• En raison d’importants risques de hausse potentielle de l’inflation, les banques centrales doivent rester prudentes. Nous nous attendons à ce que la Banque du Canada hausse une autre fois ses taux en 2023 et à ce que les baisses de taux soient reportées au deuxième trimestre de 2024.
  • Cette évolution constitue, dans le meilleur des cas, une assurance contre les hausses-surprises de l’inflation, puisque notre modèle n’indique pas qu’il faut une nouvelle hausse, compte tenu de nos prévisions actuelles pour l’économie et l’inflation.
  • La prime d’assurance implicite de la baisse du PIB et de l’augmentation du chômage est la rançon à payer pour se prémunir contre les impacts potentiels de la flambée de l’inflation. Compte tenu de la dispense qui sépare les niveaux actuels et les niveaux projetés de l’inflation par rapport à la cible de 2 %, nous croyons que la Banque du Canada n’a pas la marge de manœuvre qui lui permet de se priver de cette assurance.

La résilience de l’économie canadienne à la hausse des taux d’intérêt dans la dernière année fait ressortir clairement la nécessité de hausser légèrement les taux directeurs pour ralentir obligatoirement l’inflation et la ramener sur sa cible de 2 %. C’est ce que l’on constate dans la décision de la Banque du Canada de hausser son taux directeur en juin en laissant la porte ouverte à d’autres hausses éventuelles. Effectivement, nous croyons que la Banque du Canada haussera une dernière fois les taux d’intérêt au troisième trimestre. Bien que notre modèle n’indique pas que cette nouvelle hausse soit nécessaire, malgré la résilience de l’économie et l’inflation fondamentale récalcitrante, nous considérons qu’il s’agit d’une assurance contre l’inflation.

Compte tenu des importants risques de hausse potentiels pour le pronostic inflationniste et en raison des coûts démesurés de la matérialisation de ces risques pour les ménages et pour l’économie, la Banque du Canada a raison de pondérer fortement ces risques dans ses décisions de politique monétaire. Prenons par exemple le marché du logement : la vigueur récente de ce marché laisse entendre qu’il ne fera plus peser le poids qu’il exerçait sur la croissance économique depuis qu’on a commencé à hausser les taux directeurs. La Banque du Canada ne peut pas se permettre que le secteur de l’économie le plus sensible aux taux reprenne du poil de la bête à l’heure où elle tâche énergiquement de ralentir la croissance et l’inflation. Puisque l’inflation est chroniquement supérieure à sa fourchette cible, le gouverneur Tiff Macklem n’a pas le luxe d’attendre pour savoir si ce facteur et d’autres porteurs des risques haussiers de l’inflation perdurent.

Or, souscrire cette assurance donne lieu à des coûts. Il vaut mieux considérer que les coûts de cette assurance supplémentaires pour le PIB et le chômage constituent la prime d’assurance à acquitter pour se prémunir contre des résultats économiques potentiellement pires. Dans cette note, nous comparons l’inflation et les résultats de la croissance économique entre un scénario qui oblige à intégrer dans le modèle une prévision des taux et un scénario qui laisse le modèle déterminer ses prévisions.

Le graphique 1 trace les deux parcours différents dans l’évolution des taux d’intérêt. Le premier scénario, qui cadre avec notre prévision du 16 juin, prévoit une hausse supplémentaire dans le troisième trimestre cette année et maintient le taux directeur à ce niveau supérieur jusqu’au premier trimestre de l’an prochain, ce qui lui permet de baisser lentement en 2024. Le deuxième scénario permet au modèle de fixer les taux et indique que malgré nos prévisions actuelles pour l’économie et l’inflation, ce modèle ne permet pas de penser qu’une hausse supplémentaire est nécessaire et considère que le taux directeur baisse plus rapidement que dans notre scénario référentiel.

Graphique 1 : Taux directeur

Le graphique 2 trace les parcours qui en découlent pour l’activité économique dans chaque scénario. En plus de prévoir une hausse supplémentaire, notre scénario référentiel du 16 juin (ligne en traitillé bleue) intègre un autre jugement porté sur la croissance du PIB qui cadre avec les données de plus grande fréquence et les récents développements, ce qui donne deux trimestres consécutifs de croissance négative dans le deuxième semestre cette année — soit une légère récession technique. En supprimant ce jugement supplémentaire sur le PIB et en maintenant le parcours prévu pour les taux d’intérêt, on obtient quand même une récession (ligne pleine bleue) qui est légèrement plus profonde et qui intervient un trimestre après notre scénario référentiel du 16 juin. Nous comparons ce scénario à un autre scénario qui prévoit que le modèle déterminera les taux sans superpositions de notre part (ligne pleine rouge). Comme l’indique le graphique 2, en mettant fin au cycle de hausses des taux au niveau actuel pour le taux directeur, on permettrait à l’économie d’éviter une récession d’ici la fin de l’année. Autrement dit, la récession que nous projetons dans nos prévisions référentielles est le résultat du durcissement de la politique monétaire, plutôt que de la conjoncture économique sous‑jacente, ce qui donnerait une perte de 0,5 % du PIB.

Graphique 2 : Croissance du PIB réel

Le tableau 1 fait état du compromis sur les perspectives inflationnistes : capituler sans rehausser les taux au troisième trimestre donnerait lieu à un taux d’inflation de 0,1 % de plus en 2024 et en 2025 par rapport à notre scénario référentiel, ce qui cadre avec les propriétés du modèle d’équilibre général stochastique dynamique (DSGE) de la Banque du Canada et avec son estimation de l’impact d’un choc de la politique monétaire sur l’inflation.

Tableau 1 : Canada – Résultats de l'inflation

Or, ce résultat en apparence souhaitable, selon lequel la Banque du Canada ne rehausse pas les taux cette année et selon lequel notre économie évite une récession avec un coût relativement moindre pour l’inflation, se fonde sur nos hypothèses référentielles d’un ralentissement de l’inflation dans les prochains trimestres. Il ne tient pas compte des surprises à la hausse dans les perspectives de l’inflation. Ces surprises potentielles constituent un motif d’inquiétude monétaire dramatiquement supérieur à celui des surprises à la baisse de l’inflation compte tenu du niveau actuel et du niveau projeté de l’inflation par rapport à la cible de la BdC et de l’écart entre les attentes inflationnistes et la cible (graphique 3). Si l’inflation s’accélère, la BdC risque une baisse de sa crédibilité et le désancrage des attentes inflationnistes, ce qui obligera à pratiquer plus de hausses que ce que prévoit actuellement notre pronostic référentiel pour assurer le ralentissement nécessaire et ramener l’inflation sur la cible. D’après nos simulations, une autre baisse importante de la crédibilité voudrait dire que le taux directeur pourrait culminer à plus de 5,5 % contre 5,0 % dans notre scénario référentiel et que le taux directeur à la fin de 2024 serait de plus de 4,5 %, et non de 3,75 %. Les coûts seraient ainsi démesurés pour les ménages, qui devraient composer non seulement avec la hausse des prix, mais aussi avec l’augmentation de la dette à rembourser et du moindre accès au nouveau crédit pour financer l’accroissement de ces dépenses, ce qui aurait des retombées négatives sur l’ensemble de l’économie. 

Graphique 3 : Attentes inflationnistes supérieures à la cible de 2 % de la BdC

C’est pourquoi nous croyons qu’il est nécessaire que la Banque du Canada reste prudente dans sa gestion de l’inflation et souscrive une assurance contre le résultat de l’inflation en rehaussant les taux cette année et en continuant de les maintenir à des niveaux élevés pendant plus longtemps.