- Notre approche prévisionnelle se fonde sur un modèle macroéconomique perfectionné de l’économie canadienne. Nous étoffons régulièrement ce modèle pour mieux être en mesure d’analyser la conjoncture actuelle et la conjoncture prospective. Compte tenu de l’importance de l’inflation et de la dynamique du marché du travail dans les derniers mois, nous mettons à jour notre approche pour intégrer dans notre modèle les prévisions des salaires et des coûts unitaires de main‑d’œuvre, ainsi que l’impact de l’inflation sur les salaires, qui se répercute sur les coûts unitaires de main‑d’œuvre, ce qui a des contrecoups sur nos prévisions.
- En 2022, nous prévoyons que la rémunération totale par heure de travail augmente de 4 %, ce qui est nettement inférieur à nos prévisions de l’inflation, de l’ordre de 6 % pour l’année, et ce qui est encore plus loin des fondamentaux économiques quand il s’agit d’intégrer les gains de productivité attendus.
- C’est pourquoi nous prévoyons une détérioration importante et chronique de 3 % du pouvoir d’achat net des ménages et une augmentation du coût net de la vie, qui se poursuivra au‑delà de 2023, ce qui pourrait justifier une aide temporaire du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral dans le revenu des ménages, soit essentiellement les ménages à revenus faibles.
- Nous prévoyons que la croissance de la rémunération totale par heure de travail s’accélère pour s’établir à 6 % environ en 2023, ce qui comblera en partie l’écart des salaires par rapport à l’inflation et à la productivité. À partir de 2023, ce rattrapage des salaires produira d’autres pressions inflationnistes qui, en données constantes, font partie du socle de notre opinion, selon laquelle la Banque du Canada doit durcir vigoureusement la politique monétaire.
I. CONTEXTE
La forte demande, les contraintes et les blocages de l’offre en raison de la COVID et les prix élevés des produits de base ont tous concouru à une hausse importante et chronique de l’inflation. Dans les dernières prévisions que nous avons publiées, nous nous attendons à ce que l’inflation totale selon l’IPC s’établisse à une moyenne de 5,9 % en 2022 et de 3,1 % en 2023, malgré le durcissement notable attendu des politiques monétaires américaine et canadienne. Dans une note récente, nous avons expliqué que les attentes inflationnistes se sont désarrimées de la cible de la Banque du Canada et qu’elles continueront de le faire pendant au moins les deux prochaines années. Ce contexte donne lieu à deux questions importantes sur l’interaction entre l’inflation et les salaires. Premièrement, compte tenu de l’inflation élevée, qu’adviendra‑t‑il du pouvoir d’achat des ménages? Les salaires augmenteront‑ils suffisamment pour couvrir l’inflation et les gains de productivité prévus? Deuxièmement, quelle sera la contribution de l’évolution des salaires à l’inflation dans les prochaines années? Dans cette note, nous construisons un modèle qui nous permet de répondre à ces questions importantes.
II. LE MODÈLE ET NOTRE APPROCHE
Nous construisons un modèle qui prévoit la rémunération totale par heure de travail, la productivité de la main‑d’œuvre et le coût unitaire des travailleurs. Conformément à la théorie économique populaire, nous supposons que la rémunération de la main‑d’œuvre tient compte de l’équilibre entre les gains de productivité de la main‑d’œuvre et l’inflation. Dans notre modèle, le total de la rémunération et des salaires réagit aussi à la situation de la demande sur le marché du travail, selon l’écart du taux de chômage, de même qu’à l’offre de travailleurs selon le taux de chômage à inflation stationnaire (TCIS). Notre modèle macroéconomique pour l’ensemble du Canada et des États‑Unis fait état de la prévision pour l’inflation selon l’IPC, pour l’écart du taux de chômage, pour le TCIS et pour le total de la production. Pour en savoir plus sur notre modèle, veuillez consulter l’appendice.
Ce modèle permet de prévoir ce que nous appelons l’écart salarial, qui est égal à la rémunération totale par heure de travail moins le total de l’IPC et moins la productivité des travailleurs. Cet écart salarial capte l’évolution du pouvoir d’achat net des ménages. Si la croissance des salaires n’est pas suffisante pour couvrir l’inflation et le gain de productivité par rapport à l’équilibre, le pouvoir d’achat des ménages s’effrite et le coût effectif de la vie augmente. Dans notre courbe de Phillips de l’IPC fondamental, l’inflation est fonction de la croissance des coûts unitaires de la main‑d’œuvre, qui est égale à la croissance des salaires moins la croissance de la productivité de la main‑d’œuvre, deux éléments que permet de prévoir notre modèle. Par conséquent, ce modèle nous permet aussi de capter la pression des salaires sur l’inflation, ce qui apporte un certain éclairage sur les deux questions posées dans cette note.
III. RÉSULTATS
Le tableau 1 fait état de la croissance prévue de la rémunération totale par heure de travail selon le modèle et compare ces prévisions avec notre prévision totale de l’inflation. En 2022, cette approche laisse entendre que la rémunération totale par heure de travail croîtra de l’ordre de 4 %, ce qui ne couvre pas l’inflation (5,9 %), et encore moins l’inflation et les gains de productivité attendus. C’est pourquoi on s’attend à un écart salarial négatif important et chronique de 3 % (cf. le graphique 1), qui culminera au T1 de 2023. Nos résultats laissent entendre que la croissance totale de la rémunération s’accélérera pour s’établir à 6 % environ en 2023, ce qui viendra combler en partie l’écart salarial. C’est pourquoi nous nous attendons à une détérioration importante et continue du pouvoir d’achat net des ménages et à une augmentation du coût net de la vie, qui perdureront jusqu’en 2023 et dans les années suivantes.
Le graphique 2 fait état du parcours prévu du taux de croissance du coût unitaire de la main‑d’œuvre (sur un an) moins 2 % (la cible inflationniste), ce qui correspond à la variable des salaires qui alimente la courbe de Phillips pour l’inflation fondamentale selon l’IPC dans notre modèle économique pour l’ensemble du Canada et des États‑Unis. Les salaires devraient faire peser une pression considérable sur l’inflation en 2023.
IV. INCIDENCES SUR LA POLITIQUE
La dégradation attendue du pouvoir d’achat des ménages pourrait justifier une intervention destinée à aider les ménages à faibles revenus à s’adapter à la hausse de l’inflation. L’aide au revenu offerte en définitive par le gouvernement provincial et par le gouvernement fédéral devrait être temporaire (puisque la détérioration de l’écart salarial est temporaire) et devrait s’adresser aux ménages à faibles revenus. Enfin, à partir de 2023, la Banque du Canada devrait s’attendre à des pressions inflationnistes produites par le coût unitaire de la main‑d’œuvre dans la fixation de sa politique monétaire ce qui l’obligera, en données constantes, à hausser plus vigoureusement et rapidement les taux directeurs.
APPENDICE : LE MODÈLE
Facteurs des variables (signe de l’effet entre parenthèses)
1. Rémunération totale par heure de travail (rapport sur la productivité et sur les coûts)
- Productivité des travailleurs (+)
- Inflation totale selon l’IPC (+)
- Écart du taux de chômage (taux de chômage ‑ TCIS) (‑)
- TCIS (+)
- Taux de change réel (‑)
2. Heures de travail (rapport sur la productivité et sur les coûts)
- PIB potentiel (+)
- Déficit de production (+)
- Salaires (‑)
3. Production totale (rapport sur la productivité et sur les coûts)
- Arrimée à la prévision du PIB de notre modèle macroéconomique pour l’ensemble du Canada et les États‑Unis
Il faut noter que l’ensemble de la prévision de la rémunération totale par heure de travail, la prévision des heures de travail et la prévision de la production donnent la prévision de la productivité des travailleurs, et par le fait même, la prévision du coût unitaire de la main‑d’œuvre. En outre, la prévision de l’inflation selon l’IPC, l’écart du taux de chômage, le déficit de production, le PIB potentiel et le TCIS proviennent de la prévision que nous avons établie d’après le modèle macroéconomique Canada–États-Unis de la Banque Scotia.
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