- Les données qui viennent d’être publiées nous apprennent que l’économie mondiale est plus résiliente à la hausse des taux et à l’inflation que ce qu’on avait cru auparavant, notamment en raison du quasi‑plein‑emploi sans précédent sur les marchés du travail dans les grandes puissances économiques.
- L’inflation se modère de concert avec les ambitions des banques centrales; elle reste toutefois très élevée. Elle devrait continuer de baisser en 2023 et atteindre les cibles en 2024 ou dans les années suivantes. La croissance des salaires modérera le rythme de la baisse de l’inflation.
- La plus grande résilience et les tendances inflationnistes actuelles laissent entendre qu’une léthargie, un atterrissage en douceur ou une légère récession est désormais probable. Nous nous attendons à une très légère contraction aux États‑Unis et au Canada au T2 et au T3 de 2023, soit un trimestre plus tard que supposé à l’origine.
- La Banque du Canada a probablement fini de hausser ses taux, même si l’on s’attend à ce que la Réserve fédérale augmente son taux directeur encore deux fois pour le porter à 5,25 % dans ses deux prochaines réunions. Nous nous attendons à ce que la Banque du Canada réduise le taux à un jour de 25 points de base d’ici la fin de l’année et à ce que la Réserve fédérale abaisse son taux au début de l’an prochain.
Jusqu’à maintenant, l’économie mondiale a spectaculairement encaissé la hausse des taux directeurs et de l’inflation avec plus de résilience qu’escompté. Les banques centrales ont tâché de structurer un ralentissement de l’activité économique afin de réduire l’écart entre la demande et l’offre et ainsi abaisser l’inflation pour atteindre la cible à terme. Les hausses de taux conséquentes ont été substantielles, ce qui a fait monter considérablement les frais de remboursement de la dette de certains ménages et ce qui devrait avoir fait baisser sensiblement les dépenses de consommation. On a fait abondamment état de décalages longs et variables dans la répercussion de la politique monétaire sur l’économie réelle et sur l’inflation; toutefois, nous devrions avoir observé des impacts plus retentissants sur l’activité que ceux que nous constatons jusqu’à maintenant, même en tenant compte de ces décalages. Effectivement, les données publiées depuis notre dernier compte rendu nous amènent à réviser la croissance à la hausse en 2022 et 2023. De surcroît, tout porte de plus en plus à croire que l’inflation a résolument pris un virage dans certains pays. Et bien que les chiffres de l’inflation soient toujours nettement supérieurs aux cibles, on a de plus en plus l’assurance que la baisse des cours des produits de base et des frais de transport, les chaînes logistiques essentiellement réparées et les niveaux de stocks plus vigoureux continueront d’exercer à terme, sur l’inflation, des pressions à la baisse malgré la hausse évidente des salaires. Dans l’ensemble, l’inflation et la résilience économique apparemment plus vigoureuse laissent entendre que les pronostics d’une légère récession, d’une léthargie ou d’un atterrissage en douceur paraissent de plus en plus réalistes. Cette affirmation se vérifie en particulier au Canada et aux États‑Unis.
Le quasi‑plein‑emploi observé dans les principaux marchés du travail est un facteur particulièrement important de la résilience à la hausse des taux et à l’inflation. Malgré les mises à pied qui ont défrayé la chronique dans le secteur des technologies, les offres d’emploi continuent de frôler des sommets absolus et ont augmenté d’environ 50 % par rapport à ce qu’elles étaient avant la pandémie aux États‑Unis. Dans la zone euro, le taux des postes à pourvoir a quasiment atteint son plus haut depuis que les données sont compilées, en 2006, et est de l’ordre de 40 % de plus que ce qu’il était avant la pandémie. Au Canada, la croissance extrêmement vigoureuse de l’emploi permet au nombre de postes à pourvoir de décrocher de ses sommets absolus; or, il tourne aussi aux alentours de 40 % de plus que ce qu’il était avant la pandémie. La croissance de l’emploi s’est en fait accélérée dans le dernier trimestre de 2022 au Canada. Il va de soi qu’il y a un décalage entre l’évolution des marchés du travail et l’activité économique; or, nous croyons que les marchés du travail extrêmement tendus se répercutent sur la relation historique entre l’emploi et l’activité économique. Nous croyons aussi que la situation difficile des marchés du travail pour les entreprises limite les licenciements généralement constatés dans les cycles précédents et freine l’augmentation nécessaire du chômage à terme. C’est extrêmement important pour les prévisions. La plus grande stabilité de l’emploi mène à une meilleure résilience financière parmi les ménages et peut servir de tampon contre les développements qui déclencheraient normalement des rajustements plus importants chez les ménages.
Dans ce contexte, les preuves statistiques continuent de se multiplier pour confirmer que l’inflation a atteint son point culminant et qu’elle suit résolument une tendance baissière, même si elle reste très supérieure aux cibles des banques centrales. La grande question de la dynamique de l’inflation se rapporte à la rapidité avec laquelle les pressions inflationnistes s’apaiseront. Les facteurs qui ont porté l’inflation à des sommets depuis des dizaines d’années dans l’ensemble des économies évoluées se sont essentiellement inversés et ont aujourd’hui pour effet de faire baisser l’inflation. C’est ce que l’on constate dans les prix des biens. Dans le secteur des services, les prix, moins pénalisés par les pressions exercées par les coûts des intrants après la pandémie, sont plus prépondérants en main‑d’œuvre et ont continué de subir des pressions à la hausse en raison de l’augmentation des salaires. Ce problème n’est pas appelé à se dissiper rapidement, compte tenu de la situation du marché du travail. Au Canada par exemple, nous nous attendons à ce que les salaires augmentent d’environ 5 % en 2023. De concert avec nos avis sur les prix d’autres intrants et sur la conjoncture de l’offre et de la demande, nous prévoyons que l’inflation au Canada s’établira à une moyenne de l’ordre de 4 % cette année, avant de converger sur la cible de 2 % au milieu de 2024.
L’amélioration de la dynamique de l’inflation laisse entendre que le cycle de durcissement monétaire tire à sa fin aux États‑Unis et qu’il est probablement terminé au Canada. Nous pensons que la Réserve fédérale haussera son taux directeur à deux reprises, de 25 points de base de plus dans chaque cas, dans les prochaines réunions, puisqu’elle mettra fin à son cycle de hausses. Nous supposons ainsi essentiellement que l’inflation continue de suivre sa trajectoire et que l’activité économique et la croissance de l’emploi se ralentissent considérablement. Certains indicateurs laissent entendre que la croissance se ralentit, mais qu’elle doit encore donner lieu à une modération sur le marché du travail américain. À nos yeux, le risque bascule en faveur d’un relèvement du taux cible sur les fonds fédéraux. Nous croyons aussi qu’il est prématuré d’anticiper une baisse à la fin de 2023, en raison de ce risque. Par contre, la Banque du Canada a fait savoir qu’elle a mis en veille le durcissement de sa politique monétaire en attendant de connaître l’évolution de la situation de l’inflation et observe l’impact des hausses du taux directeur sur l’économie. Nous croyons que la Banque du Canada a fini de hausser les taux et qu’elle les réduira de 25 points de base vers la fin de cette année. Si les taux directeurs s’inversent plus rapidement au Canada, c’est essentiellement parce qu’aux États‑Unis, la courbe de Phillips s’aplanit, ce qui réclame un changement plus important de l’activité économique chez nos voisins du Sud pour pouvoir réduire l’inflation autant qu’au Canada.
La résilience économique est évidente dans les données qui viennent d’être publiées, ce qui a généralement étonné à la hausse. Les signes que la demande intérieure se ralentit sont abondants; or, la demande se ralentit moins rapidement que ce que nous avions supposé. Nous restons d’avis que les États‑Unis et le Canada seront freinés et connaîtront une très légère récession; or, nous avons repoussé cette contraction au T2 et au T3, alors que nous pensions qu’elle commencerait au T1. Nous prévoyons aujourd’hui un taux de croissance de 1,2 % et de 1,1 % en 2023 pour les États‑Unis et le Canada. Il s’agit d’environ un demi‑point de pourcentage de plus que nos plus récentes prévisions. Le taux de chômage devrait lui aussi augmenter en 2023, de l’ordre de 0,6 % au Canada et de 0,3 % aux États‑Unis. Si l’inflation continue de se modérer de concert avec nos prévisions et que nous n’entrevoyons qu’un léger repli de l’activité économique et du chômage, la Fed et la Banque du Canada auront probablement réussi à structurer un atterrissage en douceur. Il s’agirait alors d’un exploit historique.
Il n’empêche que des risques importants et de fortes incertitudes plombent les perspectives. On ne peut pas tenir pour acquise l’amélioration des perspectives inflationnistes. Il y a un risque que la réduction de l’inflation soit freinée, à plus forte raison si le redéconfinement de l’économie chinoise crée un autre rebond des prix lié à la pandémie. Il va de soi qu’il faudrait alors hausser les taux directeurs. Un autre risque est lié à l’impact de la hausse fulgurante des taux observée jusqu’à maintenant. Même si les économies sont plus résilientes qu’elles étaient censées être, il se pourrait quand même que les hausses antérieures entraînent un rajustement plus spectaculaire de l’activité économique. Il va aussi de soi que les tensions géopolitiques restent exceptionnellement vives et comportent un risque omniprésent pour l’économie mondiale. Si une léthargie ou un atterrissage en douceur sont loin d’être assurés, ils paraissent certes de plus en plus probables.
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