• Le Parlement du Canada continue de débattre du projet de loi tant attendu pour les nouvelles prestations d’invalidité promises dès les premiers jours de la pandémie.
  • Les défis sont de taille : plus d’un Canadien sur cinq est en situation de handicap, et seulement trois sur cinq ont un emploi; il est deux fois plus probable que les personnes en situation de handicap vivent dans la pauvreté (et trois fois plus probable qu’elles soient pauvres si leur handicap est sévère).
  • Malgré des dépenses sociales relativement généreuses dans l’ensemble, les sorties de fonds du gouvernement fédéral du Canada destinées directement aux personnes en situation de handicap comptent parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, à environ 0,7 % du PIB (graphique 1).
  • La nouvelle prestation d’invalidité devrait constituer un pas dans la bonne direction; or, à elle seule, elle pourrait être soit très coûteuse, soit insuffisante. Il faudrait engager chaque année aux alentours de 4 G$-5 G$ rien que pour hisser au seuil de la pauvreté les personnes qui vivent dans la pauvreté économique extrême — soit environ 550 k particuliers. (Par souci de précision, disons qu’il est improbable que le gouvernement dépose ce chiffre quand il révélera les détails.)
  • Les marchés du travail inclusifs doivent faire une plus grande partie de l’ouvrage destiné à aider les Canadiens et les Canadiennes en situation de handicap à assurer leur sécurité financière. Statistique Canada estime que plus de 850 k Canadiens en situation de handicap ont le potentiel de travailler, sans toutefois être employés à l’heure actuelle. Ceux qui ont des emplois gagnent le triple des revenus de ceux qui n’ont pas d’emploi lucratif (graphique 2).
  • L’emploi est un pilier essentiel du nouveau Plan d’action pour l’inclusion des personnes en situation de handicap du gouvernement fédéral. Ce plan est étayé par le doublement du Fonds d’intégration pour les personnes handicapées, qui prévoit différents programmes d’aide et diverses subventions salariales; or, ces investissements seront probablement toujours faibles par rapport au nouveau programme de transfert (qui finira bien par être adopté).
  • Les parties prenantes ont la responsabilité collective de rehausser considérablement les efforts pour favoriser l’accès et la fidélisation à la population active. Une subvention salariale rehaussée, liée au particulier, pourrait en constituer un exemple. Les outils existants comme le crédit d'impôt pour personnes handicapées, les différents programmes d’assurance liés à l’emploi et les correspondances avec les programmes provinciaux doivent eux aussi être adaptés à leur vocation afin de mettre en équilibre les incitations de travailler avec tous ceux et celles qui en ont besoin et le potentiel.
  • Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une question complexe et épineuse, que le Canada ne peut toutefois pas se permettre de taire. Hormis les arguments moraux, les pénuries de main-d’œuvre structurelles et le vieillissement de la population laissent entendre que les chocs seront tous plus retentissants si on n’intervient pas pour les amortir. Ou pis encore, un programme de transfert mal pensé pourrait exacerber encore ces difficultés. 
Graphique 1 : Les dépenses publiques consacrées à l'incapacité; Graphique 2 : Les déficits de revenus par statut d'emploi

LES CHIFFRES EN SOI SONT AFFOLANTS

Plus d’un Canadien sur cinq est en situation de handicap. Ce chiffre pourrait très bien être plus proche de un sur quatre, puisque le dénombrement le plus complet (6,2 millions de Canadiens de 15 ans et plus) dans le cadre de l’Enquête canadienne sur l'incapacité (ECI) remonte à 2017. On mène actuellement un nouveau dénombrement; toutefois, les données imparfaitement concertées d’après l’Enquête canadienne sur le revenu menée chaque année font état de 8,9 millions de Canadiens et de Canadiennes de 16 ans et plus qui ont un handicap (soit 28 %). Le vieillissement et l’accroissement de la population continueront de faire monter ces chiffres relatifs (en pourcentage) et absolus.

La pandémie pourrait alourdir encore la pression qui pèse sur ces chiffres. Environ 1,4 million de Canadiens et de Canadiennes déclarent des symptômes chroniques ou la COVID-19 longue. Les milieux de travail constatent également un relèvement de près de 3 points de pourcentage dans la prévalence de l’incapacité dans la population active (à 21,5 %) entre 2019 et 2021. Statistique Canada a attribué essentiellement cette variation à l'augmentation des handicaps liés à la santé mentale parmi les personnes déjà employées, par rapport à la hausse de l'emploi des personnes en situation de handicap.

Il n’y a pas de portrait cohérent de l’invalidité. Les handicaps courants comprennent aussi bien la douleur, le manque de souplesse et l’absence de mobilité que la santé mentale. Certains handicaps sont plus répandus dans certaines cohortes d’âges : les déficiences développementales sont très répandues chez les jeunes, les problèmes de santé mentale se donnent libre cours chez les jeunes adultes, et les difficultés de mobilité affligent les personnes âgées. Parmi la population en âge de travailler, le quart des handicaps est lié au travail, selon Statistique Canada. La prévalence augmente avec l’âge pour passer de 13 % dans le groupe des 15 à 24 ans à 47 % dans le groupe des 75 ans et plus (graphique 3). La sévérité peut aussi varier considérablement et se chiffrer à plus de 40 % des 6,2 millions de Canadiens qui font état de chocs sévères ou très sévères. 

Graphique 3 : Prévalence de l'invalidité selon l'âge

LES OBSTACLES SONT COLOSSAUX

Les Canadiens et les Canadiennes en situation de handicap affrontent parfois de sérieux obstacles quand il s’agit de participer à la population active. Un peu moins de 60 % des personnes handicapées en âge de travailler (de 25 à 64 ans) ont un emploi. Ce chiffre accuse un écart de plus de 20 points de pourcentage de moins que le taux des Canadiens et des Canadiennes sans handicap. L’écart se creuse avec la sévérité : moins de la moitié de ceux qui ont des handicaps « sévères » a un emploi, alors que moins du tiers de ceux qui ont des handicaps « très sévères » a un emploi (graphique 4). 

Graphique 4 : L'emploi selon la sévérité de l'invalidité

Ce qui est stupéfiant, c’est que 45 % des personnes handicapées ont le potentiel de travailler dans un marché du travail inclusif. Le gouvernement fédéral estime que 1,9 million de Canadiens et de Canadiennes de 15 à 64 ans et en situation de handicap ne fréquentent pas l’école ou n’ont pas d’emploi; environ 852 k d’entre eux ont le potentiel de travailler. La méthodologie de Statistique Canada exclut de ce dénombrement toutes sortes d’individus, y compris ceux dont l’état les empêche de travailler ou pour lesquels il n’y a pas d’aménagement du milieu de travail qui leur permettrait de le faire.

Les obstacles qui empêchent de participer à la population active sont parfois complexes. Les difficultés peuvent varier selon le type, la sévérité et la persistance des handicaps. Dans les milieux de travail, la sensibilisation, les partis pris, la discrimination et les contraintes (réelles ou perçues) en ressources pour offrir une meilleure accessibilité peuvent constituer des obstacles. Ces obstacles peuvent varier selon les secteurs et la taille des organisations. Il reste toujours d’énormes progrès à accomplir dans la promotion des milieux de travail grâce à des modèles de conception qui auraient pour effet de réduire les besoins en moyens d’adaptation au niveau individuel. Dans certains cas, les environnements de l’application des politiques (soit les structures de prélèvement des impôts et de versement des avantages sociaux) influent aussi sur la participation. L’OCDE catégorise ces obstacles dans les capacités, les perspectives et les motivations.

LE LOURD TRIBUT FINANCIER

Si les obstacles qui empêchent de participer à la population active sont parfois complexes, les impacts sur la sécurité financière des ménages ne le sont pas. Par exemple, les Canadiens et les Canadiennes qui ont des invalidités plus sévères ont des revenus qui correspondent à la moitié de ceux qui n’ont pas de handicap, d’après l’enquête de 2017. Ces chiffres masquent des disparités encore plus fortes lorsque l’on tient compte du statut de l’emploi. Les niveaux de revenus des travailleurs canadiens en situation de handicap sont à peu près trois fois plus élevés que ceux de leurs homologues sans travail — en accusant toutefois un écart de 15 % de moins par rapport à ceux qui n’ont pas de handicap. Et les femmes sont encore plus pénalisées du point de vue des salaires.

L’écart des revenus se creuse entre les principaux groupes de la population active. Par exemple, les Canadiens de 25 à 54 ans qui n’ont pas de handicap gagnent au total des revenus (sur le marché du travail et grâce aux transferts gouvernementaux) de l’ordre de 40 % de plus (soit 19 k$) que ceux de leurs collègues handicapés; l’écart se creuse pour atteindre 70 % (soit 27 k$) chez les 55 à 65 ans (graphique 5). L’écart des revenus se rapproche alors pendant la retraite, puisqu’on enchaîne avec les rentes de retraite, les généreux transferts de sécurité de la vieillesse, ainsi qu’avec les handicaps tardifs. Les transferts gouvernementaux représentent environ 20 % du total des revenus des Canadiens en âge de travailler (de 25 à 65 ans) et en situation de handicap, contre environ 10 % des Canadiens sans handicap.

Graphique 5 : Les revenus selon l’âge

INVALIDITÉ ET PAUVRETÉ VONT ESSENTIELLEMENT DE PAIR

Les taux de pauvreté chez ceux qui sont en situation de handicap sont élevés. D’après l’enquête de 2017, près de 30 % des Canadiens et des Canadiennes qui ont des handicaps plus sévères vivaient en deçà du seuil de la pauvreté — soit trois fois le nombre de Canadiens sans handicap. Cette part se réduit de moitié pour ceux dont les handicaps sont moindres (près de 15 %), ce qui est cependant toujours démesurément élevé (graphique 6). Les taux de pauvreté sont vivement exacerbés parmi les ménages d’un adulte dont le handicap est plus sévère : plus de 60 % se situent en deçà du seuil. En chiffres absolus, plus d’un million de Canadiens handicapés vivaient en deçà du seuil de la pauvreté en 2019, avant que la pandémie s’abatte sur nous. 

Graphique 6 : Vivre en deçà du seuil de la pauvreté

La plupart vivent nettement en deçà du seuil de la pauvreté s’ils comptent exclusivement sur l’aide gouvernementale. L’écart de la pauvreté — soit la différence entre les revenus et le seuil des revenus faibles au sens défini dans la Mesure du panier de consommation— varie d’un océan à l’autre en fonction des différences dans les prestations des gouvernements provinciaux ainsi que des coûts de la vie. La Fondation Maytree estime utilement ces valeurs dans l’ensemble du pays en chiffrant à environ 7 500 $ par an, pour une seule personne handicapée, l’écart moyen (pondéré) (graphique 7). 

Graphique 7 : Les déficits du point de vue de la pauvreté d'un océan à l'autre

L’aide ciblée du Canada destinée à cette population vulnérable fait piètre figure par rapport à la plupart des grandes puissances économiques. Malgré les dépenses sociales considérables dans l’ensemble — à 18 % du PIB avant la pandémie, ce qui correspond essentiellement à la moyenne de l’OCDE —, les dépenses du gouvernement fédéral du Canada ciblant directement l’incapacité (terme qui n’est plus d’actualité et qu’utilise l’OCDE) sont parmi les plus faibles, à 0,7 % du PIB, soit environ 18 G$ pour l’ensemble des paliers de gouvernement (graphique 1). Ce chiffre ne tient pas compte de l’aide provinciale, qui peut être substantielle, ni non plus des vastes programmes d’aide fédéraux et de certains programmes fiscaux, d’épargne ou de travail ciblés. Il n’empêche que même si on doublait les chiffres déclarés par l’OCDE, on n’améliorerait pas substantiellement la posture du Canada dans l’ensemble.

UN PAS DANS LA BONNE DIRECTION

La nouvelle prestation d’invalidité du Canada pourrait constituer une bonne nouvelle lorsqu’elle aura été adoptée. Cet engagement libéral pris il y a longtemps fait actuellement l’objet de débats au Parlement. Le projet de loi est avare de détails; on a toutefois vanté cette prestation comme mensualité destinée aux personnes handicapées à revenu faible et en âge de travailler. Le gouvernement fédéral établit des parallèles avec l’allocation canadienne pour enfants (ACE) et le Supplément de revenu garanti (SRG) pour les aînés; dans les deux cas, il s’agit de transferts fondés sur les revenus pour les particuliers.

La définition d’une base de référence sera la première de nombreuses difficultés dans la conception de cette mesure. Dans l’enquête de 2017, environ 4,3 millions de personnes en âge de travailler (de 15 à 64 ans) se sont identifiées en situation de handicap, alors que 1,4 million de Canadiens ont été désignés en 2020 dans le cadre du crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées. Le nouveau Plan d’action fait état de plus de 900 k Canadiens en âge de travailler et vivant dans la pauvreté (et de 550 k dans la « pauvreté extrême »), ce qui sous-entend ce que l’on projette de définir comme base de référence.

La note pourrait être très élevée — ou les sommes pourraient être modestes. Pour les besoins de l’illustration, combler l’écart annuel de pauvreté de l’ordre de 7 500 $ pour 550 k Canadiens vivant dans la pauvreté extrême représenterait environ 4,5 G$ par an. Ce sont des chiffres très approximatifs, destinés à capter l’ampleur du déficit; or, ils ne sont pas démesurés par rapport aux autres transferts fondés sur le revenu : 3,7 millions de ménages touchent l’ACE, dont le coût budgétaire annuel est de l’ordre de 25 G$ (EF 2023), alors qu’environ 2,2 milliards d’aînés touchent des chèques de SRG dont le coût annuel s’établit à 15,5 G$ (en plus des vastes transferts de pension de Sécurité de la vieillesse, qui se chiffrent ensemble à 68 G$ par an).

Dans le même temps, le gouvernement fédéral (de même que les gouvernements provinciaux et territoriaux) devra impérativement endiguer les dépenses pour résister aux pressions inflationnistes et aux niveaux d’endettement élevés. Hormis leur bien-fondé, les nouveaux transferts majeurs viendraient augmenter les déficits structurels. Puisque le Canada profite dans l’ensemble de dépenses sociales relativement vigoureuses (et d’autres promesses sont toujours en gestation) et qu’il est doté d’une structure très progressive pour l’impôt sur le revenu des particuliers, il serait justifié de mener un examen complet des transferts destinés aux ménages pour s’assurer que la redistribution de la richesse permet de joindre ceux qui en ont le plus besoin dans un monde dont les ressources sont limitées. Si complexe et controversée que soit la situation, il se pourrait qu’il soit aussi justifié de tenir compte, dans la mise au point de ce nouveau transfert, du concept de l’impact, et non seulement des revenus.

L’INCLUSIVITÉ DES MARCHÉS DU TRAVAIL, ESSENTIELLE POUR ACCOMPLIR DES PROGRÈS SIGNIFICATIFS

L’emploi pourrait — et devrait — supporter une plus grande partie du poids de ces mesures. Les gains les plus importants pour les revenus des ménages et pour la sécurité financière seraient attribuables à des emplois significatifs dans un environnement inclusif qui favorise le potentiel des personnes en situation de handicap. Dans le nouveau Plan d’action, l’emploi se veut un pilier essentiel, étayé par un certain nombre de mesures, dont la somme déjà annoncée de 270 M$ pour le Fonds d’intégration pour les personnes handicapées existant. Ce fonds prévoit une multitude de mesures d’aide, notamment des subventions pour la formation, le placement et les salaires à l’intention d’un peu plus de 4 000 personnes, ce qui représente une dépense annuelle de l’ordre de 40 M$. Les nouveaux engagements devraient plus ou moins doubler l’empreinte de ce fonds.

Même s’il vise à résoudre les cas les plus difficiles, le Fonds d’intégration a démontré qu’il fait rejaillir des bienfaits en chiffres nets. Dans une rigoureuse évaluation contre-factuelle, on calcule un taux de rendement social de 170 % : autrement dit, un investissement de 1 $ dans ce programme donne un rendement social de 1,70 $. En particulier, les interventions au niveau du subventionnement du perfectionnement des compétences et des salaires dégagent les rendements les plus importants, alors que les gains pour l’emploi dans la première année étaient d’un peu moins de 10 points de pourcentage et de 6 points de pourcentage dans les années suivantes. Les bienfaits actualisés du programme en dépassent les coûts en un peu moins de quatre ans, lorsqu’on tient compte des impacts sur les revenus et sur les autres dépenses de l’État.

L’estimation des impacts économiques de l’augmentation de la participation à la population active pour les personnes handicapées comporte des difficultés, dont la médiocrité des données n’est pas la moindre. D’après les données annuelles sur les revenus (ECR), 6 millions de Canadiens et de Canadiennes (de 16 à 64 ans) ont déclaré qu’ils avaient un handicap, et 1,3 million d’entre eux ne touchaient pas de revenus sur le marché du travail. En s’inspirant des calculs de Statistique Canada, selon lesquels 45 % de ces personnes ont le potentiel de travailler, une approche très simpliste qui consiste à porter leurs revenus à la médiane des revenus du marché du travail des collègues de leur âge qui ont un handicap donnerait environ 20 G$ d’effets sur les revenus seuls. Ce chiffre est sans doute irréaliste, compte tenu de l’ensemble sous-jacent dans la sévérité des handicaps dans ce groupe. Or, même une approche plus granulaire (en se servant des données de l’ECI) qui tente d’en tenir compte — par exemple en supposant que le taux d’emploi de ceux qui ont des handicaps moindres est proche de celui des personnes sans handicap et que ceux qui ont des handicaps plus sévères profitent d’un gain de 10 points de pourcentage dans leur taux d’emploi — pourrait produire sur les revenus des effets de l’ordre de 10 G$.

C’est en comblant les écarts de revenus sur le marché du travail, pour ceux qui sont en situation de handicap par rapport à leurs collègues sans handicap, que l’on récolterait des dividendes vraiment considérables (d’un point de vue macroéconomique). En portant le revenu des 4,7 millions de travailleurs canadiens en situation de handicap à la médiane de leurs collègues, on obtiendrait un supplément de 60 G$. Dans ces deux cas, il y aurait aussi des effets indirects, puisqu’on réduirait potentiellement les besoins en aide sociale, qu’on augmenterait les contributions grâce à l’impôt sur le revenu et qu’on hausserait la consommation (et l’investissement) dans la collectivité.

REHAUSSER LES MESURES D'AIDE À L'EMPLOI

Le gouvernement, le secteur privé et les acteurs sociaux ont collectivement la responsabilité de relever massivement les efforts pour déverrouiller les perspectives d’emploi. Les pénuries de main-d’œuvre structurelles par rapport au vieillissement de la société devraient mettre en lumière l’urgence, pour les employeurs, de triompher de certains obstacles qui se dressent contre les environnements de travail inclusifs. Un plaidoyer convaincant se fonde non seulement sur les postes à pourvoir — ou à pourvoir bientôt, puisqu’un Canadien sur cinq s’approche de l’âge de la retraite — mais aussi sur la fidélisation des employés. Puisqu’il y a une plus grande prévalence de l’incapacité avec l’âge, les employés auront de plus en plus besoin d’un environnement inclusif et accessible. Dans les dernières dizaines d’années, les absences au travail liées à la maladie ou à l’incapacité ont évolué tendanciellement à la hausse (graphique 8). 

Graphique 8 : La hausse de l'absentéisme professionnel : maladie ou handicap

L’entreprise a toujours d’énormes progrès à accomplir pour aménager un milieu de travail accessible. Les organismes assimilés à Disability:IN (dont la Banque Scotia est le partenaire institutionnel) mènent des travaux évolutifs qui permettent de progresser dans l’analyse de la rentabilisation pour l’embauche et la promotion du talent à tous les niveaux d’aptitude physique. En plus de simplement pourvoir des postes vacants et d’augmenter les taux de rétention, les personnes en situation de handicap peuvent apporter des compétences et des points de vue exceptionnels qui favorisent l’innovation dans les organisations et influencer leur décision de représenter la société dans laquelle ces organisations exercent leurs activités. Les premiers travaux de recherche se penchent aussi sur le lien à établir avec la consolidation du rendement institutionnel; or, il est difficile de démêler l’écheveau des impacts de la simple et saine gouvernance.

Dans le même temps, il se pourrait que les gouvernements doivent envisager de plus vastes programmes d’aide financière pour permettre d’accomplir plus rapidement des progrès en comblant les lacunes. Il pourrait s’agir, par exemple, de subventions salariales rehaussées, proportionnelles pour la taille et l’ambition prévues dans la nouvelle prestation d’invalidité (qui finira bien par être versée). Pour triompher de certaines lacunes du programme de subventions salariales pendant la pandémie, ces prestations pourraient être liées aux particuliers mêmes et constituer des prestations transférables, en établissant des correspondances évidentes avec la nouvelle prestation d’invalidité. Dans la conception de cette mesure, on pourrait s’assurer que les incitations voulues concordent avec tout le potentiel de ces personnes dans un environnement inclusif, tout en veillant à ce qu’on dispose de ressources suffisantes pour répondre aux besoins individuels. Le gouvernement pourrait aussi revoir le crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées et en faire un outil pour lisser les distorsions potentielles dans les décisions financières pour travailler à la lumière des nouvelles prestations à mettre au point. On pourrait même plaider pour les incitations encore plus favorables à la participation à la population active du point de vue de l’ensemble des rendements sociaux ou des pénalités salariales pour les personnes en situation de handicap. (Les changements récemment apportés au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées représentent un pas sur la bonne voie à cet égard.)

Sécuriser une meilleure fidélisation à la population active permettrait aussi d’ouvrir d’autres filets de sécurité existants aux personnes en situation de handicap. Le plaidoyer en faveur d’une approche assurancielle dans le traitement des handicaps est convaincant : on ne sait généralement pas, a priori, qui naîtra avec un handicap ou pourrait en avoir un plus tard dans sa vie. Cette information permettrait d’en répartir les coûts sur un plus vaste ensemble de bénéficiaires potentiels. Le Régime fédéral d’assurance-emploi, le Régime de pensions du Canada et les différents programmes provinciaux d’assurance au travail comportent des clauses d’invalidité; or, il faut prévoir, dans ces programmes, une fidélisation à la population active.

En définitive, il faudra faire appel à toutes sortes d’outils adaptés aux circonstances. Les exemples que nous donnons dans ces pages ne se veulent pas exhaustifs; ils sont plutôt illustratifs. Nous avons vraisemblablement besoin d’un plus grand nombre d’outils, qu’il faut déployer à une échelle beaucoup plus vaste, et l’interaction parmi ces outils devrait mettre en équilibre les considérations des capacités, des perspectives et les motivations en milieu de travail, en plus de la sécurité financière.

CE QUE NOUS RÉSERVE L’AVENIR

La prestation d’invalidité fédérale qui devrait être finalement offerte pourrait réussir à rehausser la situation d’un plus grand nombre de Canadiens en situation de handicap au-delà du seuil de la pauvreté; or, il faut déployer plus d’efforts pour réaliser des gains d’emploi significatifs, qui permettraient d’offrir à ces Canadiens un niveau de vie encore supérieur. Ainsi, on pourrait offrir une aide plus vaste à une partie de la population la plus vulnérable parmi les Canadiens en situation de handicap qui ne peuvent tout simplement pas travailler. Il y a toujours beaucoup de travail à faire sur les définitions, les données et la conception des politiques, à l’heure où la conjoncture est encore plus compliquée dans la décentralisation des nombreux programmes en vertu des Ententes sur le marché du travail avec les provinces. Or, ne serait-ce qu’en raison de l’ampleur du défi et de ses impacts et incidences pour les ménages, les entreprises et les gouvernements, le pays ne peut pas se permettre de rester assis sur ses lauriers.