• Le taux directeur a été abaissé comme prévu de 25 points de base à 4,75 %.
  • Les marchés ont très peu réagi.
  • Il y a eu quelques changements importants dans les déclarations.
  • Powell et consorts surveillent les changements de politiques et en tiendront compte lorsqu’ils se produiront.
  • Ils risquent alors d’intervenir encore une fois trop tard.
  • Powell a précisé qu’il s’inquiète encore de la sécurité de l’emploi — du moins jusqu’à la fin de son mandat.

La fourchette des taux directeurs de la Réserve fédérale a été abaissée de 25 points de base, comme on s’y attendait généralement. Le discours louvoyant de l’essentiel de la conférence de presse a permis essentiellement de préciser que le FOMC est en quelque sorte en porte‑à‑faux, puisqu’il attend de prendre connaissance des changements qui pourraient être apportés aux autres politiques macroéconomiques dans la foulée de la présidentielle américaine. Or, dans l’ensemble, je ne crois pas que nous ayons appris beaucoup d’information pour ce qui est du point de vue à plus court terme aujourd’hui, et le parcours qui nous mènera à la réunion de décembre est toujours tributaire des données, selon un parti pris important pour une autre baisse d’un quart de point.

Nous analysons ci‑après une flopée de changements apportés aux déclarations, après avoir tenté de transcrire l’ensemble des réponses apportées aux questions durant la conférence de presse.

Les points essentiels de la période de questions ont permis d’apprendre que le Comité ne préjugera pas d’autres interventions monétaires potentielles et qu’il en tiendra compte lorsqu’il les connaîtra; le président a très clairement fait savoir au monde entier que son emploi est sécurisé lorsque se déroulera le changement d’administration — du moins jusqu’à ce que le mandat de président de Jerome Powell prendra fin en 2026 (mai 2026), et probablement moins vraisemblablement, jusqu’à la fin de son mandat de gouverneur (janvier 2028). Le graphique 1 est consacré à la mandature de Jerome Powell et les autres gouverneurs; le seul autre mandat qui arrive à expiration pendant le mandat de la nouvelle administration est celui d’Adriana D. Kugler.

Graphique 1 : La mandature des membres du conseil de la Fed

Même si je pense que Jerome Powell n’avait guère le choix aujourd’hui, on peut constater à quel point les banques centrales trébuchent dans les difficultés. S’il croit vraiment (!) ce qu’il a dit, on ne peut alors que réagir aux changements intervenus dans les autres politiques (budgétaires, commerciales et migratoires) ainsi qu’aux autres évolutions connues et réalisées, pour ensuite les modéliser et commencer à en constater les effets. Autrement dit, lorsqu’il sera trop tard, comme nous l’avons vu quand l’inflation est sortie des clous et qu’on s’est ensuite battu pour la remettre dans les clous. C’est ce qui explique le surciblage ou le sous‑ciblage des banques centrales, qui est source d’une grande partie de la volatilité que nous connaissons à la longue, à mon avis. C’est ce qui vient nous rappeler les différences entre l’univers des investisseurs et l’univers des politiques.

Les changements dans les déclarations

Les déclarations sont venues mettre au point le libellé dans quelques passages qui paraissaient plutôt importants, et pendant la conférence de presse, Jerome Powell n’a fait que déclarer que ces passages ne l’étaient pas. Veuillez consulter la comparaison des déclarations dans l’appendice.

Dans la précédente déclaration, la mention selon laquelle « Le Comité est convaincu que l'inflation évolue durablement vers 2 % » a été biffée. En surface, on ne sait pas vraiment pourquoi cette mention a été radiée. L’a‑t‑elle été parce que la Fed est moins confiante maintenant, à la lumière des récentes données sur l’inflation et peut‑être même en raison de la présidentielle américaine? Ou encore, la Fed a‑t‑elle voulu dire qu’elle a simplement atteint un nouveau point d’équilibre dans l’amélioration de sa confiance, sans toutefois parcourir beaucoup de chemin?

On a donc demandé à Jerome Powell s’il y avait un fond de politique dans le nouveau libellé sur l’inflation et si ce libellé voulait dire qu’on ouvrait la porte à une pause en décembre. Voici ce qu’il a déclaré :

« Non, pas vraiment. Le critère pour gagner en confiance était celui de la première baisse de taux en septembre. Si on en tient compte, il s’agit d’un nouveau pronostic. Nous avons davantage l’assurance que nous sommes en voie d’atteindre la cible de 2 %. Nous ne pensons pas qu’il s’agit du moment opportun pour publier un pronostic. Il y a beaucoup d’incertitude. Nous sommes en bonne voie d’atteindre notre destination, sans toutefois connaître la destination exacte et le rythme auquel nous évoluerons. »

On pourrait remettre cette affirmation en question en notant aussi que la déclaration supprime la mention « … à la lumière des progrès dans l’inflation », qui terminait le troisième paragraphe de la précédente déclaration. Je ne suis pas certain d’être d’accord avec cette insouciance sur cette question.

L’une des raisons pour lesquelles je fais cette affirmation, c’est que récemment, l’inflation fondamentale a recommencé à monter tendanciellement (graphique 2). C’est aussi parce que la vigueur soutenue de l’économie américaine fait perdurer les pressions qui pèsent sur la capacité de cette économie, qui reste en territoire de demande agrégée excédentaire. C’est aussi parce qu’on en est venu à être progressivement plus incertains du parcours à suivre pour atteindre durablement la cible inflationniste de 2 % compte tenu de l’enchevêtrement potentiel des autres changements qui seront probablement apportés aux politiques commerciales, migratoires et budgétaires. 

Graphique 2 : La nouvelle crainte du président de la Fed, Jerome Powell

Le dernier changement apporté aux déclarations a consisté à modifier légèrement le libellé sur la situation du marché du travail dans le paragraphe liminaire. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un changement important. Parler de la « conjoncture du marché du travail qui s’est généralement apaisée » n’est pas vraiment différent de la mention « les gains de l’emploi se sont ralentis ».

Les questions qui n’ont pas été posées

Avant de parler des questions qui ont été posées, on aurait dû demander pourquoi Powell et consorts croient que la balance des risques pour les objectifs du double mandat est aujourd’hui la même (après l’élection) qu’elle était en septembre. On aurait pu lui demander des précisions. Il aurait été préférable de dire qu’on ne le savait pas. Il faut s’attendre à ce que l’on revienne sur cette déclaration dans les réunions suivantes, lorsque l’administration sera confiée au nouveau parti élu.

La période de questions pendant la conférence de presse

Voici les questions qui ont été posées pendant la conférence de presse, qui a duré à peu près 40 minutes.

Q1. Vous attendez‑vous à d’éventuels basculements de la politique dans la foulée de la présidentielle américaine?

R1. Dans le court terme, l’élection n’aura aucun effet. Nous ne savons pas quels pourraient être la chronologie et les effets des changements de politique. Nous ne supposons rien, nous ne spéculons pas et nous ne présumons de rien.

Q2. Les risques de croissance que comportent la hausse des rendements des bons du Trésor sont‑ils différents aujourd’hui par rapport à il y a un an, alors que les rendements étaient plus élevés?

R2. Les taux obligataires longs sont aujourd’hui proches de ce niveau. Nous surveillons la situation et nous voulons savoir à quel moment ils se tasseront. Il semble que les mouvements portent non pas essentiellement sur la montée des attentes inflationnistes, mais plutôt sur la vigueur de la croissance et la diminution des risques de baisse.

Q3. Les projections du FOMC pour septembre paraissent‑elles d’actualité aujourd’hui?

R3. Nous sommes aujourd’hui entre deux cycles et nous ne voulons pas faire de commentaires. Depuis que nous avons publié ces prévisions, nous avons constaté que la croissance est plus vigoureuse et que certains risques de baisse, dont les révisions, ont diminué. Nous en tiendrions compte. Dans le même temps, nous avons pris connaissance d’un rapport sur l’inflation qui n’était pas terrible, mais qui indiquait que l’inflation a augmenté. Nous aurons plus de données à la réunion de décembre.

Q4. Sur quoi allez‑vous vous pencher spécifiquement en décembre? Pensez‑vous toujours que le tracé en pointillé de septembre pour la prochaine année est toujours valide?

R4. Puisque nous n’établissons pas de prévisions dans cette réunion, je ne peux pas répondre à cette question. Nous publierons une autre prévision en décembre. Les taux ont aujourd’hui baissé de 75 points de base, et nous nous demandons s’il s’agit bien du point auquel nous voulons nous situer. Nous voulons emprunter un parcours intermédiaire en maintenant la vigueur du marché du travail, mais en progressant pour atteindre notre cible inflationniste de 2 %. Je crois que nous y arrivons, mais nous verrons bien.

Q5. Faut‑il toujours s’attendre à des baisses d’un point de pourcentage complet en 2025?

R5. Je ne peux pas répondre à cette question. Nous sommes en voie d’adopter une posture plus neutre. Il reste six semaines à écouler avant la réunion de décembre. Je ne me prononce pas contre ni pour cette éventualité.

Q7. La hausse des rendements cache‑t‑elle une augmentation des déficits?

R7. Nous ne commentons pas la politique budgétaire, et je n’ai pas plus d’information à donner sur les rendements obligataires. Nous préférons attendre de modéliser le résultat des changements qui pourraient être apportés au code fiscal. Le modèle en tient compte lorsque les autres changements sont effectivement adoptés. Il s’agit d’un processus qui demande un certain temps. Nous allons nous pencher sur l’effet net de tous les changements à apporter aux politiques, comme nous le faisons chaque fois que l’administration change. Il n’y a rien à modéliser à l’heure actuelle.

Q8. Croyez‑vous que vous devez vous en remettre aux taux actuels ou qu’il s’agit d’un signal qui indique que vous devez faire moins?

R8. Nous avons besoin de durabilité. Il faut se rappeler que le bond des rendements obligataires longs était temporaire. Nous sommes en train de décomposer l’évolution des rendements et d’analyser d’autres mouvements. Mais à l’heure actuelle, il ne s’agit pas d’un facteur important dans notre analyse de la situation.

Q9. Pourquoi procéder à tant de baisses alors que la conjoncture récente est vigoureuse?

R9. La maximisation de l’emploi et la stabilité des prix constituent notre mandat. Nous pensons que la politique est toujours restrictive. Les variables de notre objectif s’améliorent. Il n’est pas nécessaire que le marché du travail se ralentisse encore pour accomplir cette partie de notre mandat. Le travail de lutte contre l’inflation n’est pas terminé, mais il y a des progrès.

Q10. Qu’est‑ce qui pourrait vous amener à marquer une pause en décembre?

R10. Nous n’avons pas du tout pris de décision à ce propos. Nous sommes en train d’abaisser nos taux directeurs. Nous sommes prêts à remanier notre évaluation du rythme à adopter et de la destination visée. À l’heure où nous nous rapprochons du point neutre, il pourrait être approprié de ralentir le rythme. Nous avons atteint un point où nous ralentissons le rythme un peu comme un avion qui ralentit à l’approche de l’aéroport.

Q11. L’inflation fondamentale se situe à 2,7 % depuis juillet. N’est‑ce pas une raison de marquer une pause à cette réunion?

R11. Les chiffres à trois et à six mois sont de l’ordre de 2,3 %. Ces chiffres nous apprennent que nous avons vraiment accompli d’énormes progrès. Les services distincts du logement et les biens regagnent les niveaux auxquels ils se situaient lorsque nous avions maintenu un taux d’inflation de 2 % au début des années 2000. On ne peut en dire autant des services de logements. L’inflation est très faible dans les loyers du marché. Il faut compter plusieurs années pour que les baux en cours s’y adaptent, ce qui témoigne des pressions inflationnistes passées. Pour ce qui est du marché du travail, il ne s’agit pas d’une source de pressions inflationnistes. On pourrait constater un rattrapage de l’inflation dans des secteurs comme l’assurance automobile et d’autres domaines. Dans la lutte contre l’inflation, nous entrevoyons un parcours cahoteux; le parcours devrait tendre vers la cible de 2 % dans les prochaines années.

Q12. Cherchez‑vous rapidement à atteindre le point neutre?

R12. Rien, dans les statistiques, ne nous dit que nous devrions nous précipiter. Le bon moyen d’atteindre le point neutre consiste à faire preuve de circonspection et de patience.

Q13. Avez‑vous appris quoi que ce soit sur ce que pensent les Américains de l’économie d’après les résultats de la présidentielle?

R13. Je ne veux pas répondre aux questions sur la présidentielle.

Q14. À quel moment atteignons‑nous un seuil auquel le marché du travail se ralentit beaucoup trop? Le taux de chômage a été de 4 % ou plus, et l’indicateur le plus vaste accuse une hausse d’un demi‑point par rapport à il y a un an; le taux de départ est en train de plonger. Au colloque de Jackson Hole, vous avez déclaré qu’un autre ralentissement serait une mauvaise nouvelle.

R14. Nous avons constaté une évolution à la hausse du chômage. Je n’irai pas jusqu’à dire que le marché du travail s’est parfaitement stabilisé, puisqu’il s’est ralenti peu à peu; or, nous voulons le garder dans une excellente situation. Les salaires sont toujours légèrement supérieurs à ce qu’ils devraient être pour garder l’inflation à 2 %, à moins que la productivité reste solide. Les gains de salaires cadrent aujourd’hui avec l’inflation de 2 % compte tenu des chiffres sur la productivité. [Note de la rédaction : On ne peut en dire autant après les chiffres et les révisions de cet avant‑midi.] [Note de la rédaction : Il aurait dû signaler l’accroissement de la population et l’augmentation du taux de participation à la population active dans les dernières années pour expliquer la hausse du taux de chômage.]

Q15. Si Donald Trump vous demandait de démissionner, le feriez‑vous?

R14. Non.

Q15. La loi vous oblige‑t‑elle à démissionner?

R15. Non.

Q16. S’il y avait des nuages noirs à l’horizon, que voudraient‑ils dire?

R16. Les risques géopolitiques sont élevés, mais ont eu relativement peu d’effet sur l’économie américaine. L’économie des États‑Unis est très solide. [Note de la rédaction : Il n’a pas répondu à la question.]

Q17. Vos prédécesseurs se sont exprimés avec véhémence en déclarant qu’à leur avis, la politique budgétaire créait des déséquilibres. Ferez‑vous de même?

R17. J’ai déclaré à maintes reprises, ni plus ni moins que mes prédécesseurs, que le parcours budgétaire du gouvernement américain est intenable. Le niveau des dépenses n’est pas intenable, mais le parcours l’est. Le déficit est très considérable dans une conjoncture de plein‑emploi. C’est une menace pour l’économie.

Q18. Le président a‑t‑il le pouvoir de vous congédier ou de vous limoger, vous‑même ou les gouverneurs?

R18. La loi ne le permet pas. [Note de la rédaction : Dans une question complémentaire, on aurait pu lui demander si le président pouvait changer la loi…]

Q19. Les attentes inflationnistes à plus long terme semblent avoir augmenté, notamment d’un demi‑point, depuis que vous avez abaissé les taux en septembre. La possibilité que les attentes inflationnistes soient désarrimées ou arrimées à un niveau supérieur vous inquiète‑t‑elle?

R19. Je me suis penché sur les swaps d’inflation à cinq ans dans cinq ans, qui retiennent beaucoup notre attention, et ils n’évoluent guère. [Note de la rédaction : Ils ont augmenté d’un quart de point depuis septembre, alors que le point d’équilibre entre l’inflation et le marché des titres du Trésor protégés contre l’inflation (TIPS) a plus augmenté.]

Q21. Vous inquiétez‑vous de l’influence de Donald Trump sur la Fed?

R21. Je ne vais pas parler aujourd’hui de l’actualité politique.

Q22. Pouvez‑vous éliminer la possibilité d’une hausse des taux d’intérêt l’an prochain?

R22. Non. Je n’éliminerais aucune possibilité, mais une hausse nous paraît peu probable.

Q23. Serait‑il opportun, pour la Fed, de sous‑cibler le taux d’inflation de 2 % pendant un certain temps afin de compenser la précédente hausse de l’inflation?

R23. Non. Le sous‑ciblage ne fait pas partie de notre structure‑cadre, et il ne s’agit pas d’une question sur laquelle nous allons nous pencher dans l’examen de cette structure‑cadre. [Note de la rédaction : Il y a eu une question sur le ciblage du niveau de prix, et les banques centrales ont généralement rejeté cette option.]

Comparaison des déclarations du FOMC