Shaun Osborne
Stratège cambiste en chef
Stratégie des marchés des changes
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Au troisième trimestre, le dollar US (USD) s’est affaissé, en raison d’une constellation de facteurs qui ont secoué les échanges de devises et injecté sur les marchés un regain de volatilité. Nous nous attendions à ce que le dollar US fléchisse au deuxième semestre, puisque les facteurs cycliques deviennent moins favorables. Même si les pertes du dollar US se sont en quelque sorte modérées dans les récents échanges, l’impact net correspond toujours à un billet vert un peu plus faible que ce que nous avions escompté à ce stade.

La léthargie du dollar US peut essentiellement s’expliquer par les facteurs suivants. Premièrement, les rendements américains se sont calmés en juillet et ont brusquement dégringolé en août suivant la publication du rapport de juillet sur l’emploi américain, plus léthargique qu’attendu. Les données ont musclé les inquiétudes d’un ralentissement, en amenant les marchés à se demander si la Réserve fédérale américaine (la Fed) « accusait un retard sur la courbe » et devait entamer son cycle d’assouplissement par une baisse de taux plus ambitieuse en septembre. Deuxièmement, l’entrevue Bloomberg/Businessweek avec le candidat à la présidence, Donald Trump, a fait savoir qu’il s’inquiétait de la vigueur du dollar US, qui était « problématique », surtout par rapport au yen japonais (JPY) et au yuan chinois (CNY), ce qui a contribué à la pression corrective sur le JPY, en plus de ternir généralement l’aura du dollar US. Le bond prolongé du JPY, suivant une hausse inattendue, à la fin de juillet, du taux directeur de la Banque du Japon (BoJ) a constitué un troisième facteur lié : les gains du JPY ont été augmentés par la demande de couverture de position à découvert lorsque les opérations de portage financées par le JPY ont été dénouées ambitieusement. La vice‑présidente Kamala Harris a été portée candidate démocrate pour l’élection présidentielle, ce qui constitue un quatrième facteur. Cette candidature a nui à la domination de l’ex‑président Trump dans les sondages d’opinion et a obligé les marchés à reconsidérer les opérations « réinflationnistes Trump » positives pour le dollar US. Le résultat de la présidentielle américaine aura un profond retentissement sur les marchés financiers en général dans la dernière partie de l’année et pourrait compliquer les perspectives du dollar US à moyen terme.

La saisonnalité de la léthargie du dollar US au deuxième et au troisième trimestres constitue une dernière considération. Les tendances saisonnières n’ont pas été particulièrement prépondérantes dans les dernières années; or, l’évolution de 2024 s’apparente beaucoup à la tendance typique des échanges dans l’indice du dollar (DXY) dans les 25 dernières années. Si cette tendance perdure, il est probable que cette léthargie s’accentue dans le prochain mois — ce qui pourrait s’expliquer par un nouveau fléchissement des appuis cycliques du dollar US à l’heure où la Fed commence à abaisser les taux d’intérêt et alors que la croissance de l’économie américaine manque de souffle. Un rebond modéré du dollar US à la fin de l’année témoignerait typiquement de son rendement moyen depuis la fin des années 1990, à périmètre constant.

Le dollar canadien (CAD) a repris du mieux après sa torpeur de la fin de juillet et du début d’août : le dollar US a alors refrôlé la zone de 1,39 (pour se rapprocher des sommets atteints en 2022 et 2023 pour le billet vert). Le ralentissement de l’inflation et la hausse du chômage ont amené la Banque du Canada (BdC) à abaisser à trois reprises les taux d’intérêt depuis juin, pour prendre la tête du peloton des nombreux banquiers centraux. La léthargie des facteurs cycliques a intensifié l’humeur baissière du dollar CA au milieu de l’année; or, il semble que le mauvais moral des marchés ait culminé au moment même où le dollar CA plongeait. La dégringolade plus importante du dollar US en août a exprimé une part importante des positions courtes sur le dollar CA, et la baisse des rendements américains (ainsi que le rapprochement des écarts États‑Unis/Canada) est venue réépingler le dollar US.

La pression qui pèse sur le peso mexicain (MXN) s’est intensifiée dans les derniers mois. Les inquiétudes politiques représentent toujours un poids pour le MXN sur fond de spéculations selon lesquelles le président Lopez Obrador amorcera des réformes judiciaires avant de se démettre de ses fonctions. Les pertes du MXN l’ont ramené dans la zone des 20 pesos pour un dollar US, et la léthargie a été amplifiée par le dénouement des opérations de portage financées par le JPY dans le MXN suivant la hausse des taux de la BoJ. La volatilité accrue dans l’ensemble des marchés empêchera probablement une importante, pour l’heure, remontée de la demande en opérations de portage pour le MXN. D’autres devises de l’Alliance du Pacifique ont surclassé jusqu’à maintenant le MXN au T3, même si elles s’échangent en deçà de leurs meilleurs niveaux. La baisse des cours du cuivre et la réduction des taux ont miné le peso chilien (CLP) alors que l’anémie des cours du brut a fait reculer le peso colombien (COP). Le sol péruvien (PEN) est la monnaie régionale la plus performante jusqu’à maintenant pour le trimestre.

La plupart des grandes monnaies du G10 ont profité de la baisse des rendements américains et des différentiels en quelque sorte plus rapprochés dans les taux d’intérêt à court terme pour comptabiliser des gains par rapport au dollar US au T3. Le yen japonais (JPY) est la grande monnaie la plus performante, qui rend compte de certains des facteurs évoqués ci‑dessus (le durcissement de la BoJ et la tourmente des opérations de portage, qui a provoqué d’importantes prises de couverture de position à découvert sur le JPY). En outre, la banque centrale est à nouveau intervenue pour soutenir la monnaie en juillet, et les gouvernants de la BoJ semblent avoir bon espoir que la politique monétaire suivra le parcours voulu, ce qui ouvre la porte à d’autres hausses de taux modestes dans les prochains mois. On a établi aux alentours de 160 points à l’heure actuelle le plafond ferme de la paire USD/JPY; toutefois, cette monnaie reste faible en chiffres effectifs réels, ce qui laisse entendre que la brusque appréciation constatée pour cette monnaie au T3 pourrait se prolonger à moyen terme puisque les différentiels de taux d’intérêt États‑Unis/Japon continuent de se rapprocher.

L’euro (EUR) et la livre sterling (GBP) se sont tous les deux appréciés un peu plus rapidement que ce à quoi nous nous attendions par rapport au léthargique dollar US depuis le milieu de l’année. Si la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre (BoE) sont toutes deux appelées à baisser les taux d’intérêt dans les prochains mois, la conjoncture économique (ténacité de l’inflation des services dans la zone euro et salaires toujours aussi élevés au Royaume‑Uni) laisse entendre que les taux pourraient baisser relativement plus lentement dans la zone euro et au Royaume‑Uni qu’en Amérique du Nord. Or, les écarts sur les rendements à terme paraissent assez bien anticipés pour tenir compte de cette évolution, ce qui laisse entendre que le dollar US pourrait rester léthargique, sans toutefois fléchir beaucoup plus, à moins que les attentes vis‑à‑vis des taux se corrigent considérablement par rapport aux niveaux actuels.