• Les Canadiennes et les Canadiens sont aux prises avec un sentiment d’insatisfaction à propos de tout et de rien par les temps qui courent. Le pessimisme teinte les enjeux qui s’étendent à l’ensemble de l’économie, du gouvernement et de la société. La satisfaction personnelle encaisse le coup (graphique 1).
  • La liste des difficultés est longue, à juste titre — et le ralentissement de l’économie renforce ces inquiétudes. Or, l’analyse fouillée des données révèle une résilience remarquable.
  • Les indicateurs de la santé financière, qu’il s’agisse de la valeur nette ou du revenu réel disponible, laissent entendre que dans le spectre des revenus, la plupart des Canadiens se débrouillent mieux qu’avant la pandémie (graphique 2).1 Même les dépenses consacrées aux produits essentiels en pourcentage des revenus reviennent essentiellement à ce qu’ils étaient avant la pandémie malgré les pressions inflationnistes.
  • Un ensemble de partis pris cognitifs pourrait discrètement façonner l’humeur des particuliers. Il se pourrait que l’on compare éventuellement les attentes aux pics (intenables) du passé ou qu’on rattache la performance à celle des pairs (ou des parents). Les débats sur l’équité intragénérationnelle et intergénérationnelle pourraient amplifier — et polariser — le sentiment d’insatisfaction.
  • La perception est importante. Le pessimisme peut éroder la confiance des consommateurs et des investisseurs dans les conséquences immédiates et à plus long terme pour l’économie. Même si différents points vulnérables et déficits structurels perdurent au Canada, il n’est pas évident que le pessimisme généralisé d’aujourd’hui soit parfaitement justifié. Il pourrait même être contreproductif, puisque ce sentiment pourrait s’autoréaliser.
  • Le Canada doit évaluer la confiance des particuliers, faute de quoi il risque de péricliter. Si on ne bascule pas dans un dialogue plus constructif sur l’avenir du Canada, il se pourrait qu’on ne puisse plus jamais faire mieux. 
Graphique 1 : Le bien-être perçu dégringole; Graphique 2 : Les Canadiennes et les Canadiens se sentent moins riches

TOUT SE FISSURE

Nombreux sont les Canadiennes et les Canadiennes qui ont l’impression d’être assez mal en point par les temps qui courent. La nation est aux prises avec la flambée générationnelle de l’inflation, de concert avec l’explosion des taux d’intérêt et des prix du logement, entre autres préoccupations économiques. La plupart des prévisionnistes avaient annoncé une récession depuis plus de deux ans — les médias amplifiant la missive — non sans hésiter (discrètement) à revenir sur ce pronostic lorsque l’activité économique a nettement éclipsé les attentes. L’an dernier par exemple, la production de l’économie canadienne a été deux fois plus élevée que ce qu’on avait prédit un an auparavant; aux États‑Unis, la production s’est multipliée par huit. Même si l’activité économique se ralentit à l’évidence et que les risques assombrissent toujours l’horizon, les signaux négatifs continuent de monopoliser les grands titres.

Le moral financier des ménages témoigne de ce pessimisme. L’indice de confiance des consommateurs du Conference Board du Canada fait état d’un niveau de morosité qui n’a d’égal que l’effondrement du marché mondial en 2008 ou l’éclosion de la pandémie en 2020 (graphique 3). L’Indice de l’humeur économique de Bloomberg a commencé à donner certains signes de reprise cette année; or, l’ambiance est toujours essentiellement morne. Dans son Enquête sur les attentes des consommateurs, la Banque du Canada corrobore ces points de vue : le stress financier perçu est toujours élevé — même s’il baisse par rapport au pic de l’an dernier. Les perspectives économiques sont au cœur des inquiétudes des particuliers (graphique 4). 

Graphique 3 : Les consommateurs canadiens sont d'humeur maussade; Graphique 4 : De mauvais augure

L’entreprise tourne elle aussi au ralenti. Différentes enquêtes statistiques, dont l’Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, le Baromètre des affaires de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante et l’Indice Ivey des directeurs d’achats laissent entendre que les perspectives du secteur privé restent tièdes et volatiles (graphique 5). L’incertitude s’inscrit en tête de liste des inquiétudes (et, à ce sujet, la nervosité à propos de la fiscalité et de la réglementation), selon la Banque du Canada. Dans le même temps, les marchés à terme continuent d’évoluer à la hausse (ou du moins en zigzag), et d’autres baromètres des forces mondialement exogènes sont relativement anodins, voire optimistes, et hésitent entre l’incertitude, la volatilité et le goût du risque. 

Graphique 5 : Entreprises : perspectives assombries

LA VIE, L’UNIVERS ET TOUT

L’humeur compte pour beaucoup. L’ambiance joue essentiellement le rôle de lubrifiant — ou de sable — dans l’engrenage des décisions des consommateurs et des investisseurs. Quand ils ont la sécurité d’emploi et une perception positive de l’économie, les ménages ont tendance à dépenser et à investir davantage. Les « effets de la richesse » sont également bien documentés : le sentiment de s’enrichir (grâce à la valorisation des actifs) peut porter la demande. Les entreprises qui prévoient de croître ont plus tendance à s’agrandir et à investir, en surfant sur la vague des perspectives escomptées. L’ambiance peut donc être une prophétie qui se réalise (ou se détruit) d’elle-même.

La perception n’est pas toujours rationnelle. Même les  ménages dont la situation financière est stable ont parfois l’impression d’être moins en sécurité qu’ils le sont. Les théories de la comparaison sociale — comme l’idée de la « rivalité avec les voisins » — laissent entendre que les particuliers mesurent leurs succès par rapport à leurs pairs, tendance que peuvent amplifier les réseaux sociaux. L’adaptation hédonique laisse entendre que le désir augmente avec l’acquisition (plus on en a, plus on en veut). Les partis pris cognitifs, comme le sentiment d’être piqué par les pertes plus que d’être animé du bonheur de gains équivalents ou de donner une importance inconsidérée aux événements récents, peuvent fausser le point de vue des particuliers. Ces notions sont très pertinentes dans le contexte économique (et politique) actuel.

Les craintes débordent largement les finances. Dans l’ensemble, la satisfaction personnelle a nettement régressé; cette tendance est particulièrement évidente parmi les communautés marginalisées et, de plus en plus, chez les jeunes Canadiens. Si la pandémie a pu influencer les dernières statistiques en date, la santé mentale a commencé à régresser longtemps avant le début de la pandémie. L’analyse, menée il y a longtemps, mais toujours d’actualité, du Centre for the Study of Living Standards permet de constater que le bien-être mental et physique est un déterminant beaucoup plus important du bonheur que la situation financière. De plus, la confiance publique dans les institutions — qui est liée à la santé mentale et physique ainsi qu’à la stabilité économique — s’est effritée, dans les dernières années, pour l’ensemble des entités, qu’il s’agisse du gouvernement, des médias ou des systèmes d’éducation, selon Statistique Canada.

Les données corroborent-elles cette idée morose de la vie au Canada? En bref, il pourrait s’agir d’une exagération pour la plupart. Ou du moins, c’est tout à fait relatif. Il ne s’agit pas d’une définition universellement admise du bien-être et de la qualité de vie. Or, on peut passer au crible les couches statistiques superficielles pour s’en faire une idée.

LA DÉFLATION DES ATTENTES

La valeur nette est un bon point de départ. Elle donne un instantané complet de la santé et de la stabilité financières des ménages. Elle rend compte du potentiel de consommation et d’investissement, ainsi que de la résilience économique et de la sécurité financière à plus long terme.

À l’heure actuelle, la valeur nette des ménages dépasse de plus de 25 % les chiffres d’avant la pandémie. Elle a bondi du tiers avant que les brusques hausses des taux d’intérêt viennent en quelque sorte la ternir. La valeur nette des ménages s’est capitalisée au rythme annuel moyen de 13 % depuis le confinement pour atteindre son zénith, contre environ 5 % dans la décennie qui a précédé la pandémie. Aujourd’hui, les gains moyens des ménages dépassent d’environ 20 000 $ ceux qui auraient été projetés d’après la croissance tendancielle depuis 2019 (en prenant comme référentiel le TCAC de 2010 à 2019).

Les gains se sont généralisés. Par exemple, la richesse nette des ménages du quintile des revenus les moins élevés surpasse de presque 50 % celle des niveaux atteints avant la pandémie; le deuxième quintile des revenus talonne ce chiffre (graphique 6). La cohorte des plus de 65 ans vient fausser cet instantané (puisque les besoins en revenus sont moindres); or, une analyse comparable des quintiles de la richesse nous apprend aussi que le quintile inférieur se débrouille mieux (ou est moins mauvais) que ce qu’il était avant la pandémie. (La valeur nette est toujours légèrement négative, après avoir plongé brièvement dans le noir en 2021.) De plus, les gains de la richesse se sont étendus à tous les groupes d’âge, menés par les moins de 35 ans — bien qu’à partir de valeurs initiales de richesse inférieures — ce qui correspond au modèle typique de l’accumulation de la richesse de son vivant (graphique 7). 

Graphique 6 : La répartition de la richesse; Graphique 7 : Ensemble des groupes d'âge

L’immobilier a joué un rôle prépondérant. Encouragés par les taux d’intérêt ultra faibles et la hausse des revenus, entre autres facteurs, les Canadiens se sont précipités sur les marchés du logement. Au pic de cette frénésie, les ventes nationales ont augmenté de plus de 50 %, ce qui a propulsé d’environ 55 % les prix des logements. Depuis, les marchés se sont calmés; or, le prix moyen du logement se situe toujours à environ 33 % de plus que les niveaux d’avant la pandémie. Dans l’ensemble du spectre des revenus, les ménages ont misé sur cet essor : l’accumulation des actifs a surpassé les passifs hypothécaires (graphiques 8 et 9). Mesurés en pourcentage des actifs prépandémiques, ce sont les groupes dont les revenus sont moindres qui ont cumulé les gains relatifs les plus importants. Si l’immobilier est généralement considéré comme illiquide (hormis lors d’une crise), l’augmentation de la valeur nette du logement est une source de résilience importante, mais souvent reléguée aux oubliettes (graphique 10). Même si elles sont portées par la précaution ou la propension, les économies qui se cumulent en parallèle sont toujours aussi considérables (graphique 11).

Graphique 8 : Les facteurs qui portent l'accumulation de la richesse; Graphique 9 : Les actifs des ménages augmentent plus rapidement que leur dette; Graphique 10 : Les Canadiennes et Canadiens propriétaires d'une plus large part de leur habitation; Graphique 11 : En mettre un peu de côté

En bref, les statistiques dressent un portrait relativement favorable. Il faut admettre que les données des bilans pourraient masquer des créneaux de vulnérabilité aigus; or, elles tracent un instantané global opportun des finances des ménages. Ceci dit, il n’est pas difficile d’analyser en profondeur ces indicateurs pour trouver le défaut d’un cadre référentiel particulier. C’est ce dont il est question dans bien des commentaires.

LE CONTRÔLE DE LA RÉALITÉ POUR LES CHÈQUES DE PAIE

Les revenus des ménages sont un autre point de contrôle important. Ces revenus apportent les fonds qui permettent de financer les dépenses, de constituer l’épargne et d’investir. Statistiquement, la croissance des revenus réels est de l’ordre de 1 % par an, ce qui correspond essentiellement aux gains de productivité qui permettent en définitive aux salaires de surpasser l’inflation.

Les effets de la pandémie ont brouillé les tendances de l’évolution des revenus dans les dernières années. Pendant la pandémie, les transferts exceptionnels consentis aux ménages canadiens ont eu pour effet de relever considérablement les revenus — dans les deux chiffres pour les Canadiens dont les revenus sont inférieurs — en 2020. Depuis, les revenus suivent un parcours de normalisation; or, toute comparaison fait pâle figure par rapport à ces pics intenables. Les particuliers en âge de travailler et dont les revenus sont moindres ont constaté une baisse de leurs revenus réels disponibles (corrigés de l’inflation) de l’ordre de 8 % depuis le pic porté par la pandémie en 2020 (graphique 12).

Graphique 12 : Les perspectives des revenus à long terme plus effrayantes que la dynamique à court terme

Le tableau paraît plus neutre — voire positif  — selon un point de vue plus vaste. Le revenu réel disponible est supérieur aux niveaux de 2019 pour les Canadiens en âge de travailler dans toutes les fourchettes de revenus. La hausse plus récente, en fait, a de quoi faire sourciller. Dans l’année écoulée (jusqu’au T1 de 2024), le revenu disponible a crû à un rythme annualisé moyen de 1,7 % contre 0,9 % avant la pandémie : il éclipse les gains de productivité et a des incidences à long terme sur le bien-être, ce qui est déconcertant.

LE CHOC DES PRIX

L’abordabilité pourrait constituer l’ancrage dominant qui pèse sur l’esprit collectif. Mater la crise du coût de la vie est devenu un cri de ralliement parmi l’ensemble des partis politiques et des paliers de gouvernement. Depuis 2022, les prix des biens non discrétionnaires comme le logement et l’alimentation augmentent plus rapidement que l’inflation de synthèse (graphique 13). Si les hausses de taux (et d’autres facteurs) ont tempéré, dans l’ensemble, l’augmentation des prix, les difficultés géopolitiques, démographiques et structurelles n’offrent guère de répit du point de vue du coût des nécessités. 

Graphique 13 : Le coût des produits essentiels surpasse l'inflation de syntèse

Le choc des prix est réel. Les niveaux de prix ont un impact psychologique plus considérable que les variations de prix, surtout pour les articles du quotidien. Même si l’inflation des aliments s’est ralentie au début de l’année, les deux tiers des Canadiens étaient d’avis qu’elle s’aggravait, d’après un sondage de Marketing Léger. Les prix affichés des produits de première nécessité viennent aussi modeler les perceptions des consommateurs à propos de l’ensemble de la conjoncture des prix. Les Canadiens pourraient très bien ne pas tenir compte (subconsciemment) de leurs gains relatifs de revenus en regard de l’inflation des produits alimentaires (et des autres nécessités). Même si les dépenses consacrées aux produits essentiels en pourcentage du revenu disponible redeviennent essentiellement ce qu’elles étaient avant la pandémie — et sont toujours supérieures à ce qu’elles étaient avant la pandémie pour le quintile des revenus les plus faibles (graphique 14) —, les revenus déflationnés feraient moins bonne figure par rapport aux prix des aliments (graphique 15). 

Graphique 14 : Coup dur à encaisser : les revenus viennent en partie compenser les produits essentiels; Graphique 15 : Le revenu « réel » dans le viseur de la subjectivité

Les coûts élevés du logement sont eux aussi probablement au cœur des préoccupations de nombreux Canadiens. Les impacts de la baisse de l’abordabilité ne percutent pas seulement les non-propriétaires. Même si les prix des logements au Canada (par rapport aux revenus) se situent au milieu du peloton parmi les pays comparables (graphique 16), la consolation est maigre pour ceux qui souhaitent avoir accès à la propriété. Le rythme brutal des hausses de prix — nourri par l’offre chronique et les facteurs aigus qui portent la demande — vient teinter le portrait encore plus à l’heure où les cibles sont constamment repoussées. La hausse des frais de location, en remuant le couteau dans la plaie, n’offre guère de répit. 

Graphique 16 : Bienvenue dans l'univers des prix élevés des logements

Les jeunes générations entrent dans l’âge adulte en intégrant cette réalité nouvelle. Les taux d’accession à la propriété baissent depuis 10 ans (66,5 % en 2021 contre 69 % en 2011), et c’est parmi les cohortes les plus jeunes que les baisses sont le plus prononcées. Il leur faut de plus en plus de temps (ou une âme charitable) pour franchir les mêmes étapes que leurs parents. Le Canada n’est pas le seul : partout dans le monde, les pays avancés sont aux prises avec les tensions intergénérationnelles dans le domaine du logement, ce qui n’offre guère de répit même si la performance relative du Canada est respectable (graphique 17).

Graphique 17 : Le premier pas est le plus difficile : l'accès à la propriété partout dans le monde

L’heure des comptes va un jour sonner. Une multitude de mesures est en gestation pour étoffer l’offre; or, il y a probablement des limites — du moins à court terme — pour les améliorations importantes à apporter à l’intention de ceux qui souhaitent acheter ou louer à la rigueur. L’abordabilité est aussi un produit des principes réglementaires et financiers des marchés, qu’il faut encore adapter à la nouvelle réalité du jour. Le Canada devra réévaluer les risques et refonder les attentes. Les comparaisons intergénérationnelles ne sont probablement ni réalistes, ni constructives. Jusqu’alors, ce facteur de découragement pourrait se donner libre cours pendant un certain temps.

FORTES INTEMPÉRIES

Il ne fait aucun doute que certains Canadiens sont aux prises avec des difficultés. Le taux national de pauvreté s’établit à 9,9 %, et 10,1 % des ménages ont des besoins essentiels en logement. L’an dernier, on a constaté une forte augmentation de l’insécurité alimentaire grave, qui a gagné 4 points de pourcentage pour s’inscrire à 16,9 %. Ces statistiques cadrent fidèlement avec les estimations de la Banque du Canada, selon lesquelles environ 10 % des ménages sont financièrement vulnérables d’après les données sur la performance du crédit. Les niveaux de stress financier autodéclarés sont à la hausse : les différents indicateurs de l’enquête de la Banque du Canada sont compris entre 15 % et 45 %. Même si les données des comptes nationaux pourraient ne pas capter efficacement certaines fragilités, d’autres sources officielles tracent un tableau relativement ciblé et constant des plus vulnérables.

Toutefois, le discours sur l’inégalité pourrait être trompeur et potentiellement contreproductif. Le portrait de l’inégalité des revenus (mesurée d’après le coefficient de GINI après impôts) a cédé une partie de ses gains temporaires liés à la pandémie, mais reste plus favorable que ce qu’il était avant la pandémie. En 2019, l’inégalité des revenus a atteint un creux depuis des dizaines d’années grâce à la croissance considérable des transferts gouvernementaux aux ménages — pour passer de 9,8 % à 11,7 % du PIB dans les 10 dernières années (graphique 18). Les systèmes d’éducation de grande qualité et accessibles sous‑tendent aussi la grande mobilité sociale intergénérationnelle au Canada, selon une précédente analyse de l’OCDE — même si cela veut dire qu’on peut plus facilement monter ou descendre l’échelle socioéconomique (graphique 19). 

Graphique 18 : Une remise en cause s'impose dans la redistribution; Graphique 19 : Faire bouger le monde

La conjoncture politique du jeu à somme nulle polarise le débat sur la richesse. On réclame (et agit) de plus en plus pour assurer la richesse, même si la répartition de la richesse au Canada est relativement stable depuis des dizaines d’années. Au Canada par exemple, la part de la richesse détenue par le dixième décile s’est maintenue à 58 % environ dans les deux dernières décennies. Même si le taux d’imposition approprié est subjectif, le Canada s’illustre à peine par rapport aux pays comparables — et fait beaucoup mieux que la plupart des régions — dans un monde dans lequel le capital est très mobile (graphique 20). Le Canada compte déjà les impôts sur la fortune les plus élevés (et les plus furtifs) des pays avancés sous la forme d’impôts fonciers; or, sa fédération fortement décentralisée a donné lieu à des discordances entre les responsabilités relatives aux recettes et celles relatives aux dépenses, avec des résultats moins que souhaitables pour les Canadiens (graphique 21). 

Graphique 20 : La répartition de la richesse partout dans le monde; Graphique 21 : La fiscalité des actifs partout dans le monde

La priorisation de la redistribution des revenus fait ombrage à l’impératif de la croissance. Elle polarise aussi des parties de la société. (Qu’il suffise de penser à l’adage « Qui cherche à plaire à tous ne plaît à personne ».) Les politiques destinées à l’expansion économique et à l’équité peuvent se compléter dans une politique‑cadre à somme positive. Les approches plus constructives pourraient prioriser l’amélioration des revenus du marché et la sécurité financière pour les Canadiens de la classe moyenne, tout en veillant à ce que l’aide offerte par l’État soit effectivement destinée aux plus vulnérables de la société.

C’EST AINSI QUE JAILLIT LA LUMIÈRE

Le Canada est un pays où il fait plutôt bon vivre. Il n’est pas nécessaire d’aller très loin au-delà de ses frontières pour le constater. La nation peut compter sur des institutions stables, des filets de sécurité sociale solides et un paysage économique et social relativement équitable. Le Canada se classe parmi les pays les plus sereins dans le monde selon le Rapport mondial sur le bonheur et se débrouille bien d’après les différents indicateurs du mieux-vivre de l’OCDE. Il talonne les États‑Unis comme destination privilégiée pour l’investissement direct étranger selon l’Indice de confiance FDI de Kearney, situation convoitée dans un pays de plus en plus polarisé.

Il ne fait aucun doute que le pays devra surmonter d’énormes obstacles. Or, recourir à l’alarmisme en réaction à sa polycrise ne donne pas de bons résultats. Le discours a basculé et fait état d’un point de vue clivant et morose sur les perspectives du Canada et sur le sentiment de bien-être des particuliers. Il y a un risque que le pessimisme à court terme se mue en paralysie à moyen terme. Une culture à somme nulle fait obstacle à tout; or, les légères mises au point à une époque où de vastes transformations sont nécessaires — comme les réformes de la fiscalité et des systèmes de transfert, les vastes réformes de la santé et de l’éducation, l’adéquation de la taille des gouvernements ou la revitalisation du fédéralisme coopératif. À l’heure où les pressions budgétaires se multiplient, le statu quo  est appelé à devenir encore plus polarisant.

Le Canada a besoin d’un nouveau discours qui favorise l’optimisme rationnel. Ce dialogue devrait promouvoir le progrès, favoriser les perspectives, vanter le succès et rétribuer le risque calculé, tous ancrés dans les réalités factuelles du terrain. Il est absolument essentiel d’adopter une vision inclusive, qui promeut l’autonomisation plutôt que le sentiment que tout nous revient de plein droit. On ne gagnera l’adhésion des Canadiens que grâce à la rigueur de la redevabilité.

Sinon — et c’est bien le parcours que nous suivons — nous continuerons de péricliter. Dans ce cas, la situation ne pourrait guère s’améliorer, ce qui légitimera davantage les prophètes de malheur.

 

1 Dans ce rapport, nous avons repris les données bilancielles du Système de comptabilité nationale (SCN), compte tenu des délais (données les plus récentes du T1 de 2024), par rapport aux autres sources de données sur les revenus des ménages (Enquête canadienne sur le revenu, version la plus récente en 2022) et à l’enquête sur la sécurité financière (Enquête sur la sécurité financière, version la plus récente en 2019). Ces données permettent d’analyser les tendances macroéconomiques, alors qu’il est préférable de faire appel à ces dernières sources pour les perspectives microéconomiques des particuliers et des ménages.