• La posture adoptée sur le taux directeur se durcira effectivement en 2023 malgré la pause conditionnelle télégraphiée par la Banque du Canada dans sa dernière hausse de taux du 25 janvier — et retélégraphiée le 8 mars —, et nous prévoyons que ce taux se stabilisera à 4,5 % en 2023.
  • Ce durcissement additionnel se déroulera malgré la baisse attendue du taux d’inflation et l’augmentation conséquente du taux directeur réel — corrigé de l’inflation —, qui correspond au taux qui compte pour la conjoncture économique.
  • Pour cette même raison, la posture adoptée sur le taux directeur de la politique monétaire américaine continuera de se durcir même après avoir atteint notre pic cyclique escompté et après s’être stabilisée à ce pic (de 5,25 % entre le deuxième et le dernier trimestre de 2023).
  • À notre avis, la hausse cumulative des taux directeurs concourt jusqu’à maintenant au ralentissement de la croissance économique, mais pas suffisamment pour recentrer le rythme de l’activité économique sur ce qui cadre avec l’objectif inflationniste des banques centrales. Ce durcissement additionnel — intégré dans nos perspectives — est donc nécessaire.
  • D’après notre évaluation, ce nouveau durcissement de la posture de la politique monétaire jusqu’à la fin de 2023 représente respectivement l’équivalent de 150 et de 155 points de base supplémentaires dans la hausse des taux directeurs au Canada et aux États‑Unis. C’est ce qui explique le ralentissement de la croissance du PIB en 2023 et 2024 dans nos prévisions, en plus des effets décalés et de plus en plus intenses des précédentes hausses des taux directeurs.

Après avoir atteint des sommets absolus depuis des dizaines d’années dans plusieurs puissances économiques, dont les États‑Unis et le Canada, l’inflation de synthèse des prix à la consommation a commencé à fléchir dans le deuxième semestre de 2022. La plupart des économistes s’attendent à ce que cette baisse se poursuive grâce à l’amélioration des chaînes logistiques, au douchage de l’économie mondiale du fait des brusques hausses des taux directeurs monétaires et de la baisse des prix de l’énergie et d’autres produits de base.

On peut d’ores et déjà apercevoir la lumière à l’autre bout du tunnel de la hausse des taux directeurs grâce à cet affaissement des pressions inflationnistes. Effectivement, en prenant la décision, le 25 janvier 2023, de hausser de 25 points de base encore son taux directeur pour le porter à 4,5 %, la Banque du Canada a déclaré qu’elle avait l’intention de marquer une pause si la conjoncture économique et l’inflation évoluent de concert avec ses perspectives.1 Ce taux n’a pas bougé dans la dernière déclaration de politique de la Banque le 8 mars, et cet engagement conditionnel a été réaffirmé. Mondialement, la plupart des prévisionnistes s’attendent à ce que les taux directeurs des banques centrales atteignent bientôt leur pic cyclique, et plusieurs économistes — dont ceux des Études économiques de la Banque Scotia — s’attendent à ce que ces niveaux se maintiennent pendant plusieurs trimestres avant de baisser à des niveaux plus neutres, soit des niveaux qui n’auront pas pour effet de restreindre ni de stimuler l’économie.

Or, en supposant que ces attentes se matérialisent et que les taux directeurs culminent et se stabilisent bientôt, laisse‑t‑on entendre que ce sera la fin du cycle de durcissement de la politique monétaire? La réponse simple à apporter à cette question est… Non!

En effet, ce sont les taux d’intérêt réels — corrigés de l’inflation —, et non les taux nominaux (ou publiés), qui comptent pour la conjoncture économique. Dans notre annexe, nous expliquons pourquoi il en est ainsi. Le taux d’intérêt réel correspond simplement à la différence entre le taux d’intérêt nominal et le taux de l’inflation qui devrait primer sur l’échéance des prêts.

L’ÉVOLUTION DE L’INFLATION ET DES TAUX D’INTÉRÊT

Les graphiques 1A et 1B font état des trajectoires que nous prédisons jusqu’en 2024 pour l’inflation des prix à la consommation et les taux directeurs au Canada et aux États‑Unis. Ces graphiques font état de l’indice des prix à la consommation (IPC) de synthèse pour le Canada et de l’indice des prix pour les dépenses de consommation des ménages (DCM) aux États‑Unis.

Graphique 1A : Canada : Taux directeur et inflation selon l'IPC; Graphique 1B : États-Unis : Taux directeur et inflation des DCM

Après avoir atteint un sommet depuis des dizaines d’années à l’été 2022 dans les deux pays, le taux annuel d’inflation a commencé à fléchir; or, il s’établit toujours à des sommets absolus. Nous prévoyons que cette tendance baissière se poursuivra avec l’effet de douchage de plus en plus intense, sur l’économie, des précédentes hausses de taux d’intérêt et des hausses qui s’annoncent aux États‑Unis pour le deuxième trimestre de 2023 et parce que les pressions qui s’exercent sur les coûts de production s’apaisent grâce à l’amélioration des chaînes logistiques et à l’affaissement des prix des produits de base.

Les graphiques 1A et 1B font aussi état de la brusque hausse des taux directeurs dans ces deux pays entre leur creux de mars 2022 et leur pic attendu au premier trimestre de 2023 au Canada et au deuxième trimestre aux États‑Unis. Les taux directeurs se stabilisent par la suite en chiffres relatifs, avant de baisser en 2024.

Cette stabilité relative des taux directeurs au Canada et aux États‑Unis, après avoir atteint leur pic, masque le durcissement soutenu des taux directeurs réels jusqu’à la fin de 2023. Même s’il s’agit d’un facteur important de l’inflation et de la conjoncture économique, l’inflation attendue est inobservée et doit être estimée à partir d’hypothèses. Voilà pourquoi, pour estimer les taux directeurs réels pour les besoins de cette note, nous nous inspirons de nos prévisions pour l’inflation sur un an du prochain trimestre pour l’indice des prix à la consommation (IPC) total du Canada et pour l’indice des prix pour les dépenses de consommation des ménages (DCM) aux États‑Unis respectivement.2 Ces taux directeurs réels font l’objet des graphiques 2A et 2B. Ces graphiques indiquent aussi le niveau neutre du taux directeur réel — qui n’est ni conciliant, ni restrictif — que nous estimons à 0,5 % pour le Canada comme pour les États‑Unis.

Graphique 2A : Canada : Taux directeur; Graphique 2B : États-Unis : Taux directeur

Trois grandes incidences des graphiques 2A et 2B et le taux directeur réel sont un indicateur de la posture de la politique monétaire.

Premièrement, au Canada comme aux États‑Unis, le taux directeur réel a été très conciliant en 2022 malgré la brusque hausse des deux taux directeurs. Il va de soi que cette hausse a réduit le degré de conciliation monétaire et la croissance du PIB, mais pas suffisamment pour abaisser le PIB en deçà du potentiel et de rapprocher l’inflation de son objectif. D’après notre évaluation, le taux directeur réel est entré dans sa zone restrictive — en sus de son niveau neutre — uniquement dans ce trimestre (T1 de 2023) dans les deux pays.

Deuxièmement, malgré la stabilité escomptée des taux directeurs pour l’essentiel de 2023, la politique monétaire continuera de se durcir d’ici la fin de l’année en raison de la baisse prévue de l’inflation. Pour le Canada, nous prévoyons que le taux directeur réel augmentera de 150 points de base encore d’ici le T4 de 2023 et commencera à baisser par la suite, en raison du fléchissement prédit du taux directeur de la Banque du Canada et du ralentissement de la baisse de l’inflation. Pour les États‑Unis, nous nous attendons à ce que le taux directeur réel se durcisse de 155 points de base de plus au cours de cette période et baisse par la suite pour les mêmes raisons que pour le taux directeur du Canada. Outre les hausses du taux directeur depuis le début de 2022, ce durcissement additionnel en raison de la baisse escomptée de l’inflation a pour effet de réduire, dans nos perspectives, le rythme annuel moyen de la croissance du PIB du Canada, qui passe de 3,4 % en 2022 à 0,7 % en 2023, puis à 1,5 % en 2024. Aux États‑Unis, la croissance du PIB se ralentit pour passer de 2,1 % en 2022 à 1,0 % en 2023 et en 2024. Ces profils de croissance sont suffisants pour générer une conjoncture économique qui permet à l’inflation de se rapprocher de sa zone cible dans les deux grandes puissances économiques.

Troisièmement, malgré la baisse prévue des taux directeurs — soit aussi bien le taux nominal que le taux réel — en 2024, la politique monétaire sera toujours restrictive puisque le taux réel continuera d’être supérieur à son niveau neutre estimé. C’est ainsi que le rythme de croissance du PIB annuel moyen restera inférieur à son potentiel dans les deux pays sur tout l’horizon de 2023‑2024.

D’après notre interprétation, nous pouvons affirmer que les profils des taux directeurs réels des graphiques 2A et 2B représentent les estimations des Études économiques de la Banque Scotia pour ce qui est de la posture à adopter dans la politique monétaire, au Canada et aux États‑Unis, pour atteindre l’objectif inflationniste des deux banques centrales. Il va de soi que cette interprétation est conditionnée à nos plus récentes perspectives. Si la conjoncture économique et l’inflation évoluent différemment de nos prévisions, il faudra réviser cette trajectoire obligatoire pour la posture à adopter sur les taux directeurs réels. Par exemple, si la croissance des salaires baisse plus lentement qu’attendu, l’inflation pourrait faire de même, ce qui obligera à hausser le taux directeur réel pour une durée potentiellement plus longue qu’escompté. C’est ce qui donnerait lieu à la hausse du taux directeur pour éliminer ces pressions inflationnistes supplémentaires.

ANNEXE : LES INCIDENCES DES TAUX DIRECTEURS SUR L’ÉCONOMIE

Les taux directeurs se répercutent sur l’économie et sur l’inflation en raison de leur impact sur les taux d’intérêt comptés aux particuliers et aux entreprises dans leurs emprunts. Quand la demande de biens et de services dans l’économie dépasse l’offre, l’inflation augmente, ce qui amène les banques centrales qui ont des cibles inflationnistes — comme au Canada, aux États‑Unis et dans plusieurs autres grandes puissances économiques — à hausser leur taux directeur pour ramener l’inflation dans sa fourchette cible. Voilà pourquoi les taux de crédit comptés par les institutions de crédit aux particuliers et aux entreprises augmentent eux aussi, ce qui hausse le coût de leur emprunt. L’épargne devient aussi plus rentable, puisque les taux consentis sur les dépôts augmentent également. Ces deux effets réduisent les dépenses consacrées par les consommateurs aux biens et aux services et les dépenses consacrées par les entreprises aux investissements et aux intrants de production. Puis, l’inflation baisse lorsque le déséquilibre initial entre la demande et l’offre finit par se dénouer.

Cet exposé occulte une astuce. Ce qui compte pour l’activité économique, c’est le niveau réel — corrigé de l’inflation — et non le niveau nominal des taux d’intérêt. Voici pourquoi. Il faut se pencher sur ce que les économistes appellent le « voile monétaire » et penser, lorsqu’il est question d’emprunt et de prêt, en fonction du volume de biens et de services qui sont réaffectés entre différentes périodes, plutôt qu’en chiffres monétaires. Le particulier qui emprunte veut consommer un plus grand volume de biens et de services aujourd’hui en contrepartie d’un moins grand volume demain, puisqu’il se servira de ses ressources financières projetées pour rembourser le prêt, dont le capital et les intérêts. Dans ce dernier cas, il s’agit donc du coût engagé par l’emprunteur pour rembourser aujourd’hui une unité de sa consommation de demain. Par contre, c’est l’inverse pour le créancier : le taux d’intérêt correspond à la rémunération qu’il touchera en sacrifiant une unité de la consommation d’aujourd’hui pour un meilleur gain demain.

Ce scénario est intuitif et élémentaire jusqu’à maintenant. Or, l’inflation embrouille un peu plus le tableau. Elle réduit le pouvoir d’achat de demain par rapport à celui d’aujourd’hui, de sorte qu’il devient plus attrayant de consommer aujourd’hui puisqu’il faudra plus de ressources demain pour acheter les mêmes biens ou les mêmes services. L’inflation a donc pour effet d’augmenter le bienfait d’emprunter pour consommer plus aujourd’hui et moins demain. À l’inverse, elle érode l’avantage du créancier qui sacrifie la consommation d’aujourd’hui. Par conséquent, l’inflation réduit le coût effectif — ou réel — du prêt pour l’emprunteur et réduit la consommation réelle pour le créancier.

Cet exemple laisse entendre qu’une hausse des taux d’intérêt de concert avec une hausse équivalente de l’inflation ne modifie en rien le bienfait de consommer plus (ou moins) aujourd’hui pour consommer moins (ou plus) demain pour l’emprunteur (et pour le créancier). En données par ailleurs constantes, la consommation d’aujourd’hui — en empruntant et en prêtant — reste inchangée. Si on l’applique à l’ensemble de l’économie, cet exemple laisse entendre que la banque centrale doit hausser son taux directeur de plus que la hausse de l’inflation si elle veut doucher la conjoncture économique — dont la consommation et l’investissement — ainsi que l’inflation. L’autre précision que nous devons apporter pour transposer cet exemple sur l’ensemble de l’économie veut que ce ne soit pas le taux d’inflation réel, mais bien le taux d’inflation attendu qui compte. S’il en est ainsi, c’est parce qu’en concluant un contrat de prêt, l’emprunteur et le créancier tiennent compte, dans leur décision, d’une prévision de la hausse des prix qui devrait primer sur l’échéance du prêt.

 

1 Cette note porte essentiellement sur la posture du taux directeur, soit l’instrument principal qu’utilisent la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine (et les autres banques centrales) pour atteindre leurs objectifs dans la stabilisation de l’économie et de l’inflation. Le durcissement additionnel de la posture globale de la politique monétaire s’est entamé et devrait se poursuivre dans le cadre du durcissement quantitatif, soit la revente des actifs détenus par les deux banques centrales, ce qui influe sur les taux du marché.

2 Il n’existe pas d’indicateur unique des attentes inflationnistes. Il faut donc en choisir un qui est plausible pour les besoins de notre évaluation. Nous nous sommes penchés sur différents indicateurs. Toutefois, la conclusion est la même : le durcissement additionnel du taux directeur réel se produira (et devra se produire) en 2023 pour réduire l’inflation.