Shaun Osborne
Stratège cambiste en chef
Stratégie des marchés des changes
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Dans l’ensemble, le dollar US (USD) a fléchi un peu depuis avril, alors que l’indice du dollar Bloomberg (BBDXY) a culminé aux alentours de 1 271 points. La tendance haussière du dollar US au T1 et au début du T2 a été étayée par le rebond des taux américains, et le pic de l’indice BBDXY, qui correspondait au pic des taux courts du dollar US aux alentours du niveau de 5 % n’est pas du tout une coïncidence, puisque les marchés ont réagi aux données plus solides qu’attendu sur l’inflation et sur l’emploi. Les progrès accomplis sur le plan de l’inflation restent frileux, malgré les données inférieures aux prévisions de l’IPC pour mai; or, il se pourrait que les signes d’un certain ralentissement de l’économie et du marché du travail des États‑Unis commencent à peser sur les rendements américains et sur le dollar US à terme.

Les décideurs de la Réserve fédérale (la Fed) restent prudents dans leurs prévisions de taux. Dans la plus récente décision du FOMC, les taux n’ont pas changé, comme prévu; ils ont toutefois révélé un basculement de la réflexion de la Fed sur les perspectives des taux. Le tracé en pointillé nous a appris que les décideurs ne s’attendent maintenant cette année qu’à une baisse de taux de 25 points de base, au lieu des trois baisses que laissait entendre le cycle des estimations de mars. Le pronostic de 2025 faisait toutefois état d’un léger assouplissement (par rapport aux estimations de mars). Le président Jerome Powell a répété que les tracés en pointillé n’étaient pas des « plans » et qu’ils pouvaient être « remaniés ». L’anticipation des cours des swaps laisse entendre que les marchés continueront de miser plutôt sur deux baisses de taux d’ici la fin de l’année.

Parce que les marchés ont refroidi les attentes vis-à-vis des baisses de taux de la Fed, les attentes à l’égard de taux moindres hors de l’Amérique du Nord se sont elles aussi modérées. L’inflation s’avère en quelque sorte coriace ailleurs, l’élan de la croissance s’améliore modérément et les banquiers centraux ont tacitement reconnu que le ralentissement des baisses de taux aux États‑Unis pourrait avoir une incidence sur le rythme de leur propre détente. Les différentiels sur les taux d’intérêt à court terme, qui ont fortement milité en faveur du dollar US au début de l’année, se sont apaisés. Puisqu’il est aujourd’hui improbable que les taux d’intérêt évoluent à la hausse aux États‑Unis, il semble que le soutien du rendement du dollar US ait culminé au printemps. En raison des taux américains appelés à rester élevés pendant longtemps, le dollar US est lui aussi appelé à rester vigoureux — sans nécessairement monter — pour longtemps. En l’absence d’autres facteurs porteurs, la séquence haussière du dollar US a probablement atteint son pic.

Nous continuons de prévoir une certaine modération de la vigueur du dollar US au S2 à l’heure où la Fed se rapproche d’une détente des taux d’intérêt et alors que les marchés s’inquiètent, en prévision de 2025, de l’avantage de la croissance de l’économie américaine, qui est appelé à se réduire. Il est toutefois évident que les perspectives comportent des risques. Les tensions géopolitiques restent palpables. Même si les frais d’expédition et de transport du fret continuent d’augmenter à cause des tensions dans la mer Rouge, ces risques paraissent gérables pour les marchés au moment d’écrire ces lignes. Il faut noter que les cours du pétrole ont récemment plongé à leur plus creux depuis février. La volatilité avivée sur les autres marchés d’actifs pourrait avoir une incidence sur le rendement du dollar US. Les marchés boursiers se rapprochent du moment de l’année qui est typiquement associé à une période de léthargie. Et il va de soi que l’élection présidentielle américaine est appelée à faire partie des facteurs dont tiendront compte les investisseurs au S2 lorsqu’on scrutera plus attentivement les politiques commerciales du candidat Trump.

Le dollar canadien (CAD) est léthargique. Dans la foulée du cycle de détente amorcé dans ce mois par la Banque du Canada (BdC), le dollar CA semble appelé à rester anémique. Le début du cycle de baisse des taux est intervenu un peu plus tôt que ce à quoi nous nous attendions, et le ton conciliant de la déclaration de principes laisse entendre que d’autres baisses de taux s’enchaîneront assez rapidement. Nous nous attendons aujourd’hui à trois nouvelles baisses de 25 points de base de la BdC dans les trois prochaines décisions de politique, ce qui donnera des baisses totales de 100 points de base cette année. Nous avons donc remanié à la baisse nos prévisions pour le dollar CA et nous nous attendons à ce que la paire USD/CAD s’échange à 1,38 dans les prochains mois, avant de fléchir légèrement à 1,36 à la fin de l’année, alors que le cycle de détente de la Fed devrait se dérouler.

En Europe, la Banque nationale suisse (BNS), la Banque centrale suédoise (Riksbank) et la Banque centrale européenne (BCE) ont toutes aujourd’hui entamé leur propre cycle de détente. La décision de la BCE a été bien télégraphiée par les responsables de la fixation des taux et a été facilement encaissée par l’euro (EUR). La décision d’abaisser les taux n’a pas été prise à l’unanimité (il y a eu un dissident), et les attentes vis-à-vis d’une détente supplémentaire rapide ont été brusquement douchées par la prudence des prévisions de la présidente de la BCE, Christine Lagarde. Les données publiées aussitôt après la décision rendue sur les taux, qui a eu pour effet de relever la rémunération des travailleurs au T1 (à 5,1 % sur un an), pourraient expliquer la réticence des décideurs à avancer un pronostic plus clair sur les taux. La croissance des salaires risque de déclencher un deuxième cycle de pressions inflationnistes. Il se pourrait qu’une nouvelle détente de la BCE doive attendre des signes confirmant que les pressions exercées par les salaires se modèrent nettement, ce qui devrait se produire au plus tôt en septembre. Les perspectives d’un ralentissement (plus prononcé qu’attendu) des baisses de taux devraient soutenir en quelque sorte l’euro (EUR) et lui permettre de résister à la vigueur prépondérante du dollar US puisque la paire EUR/USD replongera dans la zone de 1,07.

La livre sterling (BGP) a accueilli sereinement la décision du premier ministre Rishi Sunak du Royaume‑Uni de convoquer une élection éclair pour le 4 juillet. Une élection générale devait avoir lieu au début de 2025. Cette élection anticipée revient à admettre tacitement que les grandes inquiétudes des électeurs (santé, éducation et immigration) ne vont pas s’apaiser pour le Parti conservateur au pouvoir dans les prochains mois. Les Conservateurs étaient nettement défavorisés dans les sondages d’opinion avant la convocation de cette élection, et les débuts de la campagne électorale ont empiré la situation pour eux. Il semble que les Travaillistes soient appelés à remporter une « écrasante » victoire. Après 14 années de gouverne parfois grossière et téméraire du Parti conservateur britannique (Tory), les marchés sont rassurés par la perspective d’une victoire des Travaillistes. Le Brexit est aujourd’hui une considération moins prioritaire pour les électeurs du Royaume‑Uni; or, un gouvernement travailliste pourrait modeler une réinitialisation des relations entre le Royaume‑Uni et l’Europe, ce qui pourrait être une assez bonne nouvelle pour la monnaie GBP à moyen terme.

En Inde, les élections récentes (au cours desquelles le parti BJP du premier ministre Narendra Modi a perdu sa majorité) et au Mexique, au cours desquelles la successeure proclamée Claudia Sheinbaum, d’AMLO, et le parti Morena ont réuni un meilleur soutien qu’attendu, ont injecté une dose de volatilité et d’incertitude aux marchés locaux. La volatilité du peso mexicain (MXN) a été amplifiée par le délaissement des opérations spéculatives parce que les investisseurs ont délesté le MXN en réaction aux résultats des élections. Les solides gains du parti Morena d’AMLO semblent avoir ouvert la voie à des réformes constitutionnelles. Les taux d’intérêt américain élevés permettent de placer sur la défensive, dans l’ensemble, les monnaies de la région de l’Amérique latine; or, la brusque chute du MXN au début de juin en fait une monnaie sous‑performante par rapport aux monnaies comparables de l’Alliance du Pacifique après une période soutenue de surperformance.

Les données publiées par le ministère des Finances du Japon ont indiqué que les pouvoirs publics ont dépensé la somme record de 62 G$ US pour soutenir le yen (JPY) de la fin d’avril jusqu’en mai. Une partie de cette intervention semble avoir été financée par la vente de bons du Trésor américain détenus par la Banque du Japon (BoJ). Le JPY reste anémique; pourtant, le vigoureux soutien de la monnaie et la possibilité que la BoJ apporte d’autres légers remaniements à sa politique monétaire devraient permettre de stabiliser le yen autour de son récent creux (160).