance des combustibles par rapport à ce qu’elles sont appelées à percevoir dans le financement dans le cadre du Programme de renvoi des produits de la redevance sur les combustibles (PRPRC). Le PRPRC est un programme de reversement des recettes mis au point pour aider les PME dans les secteurs prépondérants en émissions et exposés aux échanges commerciaux (FIEEEC) dans les administrations dans lesquelles s’applique le prix des émissions du gouvernement fédéral. Même si on n’a toujours pas distribué ces fonds, on réduira l’envergure du PRPRC à partir de 2024, lorsque le gouvernement fédéral annoncera qu’il reversera, aux PME dans différentes provinces, un pourcentage réduit des recettes mobilisées au titre de la redevance sur les combustibles (graphique 3). 

Graphique 3 : Total des produits à reverser dans le cadre du PRPRC par province*

Les recettes destinées à être reversées aux PME se chiffreraient à 7,9 % du total des recettes de la redevance sur les combustibles en 2023‑2024; or, ce chiffre baissera à 5 % à partir de 2024/2025. En reversant 5 % des recettes, on retournerait environ 1,25 G$ CA aux PME durant l’exercice 2030-2031, lorsque la redevance sur les combustibles sera égale à 170 $ la tonne. Il s’agit de 723 M$ CA de moins que ce qu’elles auraient encaissé si les proportions des recettes reversées étaient restées inchangées. La somme apportée par l’industrie dans chaque province par rapport à ce qui sera reversé en rendement varie : l’objectif déclaré de 5 % correspond à un chiffre national (graphique 4). Dans l’ensemble, l’industrie apporte essentiellement de 4,8 à 9,5 fois plus, en recettes au titre de la redevance sur les combustibles, que ce que les PME sont appelées à encaisser dans le cadre du PRPRC, et ce déficit est appelé à se creuser lorsque les recettes reversées seront réduites. (Cf. la méthodologie pour connaître tous les détails des calculs, des hypothèses et des mises en garde.)

Graphique 4 : Contribution en dollars à la redevance fédérale sur les combustibles par les entreprises par rapport aux sommes affectées au reversement destiné aux PME

Malgré cet écart et en dépit des contraintes auxquelles sont soumises les PME dans la réduction de leurs émissions de GES, les politiques ne consacrent pas beaucoup d’attention à la décarbonation des PME. La majorité des politiques à caractère climatique qui s’appliquent aux PME visent à aider les entreprises en démarrage à développer des technologies propres, au lieu de les aider à réduire leurs émissions de GES. À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires n’ont pas de stratégie pour promouvoir la décarbonation des PME, et cette difficulté n’est évoquée que dans deux lettres de mandat provinciales (Nouvelle-Écosse et Colombie‑Britannique). Les politiques existantes constituent un panachage d’approches déconnectées et incohérentes, qui varient selon la région, le secteur et les conditions d’admission. En raison de cette lacune, on ne sait pas vraiment, à l’heure actuelle, si les PME sont dans l’ensemble en voie d’atteindre les cibles climatiques et si elles reçoivent l’aide dont elles pourraient avoir besoin.

Il y a des risques macroconjoncturels si on ne prend pas de mesures plus importantes pour promouvoir la réduction des émissions des PME. L’augmentation du risque de crédit pour les prêteurs est l’un de ces risques : les entreprises qui ne peuvent pas répercuter les hausses de coût et rester concurrentielles risquent plus de fermer leurs portes. Un autre risque est celui de l’instabilité des politiques. Un environnement de politiques qui nuit aux PME pourrait diminuer le soutien politique apporté aux politiques qui réduisent les émissions de GES, ce qui augmenterait le risque de changements dans l’orientation des politiques dans les prochaines élections. Cette incertitude, qui crée un risque pour les investisseurs, pourrait mener à d’autres baisses des investissements dans les immobilisations (ainsi qu’à l’impuissance potentielle à atteindre les objectifs climatiques).

Il faut transformer le dialogue sur la décarbonation des PME et voir plus loin que les impacts des différentes politiques et l’utilisation des fonds publics. Il est évident que les PME doivent surmonter les obstacles dans la réduction de leurs émissions et qu’une meilleure aide leur serait utile. Or, un regard myope sur ce que les gouvernements devraient ou ne devraient pas faire fait abstraction du fait qu’ils ne devraient pas agir seuls. Il faudrait consacrer plus d’attention à discuter des moyens grâce auxquels tous les acteurs peuvent aider les PME à triompher des contraintes auxquelles elles sont soumises pour réduire leurs émissions de GES (idéalement à un rythme qui cadre avec les cibles climatiques à atteindre), en créant de meilleures options et en favorisant des progrès concrets. L’élargissement du fonds de capitaux disponibles, la promotion du développement de la capacité et l’amélioration de la collecte et de l’utilisation des données sont autant de secteurs dans lesquels les gouvernements peuvent nouer des partenariats avec les institutions financières, les grandes entreprises, les gestionnaires d’immeubles commerciaux et les groupes de la société civile afin de produire des résultats.

En somme, l’objectif consiste à promouvoir l’action climatique de façon à créer de meilleures options pour la petite entreprise. Il faudrait promouvoir trois priorités pour atteindre cet objectif. Il faut d’abord réduire les émissions produites par des facteurs qui échappent à la volonté des PME : continuer de réduire les émissions produites par l’énergie qui éclaire, chauffe et climatise les immeubles, tout en accélérant l’intervention plus vaste des propriétaires d’actifs et d’immeubles. La deuxième et la troisième priorités consistent à faire appel à des mesures nouvelles pour accroître la disponibilité des ressources dont les PME ont besoin pour agir, en misant sur les capitaux publics et privés et en favorisant la collecte et l’utilisation des données ESG. Les gouvernements et les établissements de crédit devraient créer des outils de financement mixte pour les projets de décarbonation des PME et s’assurer que ces outils sont assez souples pour s’adapter à tous les types d’entreprises. Il faudrait prioriser en particulier la réduction des émissions dans les espaces dans lesquels les PME exercent physiquement leurs activités et abaisser les coûts de l’accès aux programmes de financement existants des gouvernements. Les gouvernements et les grandes entreprises devraient aussi appuyer les programmes de sensibilisation et de développement de la capacité pour les PME qui adoptent les mesures essentielles nécessaires afin de promouvoir la décarbonation (dont la collecte et l’utilisation des données sur le rendement dans la réduction des émissions de GES et l’évaluation de la performance ESG pour les rapports sur les chaînes logistiques). La promotion de ces trois priorités améliorerait les options (et les ressources) offertes aux PME aux prises avec la pression d’agir et permettrait de s’assurer que les entreprises responsables de 50 % du PIB du secteur privé et de 45 % des émissions des entreprises sont épaulées à l’heure où le Canada préconise l’intervention climatique.

 

Méthodologie

Prévision des émissions de gaz à effet de serre des PME : Nous avons fait appel aux données extraites de la base de données sur l’intensité des émissions créée dans le cadre de l’initiative de 440 mégatonnes de l’Institut climatique du Canada (et mise au point en faisant appel aux données sur les émissions et sur les intrants‑extrants de 2021) et nous avons multiplié les données sur les émissions nationales de portée 1 et de portée 2 par la contribution des PME au PIB sectoriel. Ces contributions datent de 2020, soit l’année la plus récente pour laquelle nous avons pu consulter les données. Nous supposons que la contribution des PME en 2021 sera comparable à leur contribution de 2020. L’analyse exclut les émissions intrinsèques qui pourraient contribuer à l’ensemble de leur empreinte émissionnelle dans le cadre des pratiques d’approvisionnement des PME, ce qui a probablement pour effet d’augmenter ce total.

Estimations des coûts payés par rapport aux recettes reversées au titre de la redevance sur les combustibles et dans le cadre du PRPRC : Le total des recettes réunies au titre de la redevance fédérale sur les combustibles a été calculé d’après les données de 2020 (soit l’année la plus récente au cours de laquelle nous avons pu consulter les données) dans quatre administration assujettie au filet de sécurité fédéral 36‑10‑0678‑01 de Statistique Canada, selon les chiffres pour l’ensemble des totaux et pour les contributions par industrie. Nous avons ensuite comparé les données aux produits spécifiés par le ministère des Finances du Canada et qui seraient reversées dans le cadre du PRPRC.

Toutes les estimations sont établies en chiffres nominaux. Mises en garde : Les chiffres représentent le total des contributions de l’industrie aux recettes apportées par la tarification du carbone, et non les contributions des PME. (Il n’existe aucune donnée publique pour les contributions selon la taille des entreprises.) Les recettes du PRPRC ne sont pas destinées à indemniser intégralement toutes les PME; ces recettes sont reversées uniquement aux entreprises des secteurs prépondérants en émissions et exposées aux échanges commerciaux et qui pourraient subir les impacts de la concurrence. Au moment de la publication des données, on n’a pas annoncé de détails sur les bénéficiaires ni sur les mécanismes de financement. À l’heure actuelle, il n’existe pas de données diffusées publiquement sur les recettes reversées à l’Alberta en 2019-2020; c’est pourquoi nous avons consulté les données de 2020‑2021. Dans les autres provinces, les recettes reversées ont augmenté de 205 % à 253 % dans cet intervalle d’un an. Une estimation qui aurait pour effet de réduire d’autant les recettes reversées de l’Alberta aurait pour effet de réviser de 19,1 % à 8,1 % les chiffres sur les recettes reversées aux PME en 2020.