• Nous estimons que la consommation de l’État et les transferts pandémiques aux ménages représentent environ 200 points de base dans la hausse de 475 points de base du taux directeur de la Banque du Canada.
  • Il s’agit d’une augmentation à la fois généralisée et chronique de la consommation de l’État à tous les niveaux du gouvernement du Canada depuis la fin de 2019 et de la cessation des programmes d’aide déployés par le gouvernement fédéral pendant la pandémie.
  • Puisque la consommation de biens et de services des gouvernements provinciaux a largement triplé celle du gouvernement fédéral, les dépenses des provinces interviennent à elles seules pour le tiers environ de la hausse du taux directeur.
  • Une partie de l’augmentation de la consommation de biens et de services de l’État était probablement souhaitable et nécessaire, compte tenu de la croissance et du vieillissement de la population; or, ces dépenses ne cadrent pas avec la maîtrise de l’inflation et ont eu pour effet de hausser les taux d’intérêt.
  • Dans l’ensemble, nos résultats laissent entendre qu’à tous les niveaux de gouvernement, la politique budgétaire a été mal calibrée du point de vue de la gestion de l’inflation.

Il ne fait aucun doute que la politique de la Banque du Canada sur les taux d’intérêt cause des difficultés aux Canadiens et aux Canadiennes. Ces difficultés s’inscrivent à l’échelle politique. Il n’y en a pas de meilleur exemple que dans les lettres hors normes adressées par certains premiers ministres au gouverneur de la Banque du Canada pour l’implorer de ne pas décréter d’autres hausses des taux d’intérêt. Hormis les inquiétudes que nous avons à propos de ces efforts politiques d’influencer la BdC, il ne fait aucun doute que la politique budgétaire a concouru, à tous les niveaux de gouvernement, au taux directeur actuel. En tâchant de quantifier l’impact de la politique budgétaire sur les taux d’intérêt, nous concluons qu’environ 200 points de base de la hausse de 475 points de base du taux directeur sont attribuables à la consommation de tous les niveaux de gouvernement réunis, ainsi qu’aux programmes d’aide pandémique du gouvernement fédéral. Autrement dit, si tous les paliers de gouvernement n’étaient pas intervenus, le taux directeur serait de l’ordre de 3 %, ce qui correspond à l’extrémité supérieure de la fourchette estimative du taux directeur neutre de la Banque du Canada.

La politique budgétaire influence l’économie à plus d’un titre. Dans notre analyse, nous nous penchons essentiellement sur deux circuits : la consommation finale de l’État en biens et en services (la variable G de la comptabilité nationale) et les transferts aux ménages. Chacun de ces circuits a différentes répercussions sur l’économie : la variable G se répercute directement sur l’activité économique, alors que les transferts aux ménages impactent le comportement des ménages dans l’épargne et les dépenses. L’augmentation de l’un ou de l’autre rehausse le PIB; le premier a un impact plus direct et plus vaste que le deuxième. Nous excluons de notre analyse les investissements de l’État dans les infrastructures, puisqu’il existe un lien plus étroit entre ces investissements et les produits potentiels et que le ratio des investissements infrastructurels du gouvernement par rapport au PIB est resté à peu près stable durant la dernière décennie.

La consommation finale de l’État en biens et en services augmente brusquement depuis la fin de 2019 à tous les paliers de gouvernement. Puisque cette augmentation s’est déroulée plus rapidement que la croissance du PIB, la part des dépenses de l’État par rapport au produit économique a augmenté substantiellement (graphique 1), ce qui a eu un impact énorme sur l’économie. Dans le contexte de la politique monétaire, l’économie ne se serait pas retrouvée en territoire de demande excédentaire, n’eut été ce surcroît des dépenses de l’État.

Graphique 1 : xxx

Statistique Canada fait la répartition de la consommation de l’État par palier de gouvernement, ce qui nous permet de connaître les paliers de gouvernement qui ont progressé plus que les autres, mais surtout le niveau des dépenses de consommation de l’État qui a eu le plus d’impact sur l’économie. Dans le graphique 2, on peut constater que les dépenses de consommation de l’État fédéral ont progressé un peu plus rapidement que celles des autres paliers de gouvernement depuis la fin de 2019. Or, les dépenses des autres paliers de gouvernement représentent un multiple des dépenses fédérales. Les dépenses provinciales représentent plus du triple des dépenses fédérales. Les dépenses des municipalités et des autres gouvernements sont 50 % plus importantes que celles du gouvernement fédéral. D’après les apports de ces paliers de gouvernement à la croissance économique depuis le T4 de 2019, il est évident que les dépenses provinciales ont eu un impact beaucoup plus considérable, sur le PIB, que celles des autres paliers de gouvernement. 

Graphique 2 : xxx

Les incidences ainsi produites sur la politique monétaire sont évidentes. Tous les paliers de gouvernement ont concouru à la reprise de la production postpandémique. Parmi eux, les provinces ont eu le plus d’impact. Nous pouvons estimer l’impact de ces décisions de politique sur la politique monétaire en faisant appel à notre modèle de l’économie canadienne. Pour ce faire, nous simulons le parcours des dépenses réelles de l’État à partir du T4 de 2019 en faisant appel aux données réelles et nous estimons l’impact de ce parcours sur la production, l’inflation et, ultimement, le taux directeur. Essentiellement, nous supposons que la limite inférieure de la fourchette a continué de représenter une contrainte pour le taux directeur : autrement dit, la Banque du Canada aurait maintenu son taux directeur à 0,25 % jusqu’à ce qu’elle décide finalement de hausser ses taux au premier trimestre de 2022.1 Cet exercice permet de cerner un impact très important de la consommation de l’État à tous les paliers de gouvernement sur les taux directeurs. Dans l’ensemble, la consommation de l’État a obligé la Banque du Canada à durcir ses taux d’environ 120 points de base (graphique 3). Ce chiffre représente environ le quart du total des hausses de taux mises en œuvre par le gouverneur Tiff Macklem. Sur ces 120 points de base, plus de la moitié (70 points de base) s’expliquent par les décisions prises dans les dépenses provinciales. Le reste est réparti entre le gouvernement fédéral (30 points de base) d’une part et, d’autre part, les administrations municipales et les autres paliers de gouvernement (20 points de base).

Graphique 3 : xxx

Nous examinons aussi l’impact, sur le parcours des taux d’intérêt, des transferts pandémiques fédéraux aux ménages pour nous faire une idée de l’impact budgétaire complet de la politique budgétaire pendant et après la COVID‑19. Dans ce cas également, les impacts sur la politique monétaire sont substantiels, compte tenu des sommes en cause (graphique 4). Nous estimons l’impact sur les taux directeurs à environ 80 points de base, ce qui est attribué exclusivement au gouvernement fédéral.

Graphique 4 : xxx

Dans l’ensemble, l’augmentation de la consommation de l’État et les transferts pandémiques représentent environ 200 points de base sur la hausse de 475 points de base du taux directeur de la Banque du Canada. Il ne fait donc aucun doute qu’au Canada, la politique budgétaire à tous les paliers de gouvernement a joué un rôle prépondérant dans la posture de la politique monétaire. Ceci dit, il est aussi évident que le dollar canadien aurait été nettement plus faible si les taux d’intérêt n’avaient pas suivi aussi fidèlement l’évolution des taux américains. L’inflation aurait alors continué d’augmenter, et il est probable qu’une partie des hausses de taux observées au Canada et attribuables à la politique budgétaire aurait pu se dérouler pour minorer les répercussions sur les taux de change.

Bien qu’il soit tentant de conclure que la hausse obligatoire des taux d’intérêt a restreint les dépenses privées, ce n’est peut‑être pas ce qui s’est effectivement produit jusqu’à maintenant. En fait, nous estimons que jusqu’à une époque récente, la consommation et l’investissement des entreprises ont augmenté grâce à l’aide des gouvernements. Ce résultat contre‑intuitif est lié au fait qu’au Canada, les taux d’intérêt se situaient dans la fourchette inférieure de 0,25 % dans les trimestres qui ont suivi la pandémie. Ce surcroît des transferts et des dépenses de consommation de l’État a eu pour effet d’augmenter l’inflation, ce qui a ensuite abaissé le taux directeur réel (qui est égal au taux directeur nominal moins l’inflation attendue). C’est ce qu’on peut constater à l’évidence dans les graphiques 5 et 6 : la hausse des dépenses de l’État et les transferts pandémiques ont haussé l’inflation et fait baisser le taux directeur réel de l’ordre de 100 points de base, ce qui a effectivement augmenté l’importance de la relance monétaire dans l’économie. La réduction conséquente des taux d’intérêt réels a temporairement musclé la consommation et l’investissement au‑delà de ce qui se serait produit normalement en tenant compte uniquement de l’augmentation des transferts. L’investissement des entreprises reste aujourd’hui supérieur à ce qu’il aurait été si les dépenses et les transferts de l’État n’avaient pas augmenté; or, la consommation et l’investissement résidentiel sont aujourd’hui inférieurs à ce qu’ils auraient été si la consommation de l’État n’avait pas progressé. En outre, l’augmentation de la consommation de l’État se rapporte à une hausse de l’emploi dans le secteur public, et c’est peut‑être aussi le cas de notre piètre performance du point de vue de la productivité, qui transparaît dans une partie des échanges de ressources en population active entre le secteur privé et le secteur public. 

Graphique 5 : xxx; Graphique 6 : xxx

L’impact exagéré de la politique budgétaire à l’extrémité inférieure de la fourchette des taux d’intérêt est un effet bien connu. La politique budgétaire devient ainsi un outil beaucoup plus puissant lorsqu’il s’agit d’amortir les chocs économiques négatifs dans ces circonstances. Cet outil peut être très utile quand il faut une énorme puissance de feu pour relancer une économie léthargique ou faire baisser l’inflation. Il peut aussi causer des problèmes lorsque l’aide offerte est trop considérable, qu’elle se rapporte à l’ampleur de l’aide budgétaire ou à sa durée. C’est vraiment ce qui s’est produit au Canada. Les dépenses réelles de l’État ont augmenté beaucoup plus rapidement que le PIB réel depuis la fin de 2019 (graphique 1). Le surcroît de la consommation de l’État n’avait rien de passager. Par contre, les transferts pandémiques ont été temporaires, mais extrêmement importants et sont restés en place trop longtemps.

Il ne fait aucun doute, dans notre esprit, que la politique budgétaire a compliqué la tâche des décideurs monétaires au Canada. Les taux d’intérêt sont substantiellement plus élevés qu’ils l’auraient été si, à tous les paliers de gouvernement, les dépenses de consommation de l’État étaient restées fixes par rapport au PIB. Ceci dit, la taille de la population canadienne a explosé dans les dernières années. De concert avec le vieillissement de la population, les besoins en services gouvernementaux ont progressé spectaculairement. Une partie de la hausse des dépenses était inévitable et souhaitée. On peut se demander dans quelle mesure cette hausse est justifiable; or, il ne fait aucun doute que la hausse des taux d’intérêt est une conséquence de cette augmentation.

Dans l’ensemble, nos résultats laissent entendre que la politique budgétaire a été mal calibrée depuis le début de la pandémie du point de vue de la gestion de l’inflation. Tous les paliers de gouvernement en sont responsables, ce qui ne veut pas dire qu’il faut absoudre la Banque du Canada de sa responsabilité dans le contexte actuel des taux d’intérêt. Nous continuons de penser que certaines erreurs ont été commises du point de vue monétaire; or, les erreurs les plus importantes paraissent imputables aux administrations budgétaires. Littéralement, nous ne pouvons pas du tout nous permettre de commettre les mêmes erreurs dans les prochains budgets.

1 Cette hypothèse se répercute sur la chronologie de l’évolution de la posture de la politique monétaire, mais non sur la hausse des taux dans l’ensemble.