- Dans nos prévisions, nous supposons que l’inflation baissera progressivement, essentiellement en raison de l’amélioration fulgurante des contraintes et des blocages logistiques intérieurs et mondiaux, du récent plongeon du cours du pétrole et du ralentissement escompté de l’économie américaine et de l’économie canadienne. Le rythme de la baisse de l’inflation est limité par la forte croissance des salaires prévue en 2023, ce qui nous donne un taux prévisionnel d’inflation de l’ordre de 4 % cette année et un retour sur la cible de 2 % en 2024.
- Ces prévisions sont très incertaines. Nous analysons attentivement l’effet de quatre scénarios de rechange pour avoir une idée des risques de notre pronostic. Deux scénarios sont haussiers (augmentation de la demande excédentaire actuelle et détérioration des contraintes et des blocages logistiques dans les deux prochaines années) et deux sont baissiers (effet plus rapide sur l’inflation de l’amélioration importante récente des contraintes logistiques et d’une récession du type 1990‑1991).
- Bien qu’il faille reconnaître que certains scénarios sont catastrophiques, ils font intervenir une fourchette supérieure et une fourchette inférieure pour l’inflation moyenne en 2023, soit entre 3,3 % et 4,5 % (graphique 1). De même, une récession du type 1990‑1991 pourrait avoir pour effet d’abaisser le taux directeur à 3,0 % d’ici la fin de l’année, alors qu’une recrudescence importante des contraintes logistiques pourrait porter à 5,0 % la hausse du taux directeur (graphique 2).
L’évolution récente de l’inflation au Canada laisse entendre qu’elle suit fidèlement un parcours baissier. Il va de soi qu’il s’agit d’une bonne nouvelle dans la foulée des résultats techniques postpandémiques de l’inflation. Ces résultats ont ébranlé notre analyse de la dynamique de l’inflation, et le débat se poursuit sur les facteurs qui portent cette dynamique et, par le fait même, sur la politique à adopter en réaction.
À notre avis, l’essentiel de l’inflation que nous avons subie au Canada s’explique par des facteurs qui, jusqu’à maintenant, sont essentiellement indépendants de la volonté de la Banque du Canada. Les problèmes logistiques mondiaux, les cours élevés (même s’ils baissent aujourd’hui) les produits de base, les blocages dans le transport et les retards dans l’expédition des marchandises, et bien entendu les stocks anémiques. Bien que ces facteurs s’apparentent à des problèmes logistiques, nous adoptons comme point de vue que le défi inflationniste puise ses racines dans l’accélération fulgurante de la demande mondiale en raison des programmes massifs de relance monétaire et budgétaire lancés dans les premiers jours de la pandémie en 2020, ce qui a donné lieu, entre la demande et l’offre mondiales, à un écart, exacerbé par les difficultés logistiques pendant la COVID‑19. Il allait toujours y avoir une dimension passagère du choc inflationniste — puisque l’offre a augmenté pour répondre à la demande et que la demande s’est normalisée quand la vie a repris son cours normal et que les banques centrales ont commencé à rappeler certains programmes d’aide. Or, il était évident que le choc de l’inflation était beaucoup plus tenace qu’attendu, ce qui a eu un profond retentissement sur les attentes et bien entendu, finalement, sur les salaires. L’écart de l’inflation par rapport aux cibles et la surchauffe dans les grandes puissances économiques ont obligé à durcir considérablement la politique monétaire, comme en témoignent aujourd’hui les mesures adoptées jusqu’à maintenant.
Dans nos prévisions, nous retenons comme hypothèse une baisse graduelle de l’inflation, qui s’explique essentiellement par le déclin déjà constaté dans les prix des intrants. Le rythme auquel l’inflation se ralentit est limité par la forte croissance des salaires prévue en 2023, ce qui nous amène à prévoir un taux d’inflation de l’ordre de 4 % cette année et un retour à la cible de 2 % en 2024. La politique monétaire aura un impact limité sur une grande partie de la baisse de l’inflation attendue, puisqu’elle est essentiellement le miroir de la conjoncture mondiale. Ceci dit, la normalisation des facteurs internationaux ne sera pas suffisante pour ramener l’inflation sur la cible de 2 %, d’où les mesures monétaires obligatoires adoptées jusqu’à maintenant. Dans nos prévisions actuelles, le taux directeur de la Banque du Canada culmine à son niveau actuel et est abaissé une fois vers la fin de 2023.
Il ne fait aucun doute que notre confiance dans notre capacité collective à prévoir l’inflation a été ébranlée dans ces dernières années. Si l’évolution de l’inflation canadienne cadre essentiellement avec les modèles et les prévisions aujourd’hui (nos prévisions inflationnistes pour 2023 sont assez stables depuis septembre), les prévisionnistes comme les décideurs doivent sans nul doute faire preuve d’humilité quand il s’agit de prévoir l’inflation. Les quelques mois de statistiques qui cadrent avec les attentes générales ne justifient pas plusieurs trimestres de fortes sous‑estimations. C’est en pensant à ce point de vue que nous envisageons plusieurs scénarios dans nos prévisions référentielles de l’inflation. Nous estimons deux scénarios plausibles qui pourraient avoir pour effet d’augmenter l’inflation et deux scénarios dans lesquels l’inflation pourrait baisser plus rapidement qu’attendu. Dans un cas comme dans l’autre, nous faisons état des incidences pour la politique monétaire et les perspectives. L’objectif consiste simplement à jeter un éclairage sur les différents parcours inflationnistes en tenant compte des erreurs commises dans les deux dernières années dans les prévisions de l’inflation.
Nous commençons par nous pencher sur deux scénarios qui pourraient avoir pour effet de hausser l’inflation. Le premier scénario suppose que la demande excédentaire correspond au double de nos hypothèses actuelles. Le rendement récent de l’économie canadienne et le marché du travail laissent entendre que cette hypothèse pourrait être plus réaliste qu’elle l’aurait été il y a un mois. Ainsi, l’augmentation augmente d’environ un tiers d’un point de pourcentage par rapport à nos prévisions actuelles (2023 : 4,2 % contre 4,0 % et 2024 : 2,3 % contre 2,0 %), et d’ici la fin de 2024, la politique monétaire devrait se durcir peu à peu de 75 points de base supplémentaires par rapport au scénario de base. Dans ce scénario, la réponse culminante du taux directeur canadien est de 4,75 % au lieu de 4,5 % dans le scénario de base. Le deuxième scénario suppose une nouvelle hausse des coûts des intrants associée à de nouveaux blocages des chaînes logistiques et à l’augmentation des cours du pétrole, ce qui pourrait se produire si la guerre en Ukraine dégénérait. Dans ce scénario, l’inflation augmente peu à peu de plus d’un demi‑point de pourcentage par rapport à nos prévisions actuelles (2023 : 4,5 % contre 4,0 % et 2024 : 2,8 % contre 2,0 %), ce qui donne lieu à un taux directeur culminant et tenace de 5,00 %. Le taux directeur se situe toujours à 4,25 % à la fin de 2024 par rapport à 3,0 % dans notre scénario de base.
Par contre, nous envisageons un scénario dans lequel l’économie est aux prises avec une récession du type 1990‑1991, ce qui quadruple l’offre excédentaire escomptée à la fin de 2024 et ce qui mène à une baisse approximative de 1 % de l’inflation par rapport à notre point de vue actuel. La baisse de l’inflation et de l’activité économique obligerait la Banque du Canada à réduire immédiatement et rapidement ses taux, de sorte que le taux directeur plongerait à 3 % à la fin de cette année et à 1,5 % au terme de 2024. Il s’agit manifestement d’un scénario spectaculaire, qui contredit évidemment les révisions haussières des perspectives dans les dernières semaines. Dans un scénario plus réaliste, on mise sur une accélération de l’effet de répercussion des améliorations de la chaîne logistique sur l’inflation puisque notre modèle de prévision de l’inflation tient compte d’une relation estimative entre les indices de production de l’offre et l’inflation. Une accélération de cet effet de répercussion rognerait environ un tiers de point de pourcentage sur l’inflation d’ici la fin de 2023, ce qui obligerait à Banque du Canada à abaisser ses taux de 50 points de base par rapport au scénario de base à la fin de 2023.
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