• Au début de la semaine, le premier ministre et le ministre de l’Immigration du Canada ont annoncé d’importants changements dans les plans d’immigration du pays pour les trois prochaines années.
  • Un repli dans l’admission des résidents permanents, de concert avec une forte contraction du nombre de résidents permanents, donnerait lieu à une contraction légèrement négative de la croissance de la population (-0,2 %) sur les deux prochaines années, avant de regagner un territoire positif en 2027 (0,8 %).
  • Il y a toujours de lourdes incertitudes à pondérer sur les impacts économiques; or, il est très probable qu’une contraction de la population active ralentisse l’activité économique, malgré toute l’incertitude qui pèse sur l’amplitude de ce ralentissement. On ne sait pas encore vraiment si les facteurs de l’offre et de la demande domineront lorsqu’il s’agit de l’inflation et, par le fait même, du parcours des taux d’intérêt.
  • Pour préciser ces impacts potentiels, une première étape consiste à déterminer les parcours envisageables pour les projections de la population. Les politiques drastiques proposées comportent de grands risques dans leur mise en œuvre; or, la volonté politique qui les accompagne laisse entendre qu’il ne faudrait pas les minorer.
  • Nous avons tracé, pour l’évolution de la population, trois parcours plausibles, qui pourraient vraisemblablement se dérouler sur l’horizon prévisionnel. Ils sont compris dans la fourchette de croissance annuelle de la population de 0 % à 1 %; nous penchons pour le milieu de la fourchette (graphiques 1 et 2).
  • Les Études économiques de la Banque Scotia examineront l’ensemble des résultats macroéconomiques fondés sur différents scénarios pour l’évolution de la population dans le proche avenir.
Graphique 1 : Canada : Croissance de la population; Graphique 2 : Canada : Résidents non permanents

HAUTE ALTITUDE

Le 24 octobre, le premier ministre et le ministre de l’Immigration ont annoncé d’importants changements dans le Plan des niveaux d’immigration du Canada. Ce plan sera déposé officiellement à la Chambre des communes au plus tard le 1er novembre. Or, cet aperçu hâtif nous donne en primeur les détails de ce qui suivra. Alors que les précédents plans nous donnaient une ligne de mire de trois ans sur les cibles fixées pour le nombre de résidents permanents (RP) et leur composition, le plan de cette année ajoute des cibles pour les résidents non permanents (RNP).

Le nombre de résidents permanents admis sera considérablement réduit. Dans le nouveau plan, le gouvernement consentirait un statut permanent à 1,14 million de résidents permanents sur les trois prochaines années, soit 395 000, 380 000 et 365 000, respectivement, en 2025, 2026 et 2027, par rapport au plan de l’an dernier, dans lequel les niveaux d’admission des résidents permanents se stabilisaient à 500 000 par an sur l’horizon prévisionnel. On indique notionnellement que l’on délivrera des visas à 40 % environ des RP qui sont déjà arrivés au pays.

Le nombre de résidents non permanents admis au Canada diminuerait au fil du temps, ce qui concorde avec la cible d’attrition déjà annoncée. En mars dernier, le gouvernement s’est engagé à porter à 5 % de la population totale, d’ici 2026, le nombre de RNP. Sur papier, ces chiffres indiquent que l’attrition annuelle nette se chiffrerait à 445 000 RNP en 2025 et en 2026, avant que ce chiffre se relève légèrement (17 000) en 2027. Le plan détaille aussi les cibles fixées pour l’arrivée des RNP — soit 1,7 million de RNP sur les trois prochaines années — : de ce nombre, les étudiants (53 %) seraient en légère majorité. Ces chiffres laissent entendre qu’il faudrait des exflux bruts de 2,6 millions de RNP (soit une réduction de 1,7 million d’arrivées en plus d’une attrition de 445 000 personnes en 2025 et 2026) afin de respecter la cible sur les trois prochaines années (tableau 1 et graphique 3). 

Tableau 1 : Canada – Flux de résidents non permanents (2025-2027)
Graphique 3 : Commande de taille : Les flux bruts par rapport aux flux nets

L’impact net du plan freinerait en fait la croissance de la population sur les deux prochaines années. Selon les propres estimations du gouvernement, la population se contracterait de -0,2 % sur un an sur les deux prochaines années, et les exflux nets de RNP seraient légèrement supérieurs aux influx de résidents permanents (en excluant ceux qui sont déjà arrivés au pays). La croissance de la population ne regagnerait le territoire positif (0,8 %) qu’en 2027.

Veuillez consulter les tableaux 2 à 4, à la fin de cette note, pour prendre connaissance de tous les détails du nouveau plan.

LES FORCES GRAVITATIONNELLES

Hormis le bien-fondé de ce plan, l’une des grandes difficultés, pour les prévisionnistes, consiste à établir un référentiel pour les hypothèses sur la population. Ce référentiel sous-tend une multitude de porteurs économiques importants, qu’il s’agisse, entre autres, de l’offre de travailleurs, de la consommation ou de la demande de logements. Dans la plupart des cas, l’exécution des politiques par rapport au plan comporte un risque inhérent, qui oblige souvent à faire preuve de circonspection. La Banque du Canada avait maintenu à la hausse ses projections de la population en juillet — en attendant d’autres détails sur les politiques —, pour conserver, dans son récent compte rendu, une prévision de croissance annuelle de l’ordre de 1,5 % sur l’horizon prévisionnel. Les plus récentes prévisions des Études économiques de la Banque Scotia reposaient sur un ralentissement de la croissance de la population à 0,8 %-0,9 % sur un an environ sur l’horizon prévisionnel.

Le nouveau plan d’immigration est extrêmement ambitieux. D’une part, la croissance de la population a commencé à se ralentir récemment, sans toutefois même se rapprocher du rythme évoqué dans le nouveau plan. Dans le plus récent trimestre (clos en septembre), la croissance annualisée de la population s’établissait à 2,4 % en données désaisonnalisées; or, une contraction de 0,2 % d’ici l’an prochain obligerait à freiner brusquement la délivrance des visas dans un dédale de programmes fortement décentralisé. Le nombre total de visas délivrés à des RNP se contracterait de 36 % rien que l’an prochain et d’environ 50 % sur l’horizon prévisionnel. Le gouvernement devrait simultanément adopter une approche ambitieuse dans la surveillance et l’application des sorties de résidents du pays. Les récents exflux bruts trimestriels s’annualisent à 545 000 environ, ce qu’il faudrait relever à 1,1 million rien que l’an prochain et à 2,6 millions cumulativement sur l’horizon prévisionnel.

La suite des politiques annoncées jusqu’à maintenant ne couvre pas encore tout le paysage. Depuis mars, le gouvernement impose des plafonds dans la délivrance des visas des étudiants internationaux, des limites sur les permis de travail post‑diplômes (PTPD), ainsi que des restrictions sur les permis délivrés dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), entre autres changements, mais est avare de détails sur les moyens d’endiguer les visas délivrés dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI), sans tenir compte des changements apportés au PTPD et des restrictions se rapportant au travail des conjoints. Les titulaires de visa délivré dans le cadre  du PMI représentent environ 40 % de tous les RNP du pays — dont le PTPD (constituante du PMI) ne représente que 30 %.

Le risque le plus prégnant pourrait consister à sous-estimer l’impact produit sur les marchés du travail et, en définitive, sur la production économique. Nous avons déjà fait état de certains impacts potentiellement disruptifs non seulement du fait du freinage de la croissance de la population active, mais aussi de l’attrition des quelques 1,1 million de résidents temporaires actifs dans les entreprises d’un océan à l’autre. En plus du choc sur l’offre de travailleurs, il y aurait des changements dans les habitudes de consommation et les modèles de la demande. La fonction de réaction des entreprises est elle aussi en cause : les entreprises remplaceront-elles les travailleurs (et comme le feront-elles), renchériront-elles l’investissement en capital ou mettront-elles simplement en pause leurs plans devant les incertitudes mondiales et locales, qui se multiplient? Les réponses sont appelées à varier dans l’ensemble des secteurs et au fil du temps.

Il n’est pas difficile de déployer une série de discours contradictoires qui pourraient se donner libre cours s’il n’y a pas plus d’incertitude sur les politiques; or, ces discours évoquent essentiellement un ensemble de risques baissiers par rapport aux projections actuelles de la production. Il est très probable que les résultats mesurés par habitant explosent, ce qui viendrait accroître la complexité de l’interprétation. Or, puisque les précédentes baisses ne s’étaient pas (encore) traduites par l’érosion du bien-être pour la majorité des Canadiens, il est improbable qu’un relèvement du calcul donne des gains observables, au moins à court terme, pour la plupart des Canadiens. En fait, la réaction du public pourrait produire un effet contraire.

L’équipe de la modélisation de la Banque Scotia livrera dans les prochaines semaines un éclairage plus granulaire sur la question. Or, il faut d’abord déterminer les hypothèses appropriées sur la population.

LES PISTES D’ATTERRISSAGE

Afin d’éclairer nos propres hypothèses sur la population pour permettre d’établir des prévisions, nous sondons la sensibilité de ce parcours au risque de la mise en œuvre. Nous avons établi trois scénarios. Tous ces scénarios supposent que le repli des visas d’étudiants délivrés se poursuivra essentiellement comme prévu : les premières données confirment que c’est effectivement ce qui se produit. Nous supposons aussi que la délivrance des visas de RP sera exécutée par rapport au plan pour environ 40 % des résidents déjà arrivés au pays, ce qui cadre avec les tendances récentes. Par ailleurs, nous envisageons trois scénarios :

1. Programmes annoncés avec effets décalés : Le gouvernement est essentiellement limité à des leviers déjà codifiés dans les changements apportés au programme. Essentiellement, le PTET porte, dans le cadre du processus de l’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT), l’endiguement des visas de travail. Le PTET intervient pour 20 % dans l’ensemble des permis temporaires en circulation, alors que le courant de l’EIMT en constitue la moitié, soit à peine 10 % du total des permis de travail. En raison des obstacles et des limitations à caractère administratif, le nombre de visas de travail délivrés ne peut commencer à baisser qu’au début de 2025. Le nombre de visas de travail délivrés diminuerait de 4 % en 2025 et de 11 % encore en 2026, ce qui donnerait des taux de croissance de la population de l’ordre de 0,9 % et de 0,5 % respectivement en 2025 et 2026.

2. Programmes annoncés avec effets immédiats : Le gouvernement atteint les cibles de réduction du PTET et de l’EIMT selon le scénario 1; toutefois, l’effet d’endiguement se produit immédiatement. Le nombre de permis de travail délivrés baisserait de 20 % en 2025 et de 10 % en 2026. La croissance de la population se chiffrerait aux alentours de 0,7 % et de 0,3 % sur cet horizon.

3. Plans déclarés : Le gouvernement adopte et exécute ambitieusement des cibles d’attrition qui cadrent essentiellement avec les intentions déclarées dans son nouveau plan d’immigration. En fait, 70 % des titulaires de visas à l’heure actuelle au Canada reconduiraient leur visa, deviendraient des RP ou sortiraient du pays, par rapport à un taux d’expiration statistique de l’ordre de 30 % à 40 %. La croissance de la population s’effondrerait selon les plans déclarés par le gouvernement.

Il n’y a pas de scénarios de conte de fée dans les cas où le référentiel est clair. Un poids énorme pèse sur la volonté politique. Les retards dans l’attribution des permis de travail frôlent les 50 % (par rapport à une cible de 20 %). Il s’agit d’un levier brusque, mais qui permettrait de « faire le travail » si le gouvernement était pressé de démontrer qu’il produit rapidement des résultats. Dans un mode électoral permanent, on ne peut pas écarter ce risque.

AUCUN ATTERRISSAGE

L’équilibre des risques repose probablement sur une plus forte décélération de la population — voire une contraction pure et simple — par rapport aux précédentes hypothèses. Si nous ne révisons pas encore immédiatement nos perspectives économiques, nous nous pencherons sur l’ensemble des résultats potentiels lorsqu’on déposera éventuellement plus de détails sur les politiques et que d’autres données confirmeront le parcours que nous suivons. À cet égard, les estimations plus ponctuelles de l’Enquête sur la population active sont susceptibles de motiver (ou démotiver) le marché. Ceci dit, si nous sommes obligés d’emprunter un parcours aujourd’hui, nous pencherions pour le premier scénario, soit une décélération en douceur par rapport aux plans publiés cette semaine.

Tableau 2 : Canada – Cibles pour la composition des résidents non permanents (2025-2027); Tableau 3 : Canada – Cibles annuelles pour la composition des résidents permanents (2025-2027); Tableau 4 : Canada - Scénarios pour la croissance annuelle de la population (2024-2026, %)