Ce n’est plus un secret que les médecins des services d’urgences dans les hôpitaux canadiens sont débordés, et que le nombre de patients et les temps d’attente ne cessent d’augmenter.

Une équipe de l’Université de l’Alberta, en collaboration avec les Services de santé de l’Alberta, espère utiliser l’intelligence artificielle pour réduire le temps et les efforts que les médecins consacrent à la paperasse et à d’autres tâches administratives, afin qu’ils puissent accorder plus de temps aux patients, éviter l’épuisement professionnel et réduire leur niveau de stress.  

Ce projet met à l’essai un outil de transcription IA, qui utilise la technologie de synthèse vocale et l’intelligence artificielle, pendant les consultations avec les patients pour enregistrer l’information échangée et générer des notes cliniques. Cette tâche n’est anodine qu’en apparence; en effet, selon Dr Jake Hayward, un urgentologue qui dirige le projet, un médecin aux urgences peut passer jusqu’à deux heures, par quart de travail, à rédiger des notes cliniques. Le fait de réduire ce délai, ne serait-ce que d’une fraction, permettrait aux médecins de voir un plus grand nombre de patients et de se concentrer davantage sur ces conversations plutôt que sur la prise de notes, a ajouté Dr Hayward, qui est également membre de la faculté de l’Université de l’Alberta.

«C’est une chose que nous pouvons faire pour faciliter la vie des médecins, qui se sentent débordés, et réduire leur charge de travail liée aux tâches administratives qui contribuent à leur épuisement, déclare-t-il. Essentiellement, nous croyons que l’intelligence artificielle aura un effet positif sur l’interaction avec le médecin.»

Bénéficiaires du programme Subventions pour l’allègement administratif

Le projet de l’Université de l’Alberta est l’un de ceux qui bénéficient de financement dans le cadre du nouveau programme Subventions pour l’allègement administratif, une initiative de 10 millions de dollars visant à soutenir les projets qui aident les médecins à récupérer le temps perdu ainsi qu’à améliorer leur bien-être et les soins qu’ils prodiguent aux patients. Ce programme, soutenu par l’Association médicale canadienne, Gestion financière MD et la Banque Scotia, a accordé des subventions de 500 000 $ à 1 million de dollars à des organisations bénéficiaires partout au Canada.

«Le programme Subventions pour l’allègement administratif est une occasion exceptionnelle de soutenir les médecins qui font tant pour la santé et le bien-être de leurs patients et de leurs communautés, déclare Pamela Allen, cheffe de la direction de Gestion financière MD. Je suis encouragée et enthousiasmée par les solutions novatrices qui ont été proposées pour réduire la charge de travail liée aux tâches administratives qui pèse si lourdement sur nos professionnels de la santé.»

En effet, selon Dr Joss Reimer, président de l’Association médicale canadienne, les tâches administratives ont augmenté au cours de la dernière décennie.

«En moyenne, les médecins passent plus d’une journée par semaine à s’occuper de la paperasse, en plus de leurs responsabilités cliniques. Des initiatives de ce type sont essentielles pour améliorer le bien-être des médecins et élargir l’accès aux soins. En fin de compte, les médecins veulent consacrer plus de temps à leurs patients qu’aux tâches administratives.»

Le projet de l’Université de l’Alberta est l’un des nombreux projets à bénéficier d’une subvention dans le cadre de ce programme pancanadien.

Dr Hayward ajoute que ce projet a débuté lorsque Dr Mike Weldon, membre de l’équipe et urgentologue à Red Deer, qui était ingénieur logiciel avant de se réorienter en médecine, a vu l’essor des programmes d’IA générative tels que ChatGPT et a commencé à explorer la façon dont ils pourraient être utilisés pour l’aider dans son travail au quotidien.

Dr Weldon a écrit le code d’un outil de transcription IA, simple mais efficace, qu’il a commencé à tester dans son cabinet.

Avec le consentement du patient, le médecin lance l’outil avant de commencer la consultation. L’outil de transcription IA fonctionne en arrière-plan; il enregistre l’audio et condense la conversation dans une note clinique qui résume ce qui s’est passé au cours de la rencontre et dresse la liste des éléments clés qui doivent être inclus dans le dossier du patient.

«Cela allège un peu la charge cognitive et le stress de savoir que vous devez vous souvenir de tout ce que vous faites et de toutes les questions que vous abordez pour les ajouter au dossier plus tard», déclare Dr Hayward. 

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«En moyenne, les médecins passent plus d’une journée par semaine à s’occuper de la paperasse, en plus de leurs responsabilités cliniques. Des initiatives de ce type sont essentielles pour améliorer le bien-être des médecins et élargir l’accès aux soins.»

Dr Joss Reimer, président de l’Association médicale canadienne

Augmenter la quantité et la qualité des soins médicaux

Dr Hayward ajoute que certains hôpitaux et cabinets médicaux font déjà appel à des personnes dont le travail consiste à assister aux consultations, aux examens et aux séances de diagnostic pour consigner tous les détails afin de permettre aux médecins de se concentrer sur les soins médicaux. Cette pratique est toutefois coûteuse, et les outils de transcription IA seraient en mesure de fournir un service similaire.

Et comme pour les transcripteurs humains, le médecin serait ultimement responsable de réviser et de vérifier l’exactitude des notes cliniques et des autres renseignements saisis dans un dossier médical. Un enregistrement de l’interaction est également créé pour permettre au médecin d’y revenir plus tard, précise Dr Hayward.

«Les premières données indiquent une augmentation du nombre de patients qui sont vus et une amélioration de la qualité de l’interaction, sans compromettre la qualité des soins ni la sécurité.»

S’assurer que l’outil de transcription IA répond aux exigences techniques et de la protection de la vie privée

Dr Hayward a ajouté qu’il reste encore beaucoup à faire pour que les médecins des Services de santé de l’Alberta aient un plus grand accès à cette technologie, notamment d’un point de vue technique et réglementaire.

Le financement du programme Subventions pour l’allègement administratif servira à perfectionner l’outil de transcription IA que Dr Weldon a mis au point et à veiller à ce qu’il réponde aux exigences juridiques et de conformité des Services de santé de l’Alberta.

«Une grande partie de notre travail consiste à collaborer avec les organismes de réglementation pour déterminer quelles seront les politiques institutionnelles relatives à l’intégration de l’intelligence artificielle dans les flux de travail clinique», souligne Dr Hayward.

L’équipe prévoit également de mener des études pour évaluer la précision des notes cliniques générées par différents grands modèles de langage.»

À ce stade, le projet se concentre sur le développement de la technologie au moyen de tests en laboratoire et sur la préparation des politiques et des réglementations relatives à la vie privée, à la sécurité, au stockage et à la conservation des données et au consentement des patients.

«Nous travaillons sur ces éléments initiaux et fondamentaux qui doivent être réglés avant de tester la technologie en environnement clinique», affirme Dr Hayward.

Une équipe interdisciplinaire est nécessaire pour le projet

Le financement est extrêmement utile pour la constitution d’une équipe qui compte des experts en matière d’intelligence artificielle, de développement de logiciels et de recherche complexe.

«Pour réaliser un projet de cette envergure, nous avons besoin de ressources humaines et de capital. Nous avons besoin de gestionnaires de projet, de coordonnateurs et d’assistants de recherche. Il s’agit d’un projet très complexe, et l’argent servira à intégrer les bonnes personnes à l’environnement et à l’équipe», affirme Dr Hayward.

L’objectif est de commencer les tests dans les salles d’urgence dans les six premiers mois. Au cours de la deuxième année, il est prévu de fournir un outil de transcription IA à un sous-groupe de 100 à 200 urgentologues à Edmonton afin de poursuivre les tests et le perfectionnement. Le code de l’outil sera ouvert et disponible gratuitement, a-t-il ajouté.

Dr Hayward soutient qu’au bout de ces deux années, ils espèrent que le projet fournira des données concluantes qui pourront être utilisées partout en Alberta et à l’échelle du Canada pour permettre aux professionnels de la santé de déterminer si l’utilisation d’un outil de transcription IA conviendrait à leur pratique ainsi que les mesures à prendre pour l’intégrer.

«Notre hypothèse est que l’interaction avec le médecin est de meilleure qualité. L’impact le plus concret que l’on puisse imaginer est que le médecin n’aura plus besoin de regarder l’écran de son ordinateur et pourra donc regarder la personne devant lui. Ce changement entraînerait une meilleure interaction, sans contredit.»

Il est également optimiste quant à l’amélioration de la charge de travail et du bien-être des médecins, ainsi qu’à la rétention du personnel.

«Rédiger des notes ne fait pas partie des tâches que les médecins apprécient le plus; ils préfèrent consacrer leur temps à l’interaction avec les patients. Donc, les médecins apprécieront davantage leur travail et ils seront un peu moins épuisés, un peu moins stressés, un peu plus engagés. En somme, nous espérons que tout cela se traduira par un meilleur niveau de soins.»