Le Prix de photographie Banque Scotia 2024 salue l’œuvre des talentueux photographes finalistes

Il est toujours étrange de participer à un concours d’arts visuels et encore plus étrange de gagner un prix.

Dans ma profession, rien ne me prédispose à une quelconque concurrence. Pour moi, ma pratique artistique est avant tout un échange avec les gens, une ouverture sur le monde réel qui nous entoure et nous façonne.

L’art est comme une chorégraphie, une danse délicate entre des particules et des atomes qui se reflètent, se réorganisent et se juxtaposent. Chaque œuvre est une étoile dans une constellation, une configuration unique qui raconte une histoire, évoque des liens et suscite des questions. Mon parcours est un voyage sans fin, une quête inexorable.

Depuis mes débuts dans le monde de l’art, j’ai toujours voulu partager ma passion avec les autres. Mes parents, tous deux professeurs d’art, m’ont laissé explorer cette voie sans jamais me pousser. Rien ne me semblait plus naturel que de continuer à débroussailler ce chemin, à creuser, à expérimenter et à créer.

Cette occasion de réfléchir à mon parcours m’a permis de faire un retour en arrière, de me souvenir et de me remémorer le travail que j’ai accompli. J’ai encore tant de choses à réaliser…

Nous sommes des artistes jusqu’à notre dernier souffle, et j’espère ne pas manquer de temps. Chaque toile, chaque sculpture et chaque création est une promesse, une invitation à explorer davantage ainsi qu’à toucher et à côtoyer quelque chose de plus grand que soi.

La photographie est mon premier amour.

Je crois que tout ce que je produis, que ce soit par la sculpture, la peinture ou le dessin, est une forme de photographie à des degrés différents. Chaque tentative est un instantané, un aperçu de la réalité et de notre relation avec la technologie. Après tout, ce que je fais jour après jour, c’est cadrer et photographier… pour partager.

Tout semble avoir été créé par et pour son environnement, et la technologie ne fait pas exception.

La technologie, à mon avis, est une partie intrinsèque de la nature (comme tout le reste).

J’y vois une continuité plutôt qu’une contradiction.

Je ne parle pas de conception, mais bien de réalité implacable. Je me pose parfois ces questions : au tout début, à la première milliseconde du big bang, les concepts de vie et d’intelligence étaient-ils déjà inscrits dans les prémisses des premières molécules? La technologie en faisait-elle déjà partie?

La complexité d’une grappe de serveurs, avec ses unités centrales, ses processeurs graphiques, ses cartes mères, ses disques durs, ses câbles qui les relient, les logiciels qui les habitent et l’électricité qui les alimentent, n’a rien à envier aux arbres, aux branches, aux racines, aux champignons, à la faune, à l’eau, à l’air, à la lumière, aux photons, au sol, aux vers, aux insectes, aux microbes et à la forêt.

J’ai toujours trouvé stupéfiant l’emploi du terme « déshumanisée » pour décrire la technologie. Toutes les machines – chaque ordinateur, drone, grappe de serveurs, collisionneur de particules – sont en fait des éléments humains.

Entièrement humains.

Notre façon actuelle d’embrasser la réalité explique aussi ce point de vue. Aujourd’hui, nous regardons un paysage uniquement depuis l’écran de notre téléphone. Même et surtout lorsqu’il est juste devant nous.

La façon contemporaine d’appréhender la réalité est le rayon cathodique. Tout est filtré et retravaillé.

Je préfère ne pas porter de jugement.

Mon héritage artistique est un fil tissé à travers le temps. Chaque œuvre est un maillon de cette chaîne. J’espère que mon travail inspirera, interpellera et peut-être même étonnera quelques générations futures, au moins une ou deux. L’art est un langage universel, et je suis honoré de pouvoir y contribuer et de le pratiquer chaque jour de ma vie.

Nos pensées, nos découvertes et nos œuvres d’art sont les liens que nous tissons entre la réalité et la communauté humaine, entre ce qui existe et nous-mêmes.

Je crois que nos pensées, notre quête de connaissances et notre curiosité intrinsèque nous rapprochent du monde et de l’univers. Il faut cesser de nous isoler et de nous considérer comme des êtres supérieurs appartenant à une catégorie à part.

Grâce à cette interconnexion consciente, nous nous rendons compte de la place que nous occupons, de l’endroit où nous sommes et de la réalité du monde.

Tout ce qui existe – vivant et non vivant –, chaque détail, chaque objet ou entité se ressemble. Tout a été créé par et pour le cosmos et la nature. Tout y est adapté, à sa manière, avec ses propres particularités.

S’intéresser au monde, aux choses, qu’elles soient animées ou non, c’est prendre des nouvelles de nos semblables, de notre famille.

Au cours de ma carrière artistique, qui s’échelonne sur 54 ans, j’ai exploré de multiples modes de photographie documentaire dans le contexte de l’art contemporain. Je continue à remettre en question la compréhension théorique et matérielle de cette catégorie dans mes écrits critiques et mes projets documentaires axés sur la subjectivité.

Dans mes photographies, l’architecture intérieure est l’expression matérielle de l’intention humaine consciente et inconsciente. Elle a d’ailleurs été le point de départ de la série Milton Park (1970 à 1973), de la série Les couvents (1990 à 1998) et de la série Les collèges (1993 à 1998). Les photographies de pièces sont centrées sur la lumière et l’espace intérieurs et, par extension, sur l’intériorité. Dans la série Centre canadien d’architecture (1986 à 1987), la forme de l’espace et la lumière définissent la structure de l’image et la force expressive des photographies. De manière paradoxale, l’absence de l’humain évoque sa présence. La présence de personnes, autant dans le passé que dans l’avenir, est palpable.

Le mode documentaire de type « exposition directe du sujet », qui met en évidence la nature indicielle de la photographie, caractérise la série en noir et blanc Les vitrines I (1976 à 1980), la série Centre canadien d’architecture et la série en couleur Les vitrines II (2000 à 2022). Ce sont mes photographies les plus « réalistes », avec la modification presque imperceptible de la réalité par l’imagination du photographe, une abstraction que le passage du temps rend plus évidente. L’expression « style documentaire » de Walker Evans décrit des photographies dont la mise en scène vise à donner l’« impression » de neutralité, de la quotidienneté et de l’« absence de style ».

Les séries Les couvents et Les collèges ainsi que les portraits environnementaux de la série Milton Park reflètent une approche documentaire avec une mise en scène légère. Parfois, je photographiais des personnes dans un contexte culturel reconnaissable; d’autres fois, je cadrais un intérieur comme une scène rectiligne dans laquelle je posais des personnages dans une chorégraphie figée. Ces séries témoignent de ma fascination pour les mystères privés que cache l’extérieur des bâtiments.

J’ai abordé le thème de l’enfance au début de ma carrière avec la série Cencic Sisters (1974 à 1976) et je l’ai revisité dans la série Siblings & Singles (2008 à 2022), que j'ai réalisée plus tard dans ma carrière. Ces portraits réalisés à l’extérieur combinent le style documentaire et la mise en scène. Les arrière-plans montrent l’environnement extérieur dans lequel vit chaque enfant, tandis que l’échange entre le sujet et le photographe prend la forme d’une conversation. Les enfants relèvent le défi de rester immobiles dans le « décor » ciblé par mon appareil photo sur trépied, et ce, pendant une longue durée d’exposition. Je place l’appareil photo à la hauteur des yeux des enfants pour qu’ils soient sur un pied d’égalité dans la photographie. Ils vous regardent directement, vous, le spectateur.

Entre 1970 et 1973, j’ai photographié le Women’s Centre et le Women’s Coop sur la rue Sainte-Famille dans un but politique militant. Depuis ce temps, mon art est lié au féminisme. J’ai été membre fondatrice de la galerie La Centrale galerie Powerhouse en 1973. Depuis, dans tous mes projets de photographies, j’essaie de considérer ma perception féminine de l’expérience vécue dans un contexte social et culturel plus vaste, en m’inspirant de situations domestiques quotidiennes. Les communautés de filles et de femmes ont inspiré deux projets : la famille des six Cencic Sisters, mes voisines, et les ordres religieux du Québec dans la série Les couvents.

Lorsque j’ai mis les pieds à Sackville, au Nouveau-Brunswick, en 1977, je me suis retrouvé dans un endroit qui allait alimenter ma voix artistique pendant plus de quatre décennies. Je puise mon inspiration dans l’histoire naturelle, le paysage et l’architecture des Maritimes ainsi que dans le local, le banal et le méconnu. Je m’intéresse également à la permanence et au changement, aux effets de l’activité humaine et du temps sur la nature ainsi qu’à la célébration de la beauté. J’ai consacré une grande partie de ma technique à divers appareils photo grand format. Les formats vont de 17,8 x 43,2 cm à 25,4 x 30,5 cm. J’ai rapidement opté pour le format 17,8 x 43,2 cm qui correspond à mon interprétation du paysage, autant en noir et blanc qu’en couleur. Imprimer les photographies dans le même format que celui de l’image affichée sur le verre dépoli (tirage par contact) permet de préserver la conceptualisation originale de l’œuvre.

Ce n’est que depuis le début du siècle que la technologie numérique permet des agrandissements abordables et de qualité d’images, lorsque l’échelle fait partie intégrante de l’intention artistique. Parallèlement à mes activités de photographie, je gère un atelier d’impression typographique dans mon studio. J’ai également publié un certain nombre de livres en collaboration avec des écrivains partageant une passion pour un sujet sous ma marque Anchorage Press. Ces livres – Arborealis et Ironworks avec Peter Sanger ainsi que Silver Ghost, Icarus, Falling of Birds, Ova Aves et From Rural Roots avec Harry Thurston – font honneur à la conception intégrale du contenu et à la reproduction de la plus haute qualité de mes photographies. Ils constituent un moyen démocratique de diffuser des idées créatives.

Les nouveautés comprennent l’exploration d’outils à main laissés sur place après un incendie majeur dans une fonderie de sable locale des années 1900 et l’énigme architecturale de Saint John, au Nouveau-Brunswick. Actuellement sous impression, le nouveau livre of a feather (réalisé en collaboration avec le poète Harry Thurston) célèbre par la photographie et la poésie le travail de ma défunte compagne, l’ornithologue Gay Hansen, ainsi que la beauté du plumage des oiseaux.