LE MARCHÉ CANADIEN DU LOGEMENT : LE POINT SUR 2022

RÉSUMÉ

En décembre, les ventes de logements au Canada ont gagné 1,3 % (en données désaisonnalisées sur un mois), alors que les inscriptions ont accusé une forte baisse de 6,4 %. Indicateur de l’équilibre du marché, le ratio des ventes sur les nouvelles inscriptions s’est hissé à 54,4 %; il reste toutefois inférieur à sa moyenne à long terme, et le marché national du logement est toujours en territoire équilibré. Les mois de stocks ont continué de progresser après avoir plongé à des creux absolus, pour se chiffrer à 4,2 mois : bien qu’il s’agisse d’une nette amélioration par rapport au creux sans précédent de 1,7 mois au début de l’année, cet indice se situe toujours à un mois franc de moins que sa moyenne à long terme.

Sur l’ensemble de l’année, les ventes ont baissé de 25 % par rapport à 2021, les inscriptions ont perdu 1,7 %, et les prix de vente moyens ont augmenté de 5,5 %.

Sur les 31 marchés locaux que nous suivons, 24 ont fini l’année en territoire équilibré, contre 28 en territoire vendeur au début de l’année. St. John's, Saint John et Moncton, dans les provinces de l’Atlantique, ainsi que Sudbury en Ontario sont restées en territoire vendeur, alors que les acheteurs ont maîtrisé le marché à Windsor, Barrie et Toronto.

Les prix ont à nouveau baissé en décembre, ce qui cadre avec le retour à l’équilibre des marchés. L’indice des prix des propriétés (IPP) MLS a perdu 1,6 % (en données désaisonnalisées sur un mois) en décembre, pour finir l’année à 13 % de moins que son pic de février 2022. Les maisons unifamiliales ont continué de mener les baisses de prix mensuelles, en se repliant de 1,8 %, contre une baisse d’à peine 0,9 % pour les appartements. Par rapport à décembre 2021, l’IPP MLS composé (en chiffres non désaisonnalisés) a baissé de 7,5 % : les maisons unifamiliales ont perdu 9,2 % et les appartements n’ont à peu près pas bougé, en gagnant 0,1 %.

L’IPP MLS annuel moyen a progressé de 12 % en 2022 par rapport à 2021 : l’IPP des maisons unifamiliales a gagné aux alentours de 11 %, alors que les maisons en rangée et les appartements ont décollé de presque 15 %.

CONSÉQUENCES

Le marché canadien du logement n’a pas fini l’année 2022 comme il l’avait entamée.

Au début de l’année, la conjoncture des marchés était statistiquement tendue. Le ratio des ventes sur les nouvelles inscriptions atteignait des niveaux sans précédent; il en allait de même des gains de prix mensuels et annuels, alors que les mois de stocks se situaient à leur plus creux. La demande de logements était essentiellement portée par les faibles taux de crédit et par la crainte obsessionnelle de manquer à l’appel (COMA) qui dominait la psychologie du marché du logement. En février, la demande a plutôt été musclée par une ruée destinée à verrouiller des taux inférieurs alors qu’on s’attendait de plus en plus à une hausse du taux à un jour en mars, comme l’avait télégraphié la Banque du Canada dans ses efforts d’enrayer la flambée inflationniste sans précédent. Dans le même temps, les inscriptions étaient relativement malmenées et paralysées par des facteurs de grande envergure. Parmi ces facteurs, les Canadiens âgés et retraités gardaient les logements dont ils étaient propriétaires, l’érosion de l’abordabilité et les enchères virulentes réduisaient l’attrait pour les inscriptions et l’accès au marché pour les acheteurs, les prévisions sur l’augmentation soutenue des prix encourageaient les propriétaires de logements à reporter leurs inscriptions pour maximiser le rendement et enfin, en raison des taux conciliants et du très faible coût du crédit, l’achat, par les propriétaires, d’un bien neuf tout en conservant leur propriété, était plus attrayant et abordable, et permettait de louer leur ancien bien, type d’opération accentué par la pénurie de l’offre structurelle et par les perspectives de gains de capital escomptées.

Si les indicateurs économiques révélaient la vigueur de l’économie à cette étape, les baromètres du moral des consommateurs étaient généralement en baisse et les ménages étaient généralement lassés des mauvaises nouvelles après deux années de pandémie. L’invasion russe de l’Ukraine est venue faire augmenter encore les prix déjà en hausse, alors que les dépenses journalières, elles aussi en augmentation, accaparaient une plus large part des revenus des ménages. Nous avons commencé à constater un basculement de la psychologie du marché : les acheteurs faisaient de plus en plus preuve d’attentisme alors que les incertitudes se multipliaient et que les espoirs d’une normalisation des prix, en réaction à la hausse escomptée des taux de crédit, s’installaient.

La Banque du Canada a annoncé au début de mars son cycle de hausse des taux : si une seule et même hausse n’allait pas avoir d’impact considérable, c’est parce qu’on s’attendait à d’autres hausses, de concert avec la sensibilité accrue des taux et la détérioration de la conjoncture économique, dont l’effritement du pouvoir d’achat, la dégringolade des marchés boursiers et la hausse des coûts des intrants, que le marché s’est mis à bouger dans les mois suivants. Puisqu’il fallait emprunter toujours et encore plus pour s’offrir les prix astronomiques des logements après deux années d’augmentations intenables, les hausses marginales des taux de crédit ont eu pour effet d’augmenter relativement plus les mensualités hypothécaires et de réduire l’abordabilité des logements. C’est ce qui a accentué la réaction de la demande de logements aux hausses de taux de la Banque du Canada et à la hausse consécutive des taux hypothécaires et des seuils de contrôle de la résistance. En outre, si les ménages canadiens ont porté leur valeur nette à des hauts absolus pendant la pandémie, ils se sont aussi endettés, encouragés par les taux de crédit qui n’avaient jamais été aussi faibles et par la dette « bon marché ». C’est cette augmentation de l’endettement qui explique que les ratios de remboursement de la dette soient plus sensibles au renouvellement de ces emprunts à des taux supérieurs.

Malgré les facteurs ci‑dessus, on s’attendait à ce que l’activité du marché du logement se normalise après avoir culminé en 2021. Le niveau des ventes de l’année a fracassé des records dans les annales, après avoir sombré à son plus creux dans l’histoire moderne du Canada du point de vue de la croissance de la population, qui avait en fait été nulle. C’est pourquoi la léthargie de 2022 s’explique aussi en partie parce qu’on a avancé en 2021 les achats qui n’auraient normalement pas eu lieu par la suite.

La conjoncture de l’offre et de la demande s’est apaisée dans de nombreuses régions du pays, et le marché national du logement a basculé en territoire équilibré après avoir réagi à une multitude de facteurs. Le rythme du rééquilibrage a d’abord paru alarmant; or, il s’est progressivement modéré, pour concorder avec les attentes alors que les fondamentaux de l’offre et de la demande limitées venaient amortir le choc. Effectivement, les baisses mensuelles ultérieures des ventes s’amenuisaient chaque mois, et les ventes ont même augmenté en octobre et en décembre.

À la fin de l’année, l’activité des ventes était inférieure aux moyennes à long terme, soit plus de 25 % en deçà du record établi en 2021 et presque 38 % de moins que les niveaux de février 2022. Le ratio des ventes sur les nouvelles inscriptions et les mois de stocks cadraient tous deux mieux avec les niveaux enregistrés dans les annales. À la fin de l’année, l’IPP MLS s’établissait à 13 % de moins de son pic de février 2022, mais se maintenait à 33 % de plus que les niveaux atteints avant la pandémie (graphique 1).

C’est pourquoi nous entrevoyons toujours une certaine marge pour la baisse des prix en 2023; or, l’importance et la durée de ces baisses varient énormément parmi les villes. Jusqu’à maintenant, les rajustements de prix ont été plus importants par rapport aux creux dans les villes dans lesquelles les prix ont le plus augmenté durant la pandémie (graphique 2). Par contre, dans certaines villes, les prix ont à peine baissé depuis l’an dernier, voire pas du tout. À Calgary par exemple, les prix sont toujours en train d’augmenter et sont aujourd’hui supérieurs à ce qu’ils étaient en février 2022. La population de l’Alberta a fracassé des records d’augmentation dans l’année écoulée, en partie grâce au coût de la vie moins cher, dont les frais de logement. De même, la part des nouveaux immigrants internationaux qui s’installent dans les provinces de l’Atlantique suit une trajectoire ascendante, ce qui explique probablement que les baisses de prix soient très faibles à Moncton, après avoir explosé de 80 % depuis le début de la pandémie.

À terme, la dynamique des populations est appelée à continuer de jouer un rôle important. Nous connaissons aujourd’hui le rythme de croissance de la population le plus fulgurant en 50 ans. Le gouvernement fédéral continue de relever les cibles de l’immigration et a de plus la volonté d’augmenter l’immigration économique, ce qui donne une hausse de la croissance de la population et de la demande. Autrement dit, les déséquilibres entre l’offre et la demande qui viennent de se résorber sur le marché du logement au Canada pourraient s’infléchir si, dans le même temps, on ne progresse pas en augmentant le parc de logements offerts.