- Puisque la réduction de l’inflation s’inscrit dans la durée et que l’activité économique se ralentit, la Banque du Canada semble remanier ses priorités : la lutte contre l’inflation cède la place aux inquiétudes qui pèsent sur la croissance.
- En faisant appel à une fonction de réaction à la politique monétaire qui permet d’estimer le poids qui pèse sur l’inflation et l’écart de production dans le temps, nous constatons empiriquement que la Banque du Canada donne désormais plus d’importance à l’écart de production. Il s’agit d’une rupture par rapport aux deux dernières années, au cours desquelles le poids estimatif sur l’inflation l’a emporté sur celui qui pèse sur l’écart de production. Notre modèle laisse entendre qu’au quatrième trimestre de 2024, la BdC donnera plus la priorité à l’élimination de cette mollesse économique qu’à la lutte contre l’inflation.
- D’après nos prévisions actuelles, la Banque du Canada devrait abaisser son taux directeur de 25 points de base à chacune des deux dernières réunions d’ici la fin de l’année. Il y a donc un risque que le gouverneur Tiff Macklem se montre plus ambitieux s’il donnait effectivement plus d’importance à la croissance à terme. C’est ce qui se traduirait par un risque de baisse de 50 points de base à l’une de ces réunions.
L’inflation recule constamment depuis qu’elle a atteint un pic de 8 % (sur un an) en juin 2022. Elle se situe dans le haut de la fourchette de 1 %‑3 % de la Banque du Canada depuis janvier 2024 et a atteint, en août 2024, sa cible de 2 % pour la première fois depuis la pandémie. Dans le même mois, l’inflation fondamentale hors alimentation et énergie s’est inscrite à 2,4 % — ce qui n’atteint toujours pas la cible de 2 %, mais ce qui s’en approche. Si les risques de hausse de l’inflation restent nombreux, l’amélioration de l’inflation crée pour la Banque du Canada une marge qui lui permet de consacrer une partie de son attention non plus à la lutte contre l’inflation, mais plutôt au ralentissement de l’économie et à l’élimination de l’offre excédentaire dans son régime souple de ciblage de l’inflation. Annoncé à la fin de 2021, ce régime lui permet de chercher plus formellement et activement à éliminer la mollesse économique, mesurée par l’écart de production ou par l’écart du chômage, lorsque les conditions le justifient.
Dans une entrevue donnée en septembre au Financial Times, on cite le gouverneur de la Banque du Canada, qui a déclaré « lorsqu’on frôle la cible [de l’inflation], le calcul de la gestion des risques change. On s’inquiète davantage des risques de baisse. » Il a aussi déclaré que la BdC ne souhaite pas accroître la capacité excédentaire dans l’économie. C’est ce qui permet de croire à un remaniement des priorités si l’inflation continue de baisser pour atteindre la cible de 2 % et si la mollesse économique et l’offre excédentaire perdurent. Ce remaniement des priorités ouvre la porte à une baisse démesurée, à périmètre constant.
Pour en tenir compte dans notre propre cadre révisé pour la prévision du taux directeur de la Banque du Canada, nous revoyons notre indice des priorités de la politique monétaire. (Pour en savoir plus, veuillez consulter cette note.) En bref, nous estimons les poids qui pèsent sur l’écart d’inflation et sur l’écart de production dans la fonction de réaction de la Banque du Canada en les laissant varier au fil du temps et en ramenant l’indice à 1. Ainsi, la Banque du Canada peut à tout moment décider de prioriser le ciblage de l’inflation, de combler l’écart de production ou de faire les deux à la fois. Plus l’inflation passée et projetée se rapproche de la cible, plus nous nous attendons à ce que la BdC mette du poids sur le rapprochement de l’écart de production par rapport à l’écart de l’inflation, et inversement.
Le graphique 1 trace les coefficients de pondération variant dans le temps sur l’écart de l’inflation et sur l’écart de production dans un passé récent et pour l’horizon prévisionnel. Nous constatons que pendant la période inflationniste postpandémique, alors que l’inflation était nettement supérieure à la cible, le poids dans la fonction de réaction a complètement basculé en faveur de la lutte contre l’inflation, de sorte que le poids sur l’écart de production est proche de zéro, puisque la Banque du Canada a priorisé exclusivement la réduction de l’inflation. Toutefois, à partir du quatrième trimestre de 2023, alors que l’inflation continuait de se normaliser et qu’une offre excédentaire commençait à se dégager, les poids ont commencé à basculer, et le poids sur l’inflation a peu à peu baissé alors que le poids sur l’écart de production a augmenté. Au troisième trimestre de 2024, le poids sur les deux écarts était égal, d’après quoi notre modèle laisse entendre qu’il y a plus de poids sur le rapprochement de l’écart de production que sur l’inflation. À la fin de 2025, le poids pèse entièrement sur l’écart de production, et le poids sur l’écart de l’inflation est proche de zéro, puisque nous prévoyons que l’inflation fondamentale reviendra sur la cible de 2 % d’ici au milieu de 2025 et y restera dans l’ensemble.
Le graphique 2 fait état de la prévision qui en résulte pour le taux directeur monétaire si nous intégrons ces priorités remaniées dans notre fonction de réaction de la Banque du Canada. Cette prévision indique un risque de baisses de 25 points de base supplémentaires en 2024 par rapport à notre pronostic, ce qui donne un total de 75 points de base de baisses d’ici la fin de 2024. Puisqu’il reste encore deux décisions à prendre pour la Banque du Canada, cette prévision laisse entrevoir une possibilité de baisse de 50 points de base dans l’une des deux réunions si la croissance économique continue de se ralentir alors que l’inflation reste proche de la cible. Or, ce risque de baisse supplémentaire diminuerait rapidement si les pressions désinflationnistes s’apaisent parce que les dépenses des ménages sont plus importantes que celles que nous prévoyons actuellement (comme en témoigne par exemple la brusque hausse des ventes au détail jusqu’à maintenant au troisième trimestre de 2024), que le logement rebondit plus fortement, que les cours du pétrole augmentent et que les grèves dans les ports américains font peser de nouvelles pressions sur les chaînes logistiques.
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