• Les secteurs sensibles aux taux d’intérêt enhardissent l’économie canadienne à l’heure où s’installe la phase de l’assouplissement monétaire. Les chèques de l’État et le congé de TPS viendront prolonger jusqu’à l’an prochain une reprise déjà évidente de la consommation, du logement et des ventes de voiture, ce qui compensera les effets des changements dans la politique sur l’immigration du gouvernement.
  • Cette affirmation se vérifie encore plus au sud de la frontière : l’économie américaine continue d’afficher une performance remarquable, grâce à la vigueur de la demande intérieure et à une productivité exceptionnelle, ce qui crée une toile de fond encore plus solide pour l’évaluation de l’impact des changements dans la politique de la nouvelle administration, qui comportent de grandes incertitudes pour les perspectives.
  • Même si la voie à suivre n’est pas claire, nous pensons qu’il est important de tenter de quantifier l’impact des changements qui pourraient être apportés aux politiques. Nous adoptons une approche graduelle, en intégrant parfaitement l’impact des baisses des taux, mais en prenant une posture plus mesurée dans la prise en compte de politiques qui sont moins claires. Dans ce compte rendu, nous ne retenons comme hypothèse qu’une fraction des tarifs douaniers et des déportations annoncés par la nouvelle administration, afin de nous en servir comme marqueur pour l’instant.
  • Dans l’ensemble, nous nous attendons à ce que l’économie américaine et l’économie canadienne se ralentissent en 2026. Les chocs tarifaires et migratoires devraient réduire à la fois les limites de vitesse des deux économies, et le Canada sera le plus durement touché en raison de sa moindre productivité et de sa plus grande ouverture au commerce. Nous nous attendons aujourd’hui à ce que les taux de la Réserve fédérale s’établissent à 4,0 % au T2 de 2025 et à ce qu’ils ne se remettent à s’assouplir qu’en 2026, pour finir l’année à 3,5 %. Au Canada, nous nous attendons à ce que la BdC adopte une approche plus graduelle, après une baisse de 50 points de base en décembre et une autre baisse de 25 points de base au T1 de 2025; par la suite, les taux devraient se maintenir à 3,0 %.

Le paysage économique mondial est resté mouvant dans les derniers mois : l’évolution critique de la conjoncture a modelé les perspectives. En tête de liste, le résultat de la présidentielle américaine comporte de fortes incertitudes pour les perspectives, soit aussi bien à propos des politiques qui seront éventuellement adoptées que de leur impact, en plus de leurs ramifications importantes pour l’économie canadienne. Dans ce compte rendu prévisionnel, nous revenons sur ce point, en commençant par le contexte intérieur des deux pays, puis en enchaînant avec l’évaluation de l’impact des éventuelles politiques américaines sur les perspectives de ce pays.

Au Canada, les secteurs sensibles aux taux d’intérêt enhardissent l’économie à l’heure où s’installe la phase de l’assouplissement. Les données les plus récentes sur les comptes nationaux font état d’un plus grand ralentissement de la croissance du PIB réel au T3 de 2024 que ce que nous avions prévu en octobre, ce qui est toutefois en partie attribuable à la baisse des stocks. La consommation et l’investissement résidentiel ont été nettement plus vigoureux que ce à quoi nous nous attendions, et des signes évidents nous apprennent qu’ils poursuivront cet élan au T4 de 2024 si on s’en remet aux indicateurs du commerce de détail, du logement et des ventes d’automobiles. Malgré la léthargie du troisième trimestre, nos projections de croissance de 2024 ne changent pas par rapport à octobre en raison des révisions apportées aux données rétrospectives. Ces révisions, apportées à partir de 2021, donnent lieu à un PIB haussé de 1,5 % par rapport à la fin du T2 de 2024, qui pointe une offre moins excédentaire de l’économie. Il y a donc, dans l’espace économique, une moins grande marge de manœuvre pour amortir les pressions inflationnistes que pourraient produire d’autres mesures de relance et la demande intérieure. En témoignent, les chèques de l’État et le congé de TPS récemment annoncés et planifiés pour le début de l’an prochain. Ces mesures viendront muscler l’activité économique au début de 2025, en repoussant effectivement certaines impulsions dans les dépenses du deuxième semestre de l’année et de l’année suivante. C’est ce qui explique le ralentissement considérable de la croissance attendu pour le T3 de 2025 par rapport aux trimestres précédents. Par contre, le ralentissement de la croissance de la population à l’heure où le gouvernement modifie sa politique sur l’immigration viendra restreindre en quelque sorte l’activité dans les deux prochaines années.

Ces facteurs nous amènent à pencher à l’encontre d’une baisse de 50 points de base des taux de la Banque du Canada en décembre. Le ralentissement de la croissance de la population conjugué avec la baisse désormais chronique de la productivité freinera le taux de croissance potentiel de l’économie dans les prochaines années. En raison de la longue liste de risques haussiers de l’inflation, nos modèles laissent entendre que le ralentissement du rythme de l’assouplissement pourrait être justifié, surtout si l’on tient compte des risques des politiques commerciales américaines et de la possibilité de représailles de la part du gouvernement du Canada.

Aux États-Unis, les données récentes continuent de mettre en relief la résilience de l’économie, encore plus qu’au Canada, grâce à la vigueur de la demande et à une productivité exceptionnelle. Nous nous attendons aujourd’hui à ce que l’économie progresse à une cadence plus rapide qu’auparavant en 2024 et 2025, grâce à un troisième trimestre plus vigoureux qu’escompté et à un acquis solide dans la nouvelle année. À la différence du Canada, dont l’économie est actuellement en situation d’offre excédentaire, l’économie américaine reste probablement en situation de demande excédentaire en raison des récents chiffres de l’inflation, qui donnent des signes de récalcitrance, voire d’accélération. Il faut que la croissance soit inférieure à la tendance pendant un certain temps pour ramener l’inflation sur la cible. C’est la raison pour laquelle nous nous attendons désormais à ce que la Réserve fédérale marque une pause à 4,0 % en 2025, au lieu d’adopter une posture plus conciliante durant l’année. Relativement à ce parcours élevé du taux directeur américain, qui devrait être nettement supérieur à ceux du Canada et de l’Europe, nous nous attendons à un certain raffermissement du dollar américain par rapport à différentes monnaies. Les politiques commerciales américaines viendront exercer une nouvelle pression haussière sur le billet vert, surtout si elles ont pour effet de hausser les tarifs douaniers. À notre point de vue, il s’agit de savoir dans quelle mesure le dollar américain doit se raffermir, et non de savoir s’il se raffermira ou non.

C’est sur cette toile de fond qu’il faut évaluer l’impact des changements qui pourraient être apportés aux politiques par la nouvelle administration. Conscients de la multitude de facteurs inconnus, nous pensons qu’il est important de tenter de quantifier ces changements en adoptant une approche graduelle qui tient compte des incertitudes. Nous intégrons les changements qui seront assurément apportés aux politiques d’après nous, en adoptant une posture plus mesurée pour les politiques qui sont moins évidentes. Notre objectif consiste non pas à spéculer sur le parcours le plus probable de ces politiques, mais plutôt de donner une idée de l’orientation de l’impact de ces politiques sur les perspectives lorsqu’elles seront édictées et si elles le sont. C’est pourquoi nous n’introduisons qu’une fraction des mesures proposées par la nouvelle administration, afin de mettre à jour nos prévisions lorsque l’horizon s’éclaircira.

Le point de départ le plus solide de l’économie américaine est au moins en partie porté par la remarquable performance des titres boursiers américains en prévision du programme de déréglementation probable de la nouvelle administration. Nous nous attendons à ce que cet effet de richesse positif perdure l’an prochain. Les baisses d’impôts planifiées qui seront certainement apportées l’an prochain viendront muscler considérablement les résultats bénéficiaires des entreprises et le patrimoine des Américains. Ces effets devraient donner lieu à une croissance plus vigoureuse du PIB américain en 2025. Or, l’incertitude vient en partie éclipser certains de ces impacts positifs : il s’agira probablement d’un trait dominant de la présidence de Donald Trump, surtout dans les échanges commerciaux. Nous supposons que l’incertitude liée au commerce augmentera comme elle l’a fait pendant le premier mandat du président Trump (graphique 1). Cette incertitude a une rançon économique puisqu’elle complique la planification des entreprises et des ménages, qu’elle retarde les décisions d’investissement et de recrutement et qu’elle percute les marchés.

Graphique 1 : L'incertitude commerciale

Hormis l’impact négatif de cette incertitude, la détermination des changements effectifs dans les politiques commerciales reste l’un des aspects les plus difficiles de ces prévisions. Si, à notre avis, les tarifs douaniers généralisés constitueront essentiellement une menace et une tactique de négociation à court terme pour les concessions sur les enjeux comme les emplois et la migration, il est évident que la hausse des tarifs douaniers aura pour effet de faire augmenter l’inflation et de ralentir la croissance aux États-Unis. Ces impacts dépendent essentiellement du niveau effectif et de la portée de ces tarifs douaniers. Nous supposons que des tarifs de 15 % seront imposés sur la moitié des biens importés depuis la Chine, de 10 % sur la moitié des biens importés depuis le Mexique et de 5 % sur la moitié des biens importés d’autres pays, dont le Canada — ce qui représente des tarifs douaniers généralisés effectifs de l’ordre de 3,5 % sur l’ensemble des importations américaines et ce qui constitue un marqueur préliminaire pour évaluer l’impact potentiel des tarifs douaniers à l’heure où nous attendons d’autres précisions. Notre première analyse apporte certaines règles empiriques approximatives sur la prise en compte de tarifs douaniers plus expansifs si le besoin se fait sentir. Les tarifs douaniers réduiraient le PIB potentiel puisqu’ils bousculeraient l’affectation des ressources, feraient augmenter le coût des intrants importés pour la production et créeraient des blocages de l’offre, ce qui réduit la croissance économique et ce qui crée des pressions inflationnistes. Ces pressions sont aussi exacerbées par l’effet inflationniste ponctuel des tarifs douaniers, qui augmenteraient la cherté des importations destinées aux États‑Unis et qui viendraient nourrir dans une certaine mesure les attentes inflationnistes.

L’approche à adopter par la nouvelle administration dans l’immigration et les sans-papiers est une autre question pour laquelle les politiques‑cadres ne sont pas claires. Si le président élu Donald Trump semble avoir la volonté d’agir à cet égard, les déportations massives de tous les immigrants clandestins, dont le nombre est estimé à 11 millions environ, sont confrontées à d’innombrables difficultés administratives, juridiques et logistiques. Dans ce compte rendu, nous supposons qu’il y aura 3,5 millions de déportations sur cet horizon de quatre ans. Aux États-Unis, la plupart des immigrants clandestins sont actifs sur le marché du travail, et leur déportation constituerait un obstacle de taille pour les entreprises qui les font travailler à l’heure actuelle. Cette perte de travailleurs ferait reculer la production, en plus d’imposer des pressions sur les frais de remplacement de ces travailleurs, ce qui aura probablement pour effet d’augmenter la masse salariale. De concert avec les baisses d’impôts, les dépenses supplémentaires consacrées par l’État aux déportations, dont la création et le maintien d’établissements de détention, augmenteraient substantiellement l’importance du déficit américain, ce qui rehausserait la possibilité d’un relèvement des primes de risque souverain sur la dette du gouvernement américain. Si la nouvelle administration s’est engagée à cerner les secteurs dans lesquels elle pourrait réduire les dépenses de l’État, à nos yeux, sa capacité à compenser les dépenses supplémentaires est plus un espoir qu’une certitude.

Dans l’ensemble, nous nous attendons à ce que les effets positifs des baisses d’impôts et de la déréglementation viennent augmenter la vigueur existante de l’économie américaine, ce qui nous amène à réviser à la hausse nos projections de la croissance de 2025, qui passe de 1,8 % auparavant à 2,1 %. Toutefois, les chocs des tarifs, l’incertitude et les déportations devraient ralentir considérablement la croissance à 1,6 % en 2026.

Ces facteurs ont beaucoup d’importance pour les perspectives de l’économie canadienne. Typiquement, le Canada profiterait de la vigueur de l’économie de ses voisins du Sud. Or, le circuit principal grâce auquel le Canada profiterait de cette vigueur — soit les exportations — est amoindri par les distorsions tarifaires. De même, un dollar canadien nettement plus faible ne permettrait guère d’étayer les exportations en raison de ces tarifs douaniers et de l’incertitude liée. Puisque nous supposons que le gouvernement du Canada ripostera partiellement aux tarifs douaniers américains, nous nous attendons à ce que les économies canadienne et américaine soient fragilisées par les mêmes circuits. Or, l’économie du Canada est plus durement touchée compte tenu de sa moindre productivité et de sa plus grande ouverture au commerce : plus les représailles sont fortes, plus les dégâts sont considérables. En outre, les politiques de la nouvelle administration destinées à muscler la croissance de l’économie intérieure des États-Unis, dont les baisses d’impôt et la déréglementation, pourraient éventuellement distraire les investissements normalement destinés au Canada pour les orienter vers les États-Unis, ce qui viendrait affaiblir encore la croissance potentielle et dégrader la productivité déjà à la traîne du Canada. Ces facteurs se conjuguent pour effacer toute nouvelle hausse de la croissance en 2025 du fait de la plus grande vigueur de l’économie américaine et pour générer une croissance tendancielle moindre, par la suite, pour l’économie canadienne. Nous nous attendons à ce que la croissance du PIB se ralentisse pour passer de 2,1 % en 2025 à 1,5 % en 2026.

Dans l’ensemble, ces prévisions sont soumises, dans ces deux pays, à d’autres pressions inflationnistes en raison des éventuelles politiques américaines, surtout en ce qui a trait au commerce. C’est ce qui ralentit dans le court terme le rythme de l’assouplissement monétaire aux États-Unis. La sagesse traditionnelle de la politique monétaire oblige les banquiers centraux à ignorer l’effet inflationniste d’un choc tarifaire en raison de son caractère passager. Toutefois, les points de départ de l’inflation comptent pour un choc sur l’offre de cette nature. Puisque l’inflation accuse toujours un certain écart par rapport à la cible aux États-Unis et compte tenu des risques haussiers considérables pour l’inflation au Canada, les banques centrales devront prendre plus au sérieux les chocs sur l’offre. Cette affirmation se vérifie en particulier en raison de leur moindre crédibilité depuis quelques années en raison du décalage de leur réaction au choc pandémique sur l’offre. Il serait ainsi plus probable qu’un choc à court terme se répercute obstinément sur les attentes inflationnistes, d’autant plus que dans l’opinion, les décideurs de la politique monétaire n’ont pas retenu les leçons des précédents épisodes.

C’est pourquoi nous nous attendons aujourd’hui à ce que les taux de la banque centrale américaine atteignent 4,0 % au T2 de 2025, soit un trimestre de plus que prévu antérieurement. Nous prévoyons que la Fed recommencera à baisser les taux en 2026; les taux devraient finir l’année à 3,5 %, soit une année après celle que nous avions prévue antérieurement. Au Canada, les communiqués de la BdC ont télégraphié clairement une phase d’assouplissement plus progressive. Nous nous attendons à ce que la BdC enchaîne la baisse de 50 points de base de décembre avec une baisse de 25 points de base au T1 de 2025. D’après cette prévision, elle s’en tiendra à un taux de 3,0 % jusqu’à la fin de 2026, ce qui s’inscrit dans le haut de la fourchette de ses estimations pour le taux neutre. C’est ce qui correspond à notre évaluation des risques inflationnistes dans une économie dans laquelle il n’y a pas d’offre excédentaire effective pour les amortir.

Tableau 1: International: PIB réel, Prix à la consommation 2022 à 2026
Tableau 2: Amérique du Nord: PIB réel 2022 à 2026 et Prévisions trimestrielles
Tableau 3: Taux des banques centrales, devises et taux d’intérêt 2023 à 2026
Tableau 4: Les provinces 2022 à 2026