Shaun Osborne
stratège cambiste en chef
Stratégie des marchés des changes
416.945.4538
shaun.osborne@scotiabank.com

Le dollar US ($ US) a essentiellement été au rendez‑vous de nos attentes durant le T1. Nous avions prévu une période de consolidation pour le dollar US après les importantes pertes cumulées jusqu’à la fin de 2022 et au début de l’année, et s’il a fluctué en gravitant autour des perspectives inflationnistes évolutives et en subissant les incidences de la politique monétaire, sa capacité à se ressaisir, sur fond de conjoncture économique américaine plus vigoureuse que prévu, a été tempérée par la hausse des taux ailleurs dans le monde développé. À une époque plus récente, en raison de la léthargie du secteur bancaire américain régional, l’on s’attend de plus en plus à ce que le cycle de durcissement de la Fed n’ait plus encore beaucoup d’essence dans le réservoir, même si l’inflation est en quelque sorte plus lente à retomber que ce que certains avaient prévu.

Nous croyons toujours plutôt que les interventions monétaires donneront lieu à une performance à moyen terme du dollar US en quelque sorte survalorisée et nous continuons de penser que la fin prochaine du cycle de durcissement de la Fed viendra probablement ternir l’attrait du dollar US de façon plus évidente au S2. Les signes plus clairs de la modération de l’inflation américaine jusqu’au milieu de l’année augmenteront les vents contraires qui soufflent sur le dollar US puisque les marchés auront bon espoir que la Fed infléchira en 2024 ses mesures de durcissement. Il va de soi que le ton du discours de la Fed se répercutera généralement dans l’ensemble de l’espace des grandes banques centrales; pourtant, nous nous attendons à ce que la politique monétaire mette beaucoup plus de temps à fléchir en Europe qu’aux États‑Unis, puisque l’inflation au Royaume‑Uni et dans la zone euro est toujours nettement plus forte (que l’IPC américain). Dans nos prévisions sur l’évolution des taux de change, nous supposons que les tensions actuelles du secteur bancaire seront endiguées. Or, une grande détérioration de la situation aurait vraisemblablement pour effet de faire monter généralement le dollar US (par rapport à ce qu’indiquent nos prévisions) à court terme dans le réseau des valeurs refuges. Généralement, les signaux techniques à plus long terme laissent entendre que le dollar US a essentiellement culminé et changé de trajectoire à la fin de l’an dernier, et dans les mois à venir, il se peut que la remontée du dollar US en 2021‑2022 manque encore plus de souffle.

Le dollar canadien (CAD) a eu de la difficulté à s’illustrer par rapport au dollar US dans les dernières semaines. L’économie canadienne semble s’être relativement bien tirée d’affaire au début du T1, à l’heure où le marché du travail intérieur reste très tendu et alors que les pressions de l’inflation fondamentale restent exacerbées. La pause monétaire conditionnelle de la Banque du Canada (BdC) reste toutefois intacte, et dans le relèvement des taux, la barre est toujours aussi élevée. La volatilité des marchés boursiers relève du défi pour le dollar CA; les corrélations entre les monnaies et les valeurs boursières se sont amoindries dans les dernières semaines; or, le dollar CA garde une corrélation positive relativement élevée avec les titres boursiers. Le fléchissement des cours des produits de base et la détérioration évidente de la balance commerciale du Canada représentent une mauvaise nouvelle plus fondamentale pour le dollar CA, et l’anémie chronique pourrait limiter la capacité du dollar CA à s’améliorer considérablement dans les prochains mois. Les différentiels de rendement entre les États‑Unis et le Canada se sont rapprochés; pourtant, ils restent assez onéreux pour ternir l’attrait du dollar CA dans les circonstances actuelles. Nous continuons de nous attendre à une vaste amélioration de la conjoncture mondiale des risques lorsque les taux plafonneront au S2 pour porter le dollar CA à hauteur de 1,30.

Le peso mexicain (MXN) est toujours la grande monnaie la plus performante, dans l’ensemble, depuis le début de l’année; cependant, la remontée des marchés boursiers a manqué de souffle dans les dernières semaines lorsque la volatilité des marchés s’est emballée, et les meilleurs gains du MXN sont sans doute dans le rétroviseur à l’heure actuelle. Cette monnaie a été solidement étayée par les taux d’intérêt réels et nominaux élevés, grâce à la politique de la banque centrale qui entend garder une marge de manœuvre claire et cohérente malgré la hausse des taux directeurs américains en tâchant de mater l’inflation intérieure. Au début de mars, les gains du MXN ont culminé aux alentours de 17,90 par rapport au dollar US; il s’agit de son plus haut depuis 2017. Le MXN a culminé à un peu moins de 13 par rapport au dollar CA; il s’agit du taux ponctuel le plus faible de la paire CAD/MXN depuis 2016. Le MXN paraît fortement valorisé autour de ces niveaux, et les inquiétudes sur la valorisation et la concurrence pourraient entrer en ligne de compte et modérer l’élan supplémentaire du MXN dans les prochains mois. Nous prévoyons une légère baisse du peso par rapport aux niveaux actuels d’ici la fin de l’année, même s’il est probable que les décideurs plaident en faveur d’un nouveau durcissement de la politique monétaire au T4.

Les grandes monnaies européennes ont suivi un parcours cahoteux par rapport au dollar US dans les dernières semaines; pourtant, l’euro (EUR) et la livre sterling (GBP) sont tous deux solidement étayés dans les creux du dollar US. Les attentes des marchés ont été conditionnées trop négativement vers la fin de l’an dernier pour les grandes puissances économiques de la zone euro et du Royaume‑Uni, du fait des tensions géopolitiques, des prix élevés de l’énergie et de la crise du coût de la vie au Royaume‑Uni. Ces risques négatifs ne se sont pas matérialisés intégralement, si bien que les puissances économiques de la zone euro et du Royaume‑Uni inscrivent une performance généralement supérieure aux attentes (même si les niveaux de croissance restent discrets), ce qui permet à la Banque centrale européenne (BCE) et à la Banque d’Angleterre de hausser les taux d’intérêt. Depuis la fin de l’an dernier, la hausse des rendements et les solides apports des investisseurs sur les marchés boursiers européens servent essentiellement de moyens d’étayer l’euro (EUR). La BCE enchaînera probablement avec d’autres hausses de taux et gardera une posture relativement restrictive dans les prochains mois afin de s’assurer que les pressions inflationnistes sous‑jacentes ne s’inscrivent pas dans la durée.

Au Royaume‑Uni, le premier ministre Rishi Sunak semble accomplir certains progrès dans le dénouement des querelles en instance du Brexit avec l’Union européenne, ce qui devrait constituer, à moyen terme, une bonne nouvelle pour la livre sterling. Si le chancelier Jeremy Hunt a restauré la stabilité budgétaire du pays, les finances de l’État ne sont guère vigoureuses, le fardeau fiscal se rapproche des sommets de l’après‑guerre, et les investisseurs étrangers sont d’imprévisibles acteurs, dans les derniers mois, sur le marché des UK Gilts. La livre sterling devrait quand même profiter de la baisse généralisée du dollar US; or, il pourrait y avoir des contraintes dans l’importance des progrès à accomplir à plus long terme.

Dans la région de l’Asie‑Pacifique, le yen (JPY) a essentiellement pisté, dans les dernières semaines, la volatilité des différentiels États‑Unis‑Japon sur les rendements obligataires. En règle générale, la baisse des rendements américains à long terme depuis le pic des rendements sur 10 ans d’octobre 2022, aux alentours de 4,34 %, a permis de stabiliser le JPY après qu’il ait fléchi pour s’établir aux alentours de JPY150 par rapport au dollar US l’an dernier. Les écarts de rendement continueront d’exercer une influence importante sur l’évolution tendancielle du JPY à court et à moyen termes. Nous ne prévoyons pas de changement dans le taux directeur de la Banque du Japon (BoJ) sur notre horizon prévisionnel, et la baisse des rendements sur les termes américains au milieu de l’année laisse au moins entrevoir d’autres pertes pour la paire USD/JPY dans les prochains mois. L’orientation monétaire adoptée par la nouvelle direction de la BoJ pourrait toutefois donner plus de volatilité au JPY, puisque selon les spéculations, le nouveau gouverneur Ueda Kazuo pourrait arrêter une orientation légèrement différente de celle de son prédécesseur. Il est plus probable que les virages monétaires soient évolutionnaires plutôt que révolutionnaires dans les premières étapes de la transition. Pourtant, les changements à apporter à la politique monétaire pourraient comprendre d’autres mises au point au plafond adopté par la BoJ pour maîtriser la courbe des rendements sur les obligations d’État à 10 ans, puisque l’accélération de la croissance des salaires paraît plus cohérente avec la réalisation de la stabilité à long terme des prix. La brusque dégringolade du JPY l’an dernier laisse la porte ouverte à une performance relative exceptionnelle cette année (au‑delà de notre cible de 130 en fin d’année par rapport au dollar US).

Le dollar australien (AUD) et le dollar néozélandais (NZD) ont fait moins bien que les grandes devises comparables en mars. Les décisions de redéconfiner la Chine n’ont pas réussi à donner au yen un élan supplémentaire évident, alors que la balance commerciale de l’Australie et celle de la Nouvelle‑Zélande sont restées relativement anémiques. Nous nous attendons à des gains modestes pour l’AUD et le NZD dans le deuxième semestre de l’année, à cause de la léthargie généralisée du dollar US.