• Les Canadiens attendent toujours une mise à jour officielle sur l’état des finances et des plans budgétaires du gouvernement fédéral. On ne sait pas vraiment quand — ni même si — ils les auront avant les Fêtes. Or, ce n’est pas de bon augure.
  • À l’évidence, il faut s’attendre à une augmentation des dépenses. Le soutien du NPD a ouvert la voie à l’adoption partielle des mesures de relance du 21 novembre (1,6 G$ sur 6,3 G$), ce qui a mis fin à l’affrontement parlementaire qui durait depuis des mois. Le solde des mesures est attendu sous peu, ce qui permettra de retarder le rappel aux urnes des Canadiens.
  • Le gouvernement est sans doute empêtré dans de trop nombreuses contraintes — dont les cibles budgétaires qu’il a lui-même fixées l’an dernier — ce qui entrave sa marge de manœuvre et le soumet à des pressions qui l’amènent à dépenser afin de rester au pouvoir.
  • Le gouvernement n’est pas en bonne voie de respecter ses garde-fous budgétaires à court terme, en raison des surcoûts même si la croissance économique est supérieure aux attentes. Ce qui laisse entendre qu’il faudra probablement — et rapidement — adopter des mesures pour accroître les recettes.
  • Il y a des mesures très vraisemblablement légitimes et potentiellement dispendieuses qui viennent compliquer encore la situation — soit aussi bien les investissements militaires que les baisses d’impôts pour les sociétés ou les réserves pour alléger la conjoncture commerciale. Les Canadiens seront appelés à y réfléchir à la veille des années potentiellement tumultueuses qui s’annoncent.
  • Il pourrait ou non y avoir bientôt une mise à jour officielle. (Et comme l’ont constaté les Canadiens à la fin de novembre, cela n’empêche pas le gouvernement de continuer de dépenser.) Cette mise à jour ne plaira certes pas à tout le monde.
  • Intuitivement, nous nous attendons à ce que la plupart des économistes tombent dans le piège d’un autre plan budgétaire dans lequel le gouvernement pourrait finir par dépenser et taxer un peu. Nous ne pensons pas qu’il fera éclater ses propres garde-fous à court terme ne serait-ce que pour des raisons politiques; or, les garde-fous des exercices budgétaires ultérieurs pourraient être en jeu en raison de la léthargie de la croissance. Dans cette note, nous faisons état de ce que le gouvernement pourrait faire (ou de ce qu’il fait effectivement) qu’il y ait ou non une mise à jour de l’automne (graphiques 1 et 2).
  • Alors que l’on constate un ralentissement de l’inflation et une détente de la capacité excédentaire, les largesses budgétaires soutenues des différents paliers de gouvernement amèneront les gendarmes de la banque centrale à faire preuve de vigilance. Or, les nouvelles dépenses incrémentielles sont encaissées dans un paysage conjoncturel (et de réseaux sociaux) bondé.
  • La conjoncture mondiale est truffée d’incertitude, ce qui donne de larges fourchettes prévisionnelles pour les perspectives économiques et budgétaires du Canada. L’austérité est de mise : il faut freiner les pressions de dépenses incrémentielles, en se consacrant plus énergiquement à réduire l’empreinte de l’État et à préparer le trésor de guerre pour les années potentiellement tumultueuses à l’horizon.
  • Hélas, les récentes annonces nous indiquent que l’activisme budgétaire devra se poursuivre avec les élections qui se dessinent. Or, nous nous consacrons toujours à mener la bataille entamée hier plutôt qu’à préparer celle qui s’en vient. 
Graphique 1 : L'équilibre projeté du budget fédéral; Graphique 2 : La dette nette projetée du gouvernement fédéral

LES TEMPS CHANGENT

On ne sait pas vraiment quand — ni même si — les Canadiens auront droit à un compte rendu sur les finances fédérales d’ici la fin de l’année. La déclaration annuelle du milieu de l’année est généralement publiée en novembre à court préavis; or, il n’y a toujours pas d’indice sur la date. Selon la rumeur, il se pourrait même qu’il n’y en ait pas du tout. Or, il ne faut pas encore écarter cette possibilité même si le ministre des Finances reste coi. L’incertitude pandémique avait repoussé au 14 décembre le compte rendu de 2021, alors que les élections de 2019 l’avaient retardé jusqu’au 16 décembre. Les négociations de couloir et les révisions rapides apportées au profil de dépenses sont probablement les raisons qui expliquent ce retard aujourd’hui.

Le gouvernement a déjà abattu ses cartes pour laisser entrevoir une augmentation des dépenses. Il a annoncé le 21 novembre un programme de relance généralisé de 6,3 G$, qu’il a ramené à 1,6 G$ quand le projet de loi a été déposé la semaine suivante pour en accélérer l’adoption. Le NPD s’est prononcé en faveur de l’adoption d’une partie des mesures de relance, ce qui a mis fin à l’obstruction systématique qui paralysait depuis des mois tous les débats parlementaires. Le NPD a précisé clairement que son vote en faveur du reste de ce programme serait conditionné à ses propres demandes, ce qui augmenterait encore les dépenses. Puisqu’il faut bientôt s’attendre à des élections, sa liste de vœux est beaucoup plus longue qu’une extension de la campagne des chèques de 250 $. Et ce projet de loi de la fin de novembre nous a appris que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de compte rendu qu’on ne peut pas dépenser davantage.

Les pressions qui s’exercent sur les dépenses télégraphient des risques pour l’autre colonne du grand livre. Les comptes rendus budgétaires sont depuis quelques années plutôt uniformes. Les dépenses déjà annoncées font partie d’un plan de recettes attentivement mis au point qui permet de faire baisser à moyen terme la trajectoire budgétaire tendancielle (graphique 3). Cette fois, les cibles budgétaires laissent une marge de manœuvre limitée (voire nulle) pour les nouvelles dépenses nettes à court terme, ce qui nous mène à rester aux aguets des nouvelles mesures d’accroissement des recettes annoncées (et le contrôle plus rigoureux des dépenses n’apportera pas de répit assez tôt).

Graphique 3 : Pour compenser les nouvelles dépenses dans la Mise à jour?

Nous avançons une prévision pour un programme de dépenses brutes de l’ordre de 20 G$ dans la mise à jour qui finira par être déposée (ce qui donne un chiffre net de 15 G$). Ce programme relèverait marginalement le résultat opérationnel à l’horizon, en respectant essentiellement ses garde-fous. Même si ce programme est appelé à encaisser quelques répercussions économiques (et à rendre probablement encore plus ambivalents les électeurs), nous serions incrédules si le gouvernement devait balayer ses propres cibles budgétaires à court terme après les avoir fixées depuis moins d’un an, à l’heure où la conjoncture économique récente surpasse les attentes. Or, nous ne serions guère étonnés de constater que les cibles du déficit à moyen terme soient assouplies sous prétexte d’un ralentissement de la croissance, tout en continuant de suivre la trajectoire descendante de la dette. (Cf. l’Encadré 1 : Justification des chiffres pour prendre connaissance des détails de nos hypothèses.)

Par ailleurs, notre confiance a des limites. Les marges d’incertitude sur les perspectives économiques et budgétaires sont particulièrement larges. Impossible, essentiellement, de connaître les impacts de la deuxième présidence de M. Trump, qui sont toutefois orientés à la baisse pour le Canada dans la plupart des scénarios. À elle seule, l’incertitude généralisée pourrait éroder de 0,7 % à terme le PIB canadien, alors que les querelles commerciales prolongées pourraient être bien pires et pourraient éventuellement avoir des incidences sur les taux d’intérêt. L’incertitude suscitée en deçà de nos frontières pour ce qui est de la trajectoire de la population du Canada vient encore assombrir l’horizon prévisionnel.

Il faudra donc être encore plus circonspect dans l’établissement d’un plan budgétaire. Le budget 2024 reposait sur une embellie à l’horizon : le PIB réel devait s’établir à une moyenne légèrement supérieure à 2 %, et l’offre de travailleurs devait se chiffrer à 0,9 % par an sur l’horizon prévisionnel. Les propres points sensibles budgétaires du gouvernement laissent entendre qu’un choc d’un point de pourcentage sur le PIB réel pourrait rogner environ 25 G$ sur cinq ans le solde budgétaire avant de comptabiliser toute dépense discrétionnaire. Ou encore, une hausse soutenue de 100 points de base des taux d’intérêt pourrait mener à une détérioration plus proche de 30 G$ sur cinq ans. Ces perspectives sont plausibles dans le contexte d’aujourd’hui.

ATTENTION AUX VENTS CONTRAIRES

L’économie canadienne s’apprête à affronter la prochaine tempête sur des assises relativement solides. La croissance plus forte qu’attendu en 2024 (par rapport à l’époque du budget) apporte un acquis plus solide, alors qu’une modération soutenue de l’inflation ouvre la voie à d’autres baisses du taux directeur de la Banque du Canada. Des signes timides permettent de penser que les secteurs vulnérables aux taux commencent à réagir, les marchés du travail se révèlent résilients et, de concert avec l’épargne refoulée sur la touche, la reprise émergente devrait continuer de prendre de la vitesse. Le rétablissement de l’équilibre budgétaire primaire général de l’État permet aussi d’expliquer l’amenuisement escompté de l’écart de production (graphique 4). 

Graphique 4 : La politique budgétaire déja amorcée

Une offensive budgétaire importante risque de faire basculer défavorablement ce délicat équilibre entre l’offre et la demande. Il est à nouveau de plus en plus difficile d’amortir isolément les impacts budgétaires. Les récentes mesures de relance fédérales devraient (finalement) se chiffrer à au moins 6,3 G$ (0,2 % du PIB), pour se hausser à 0,3 % lorsque l’Ontario enverra ses chèques de 200 $. Ces deux mesures se répercutent sur l’économie au cours d’une durée de quelques mois à peine. Et elles s’étendront — au moins pour certaines — aux secteurs dans lesquels l’offre de travailleurs pourrait être fortement réduite. En supposant que les baisses de TPS finiront par devenir permanentes et que les provinces seront épargnées (1,6 G$ qui commencent à se rapprocher à ~8 G$) et que les chèques de 250 $ s’étendront à une clientèle plus vaste (4,7 G$ qui commencent à ressembler à ~6,5 G$), la facture brute frôle 0,6 % du PIB. Il y a de bonnes chances qu’on annonce d’autres mesures — dans une mise à jour budgétaire, ou sinon en prévision des élections (graphique 5). 

Graphique 5 : Les élections redessinent l'horizon budgétaire

La Banque du Canada sera à nouveau protégée contre le risque de l’État. Même si on suppose un faible multiplicateur de 0,2 (la plus grande partie est thésaurisée) l’impulsion budgétaire des récentes déclarations se situe toujours à lui seul aux alentours de 0,1 % et se répercute essentiellement sur le parcours de la Banque du Canada dans le premier semestre de 2025, au cours duquel le consensus guide par ailleurs d’autres baisses de 125 points de base. Une règle empirique brute laisse entendre qu’une hausse soutenue de 25 points de base neutralise environ 0,1 point de pourcentage de la croissance. Isolément, l’offre excédentaire actuelle pourrait encaisser une partie du choc; or, une multitude d’autres pressions potentiellement inflationnistes à l’horizon penchent cumulativement en faveur de baisses de taux moins nombreuses ou plus lentes à terme : des dépenses préélectorales (plus importantes), une fructueuse saison sur le marché du logement, les réductions potentielles dans la population active, et bien entendu, les guerres commerciales potentiellement inflationnistes.

La Banque du Canada n’aura probablement pas beaucoup de précisions sur ce robinet de dépenses en prévision de sa décision du 11 décembre sur les taux d’intérêt. En supposant qu’une mise à jour budgétaire n’est pas déposée dans la semaine, les dépenses de l’État s’en tiendront probablement, pour l’heure (du moins officiellement), à la « tranche de risque ». La banque centrale devrait avoir plus de précisions pour sa décision du 29 janvier, puisque les hypothèses seront consignées intégralement dans son Rapport trimestriel sur la politique monétaire.

ACHETER MAINTENANT, PAYER PLUS TARD

Le Canada aura sans doute besoin d’utiliser sa puissance de feu budgétaire dans l’avenir rapproché — ou voudra sans doute le faire. Les négociations commerciales hâtives pourraient obliger à consentir d’importantes concessions plus tôt que plus tard. Stratégiquement, le Canada pourrait accélérer son engagement de 2 % dans le cadre de l’OTAN et l’avancer à 2030 plutôt qu’à 2032 (ce qui cadre avec une vision encore plus ambitieuse, promue par le Conseil canadien des affaires), ce qui pourrait donner lieu à des coûts budgétaires de l’ordre de dizaines de milliards de dollars (graphique 6; cf. les détails dans l’Encadré 1). Il faudrait peut-être comptabiliser des ordres de grandeur comparables pour les baisses d’impôts des sociétés afin de préserver (au lieu d’éroder encore plus) la compétitivité avec tous les changements intervenus aux États-Unis. Ou encore, le gouvernement fédéral pourrait encourager les provinces à démanteler les barrières commerciales internes (~15 G$), ce qui pourrait rapporter encore plus si on érigeait des barrières dans les circuits externes.  Le Canada doit aussi probablement commencer à constituer une réserve commerciale afin de compenser éventuellement les pires répercussions d’une guerre commerciale à grande échelle. La liste pourrait sans nul doute s’allonger encore.

Graphique 6 : Répondre aux ambitions militaires

Les dépenses risquent aujourd’hui de refouler les investissements stratégiques en cours de route. Hormis une crise pure et simple, il pourrait être risqué de flirter avec une trajectoire de dette basculant à la hausse (à moins d’être les États-Unis). Dans une conjoncture économique plus clémente, il ne devrait pas être très difficile de veiller à ce que la dette fédérale du Canada en pourcentage du PIB baisse à moyen terme. Selon nos attentes actuelles (et provisoires) (soit un PIB un peu plus faible et des dépenses légèrement supérieures), on peut dégager une marge de manœuvre d’environ 40 G$ dans l’espace budgétaire pour veiller à ce que le basculement reste marginalement orienté à la baisse. Or, cet espace disparaît rapidement même selon des niveaux plus modérés de surtension économique.

Les coûts du remboursement de la dette sont assujettis à des facteurs essentiellement exogènes. La charge de la dette devrait normalement se stabiliser à des niveaux toujours aussi faibles selon les normes statistiques (1,2 % du PIB dans l’EF 2024, soit 10,2 % des revenus); elle se fonde toutefois sur le rendement à 10 ans des obligations du gouvernement du Canada qui devrait rester essentiellement le même que ce qu’il est aujourd’hui — sans augmenter les dépenses discrétionnaires (graphiques 7 et 8). Il y a probablement aussi des considérations économiques politiques qui font que ce poste de dépenses croissant vient effacer les transferts fédéraux dans le domaine de la santé cette année. On ne sait toujours pas si la politique commerciale de M. Trump aura des ramifications; or, elle traversera effectivement les frontières dans les marchés obligataires mondiaux.

Graphique 7 : Rendement des obligations du Canada à 10 ans; Graphique 8 : Faible marge de manoeuvre : le remboursement de la dette canadienne

Les niveaux d’endettement comparatifs du Canada sont honnêtes; or, il n’y a pas de quoi triompher. Le Canada peut toujours affirmer que ses positions budgétaires nettes sont toujours les moins mauvaises des pays comparables du G7 (graphique 9); or, sa banque centrale n’a pas le profil des grands joueurs. Les niveaux bruts comptent plus en période de surtension dans les cas où leur rendement relatif se situe au milieu du peloton (graphique 10). Sa position s’amoindrit encore par rapport aux pays comparables notés AAA, qui sont essentiellement d’autres économies ouvertes et modestes (graphiques 11 et 12). 

Graphique 9 : La dette nette générale des États du G7
Graphique 10 : La dette brute générale des États du G7
Graphique 11 : La dette nette générale des États; Graphique 12 : La dette brute générale des États

Les pays qui envient le Canada à l’heure actuelle sont probablement peu nombreux. Hormis une économie arrimée à une conjoncture contemporaine inégale, le pays a ses propres déséquilibres structurels qui placent la croissance et la dette à risque à long terme. Sa productivité est exécrable. Les dépenses des programmes fédéraux en pourcentage du PIB sont structurellement supérieures et doivent encore basculer à la baisse, ce qui ferait peser une pression encore plus lourde sur les mesures productives de revenus — et ce qui cible essentiellement les facteurs mêmes qui portent la croissance (graphique 13). Les déséquilibres perdurent dans l’ensemble des paliers de gouvernement et au sein des gouvernements dans un environnement polarisé dans lequel tout revient à un échec massif de concertation. Malgré les dépenses soutenues dans les différents paliers de gouvernement au cours des dernières années, la liste des déficits économiques, infrastructurels et sociaux est toujours aussi longue. Il est improbable qu’une mise à jour budgétaire s’attaque au cœur même de ces enjeux. 

Graphique 13 : La hausse structurelle des dépenses

PERDU DANS LE REMANIEMENT

Une mise à jour budgétaire finirait par être encaissée dans un marché bondé. Les dépenses sont bien canalisées, avec ou sans mise à jour budgétaire officielle. La grande nouvelle a probablement été annoncée dans la déclaration du 21 novembre, et les brèves réactions des marchés ont vite été éclipsées par les menaces commerciales et la léthargie perçue des chiffres sur le PIB canadien. En supposant que cette mise à jour budgétaire n’est pas déposée avant la décision que rendra la Banque du Canada le 11 décembre sur les taux d’intérêt, la prochaine date charnière du 29 janvier paraît plutôt lointaine. Elle pourrait très bien tomber la veille de la prochaine décision sur les taux de la Réserve fédérale le 18 décembre, auquel cas l’attention de la plupart des observateurs des marchés sera monopolisée par ce qui se déroule au sud de notre frontière.

Puisqu’on annoncera bientôt des élections au Canada, la plupart des nouvelles devraient de toute manière être éclipsées. Les règles seront remaniées dans la foulée de la campagne. Tous les partis politiques devraient aiguiser leurs crayons. Le Canada est une petite économie ouverte dans un paysage mondial qui change à vive allure. Il devra probablement consentir certaines concessions — qui pourraient être coûteuses — dans un avenir assez proche pour garder le cap. Préserver stratégiquement sa puissance de feu budgétaire serait (et aurait été) ce qu’il y a de mieux à faire, en consacrant une attention finie à la préparation du trésor de guerre en prévision des temps potentiellement tumultueux à l’horizon.

ENCADRE 1 : JUSTIFICATION DES CHIFFRES DANS UNE MISE A JOUR BUDGETAIRE FANTOME

Si le gouvernement finit par déposer une mise à jour budgétaire, nous nous attendrions à une détérioration d’environ 40 G$ du résultat opérationnel final sur l’horizon prévisionnel (EF 2025‑2029) par au budget de 2024, selon beaucoup de prévisions estimatives. Une part importante de cette détérioration s’expliquerait probablement par la léthargie des perspectives économiques (~15 G$-20 G$) malgré un acquis plus solide en 2024 (et des prévisions désactualisées qui pourraient sous-estimer les vents contraires économiques potentiels). Nous comptabilisons encore ~10 G$ pour corriger en partie le calcul des coûts présumément erronés de la cible de 2 % de l’OTAN (confirmée en juillet). (Selon le DPB ce chiffre est plus proche de 25 G$, mais nous en reparlerons dans une autre chronique.) Des nouvelles dépenses brutes de 20 G$ (dont les 6,3 G$ déjà annoncés) ne seraient guère étonnantes. En raison de la marge de manœuvre budgétaire limitée, nous parions sur d’autres mesures d’accroissement des recettes de l’ordre de 5 G$. Compte tenu du choc des déficits potentiels dans le court terme, il est improbable que d’autres mesures d’austérité des dépenses — bien qu’elles soient justifiées de plein droit — apportent des revenus à court terme considérables. (Le calcul : 15 G$ en raison de la léthargie économique, moins la correction militaire de 10 G$, moins le chiffre net de 15 G$ pour les autres dépenses nouvelles = 40 G$.)

Nous nous attendons à ce qu’une prochaine mise à jour budgétaire s’en tienne aux cibles dans le court terme, mais assouplisse les cibles du déficit à moyen terme en vertu de la clause de la crise (ou de la menace de crise) implicite. Il faut se rappeler que la mise à jour de l’automne dernier faisait état d’une série de garde-fous : des déficits égaux ou inférieurs à 40,1 G$ dans l’EF 2024 (AC 2023), en baisse par rapport au PIB dans l’EF 2025 et dans les exercices ultérieurs, et de moins de 1 % dans l’EF 2027 et dans les exercices suivants. Le gouvernement s’était aussi engagé à respecter, dans l’EF 2025, un ratio d’endettement inférieur à 42,7 % et appelé à baisser par la suite.

Nous nous attendons à ce que le résultat de l’EF 2024 soit légèrement inférieur à la cible. Les comptes de l’an dernier ne sont pas encore clos — et le Moniteur budgétaire situe le solde préliminaire à ‑50,9 G$ —, or, les redressements ex poste sont assez courants. Il faut s’attendre à des révisions rétrospectives des recettes, à des rajustements de compte pour la chronologie des nouveaux accords de transfert bilatéraux qui chevauchent différents exercices budgétaires, et éventuellement à des basculements imprévisibles des passifs éventuels, pour que le résultat soit égal à 40,1 G$ (1,4 % du PIB) dans l’EF 2024. Nous sommes à peine convaincus que le gouvernement respectera les indicateurs à court terme, essentiellement parce que nous ne croyons pas qu’il abandonnera ces cibles, fixées il y a un an à peine, malgré la conjoncture économique dont le rendement déjoue essentiellement les attentes.

Il faudra certains efforts (ou des contraintes) pour atteindre la cible de l’EF 2025. L’activité économique réelle de 2024 surpasse les précédentes projections au moment du budget (0,7 % contre le consensus actuel de plus de 1 %) et les recettes en milieu d’année sont légèrement supérieures (7,6 % en cumul depuis le début de l’année jusqu’en septembre); or, les dépenses sont elles aussi élevées (11,2 %). Ainsi, les prévisions budgétaires précédentes seraient probablement emportées avant même de tenir compte des nouvelles dépenses. Les nouvelles mesures, dont le récent congé de TPS de 1,6 G$ pourrait venir ajouter ~3 G$ dans l’EF 2025. Il faut encore potentiellement compter un déficit de quelques milliards de dollars — et un poste à surveiller — pour maintenir le déficit à un peu moins de 1,4 % du PIB (graphique 14). Il est probable que le gouvernement reporte les chèques de 250 $ au prochain exercice budgétaire (qui commence le 1er avril).

Graphique 14 : Ce qui va colmater la brèche dans l'EF 2025

Par la suite, c’est un jeu de dupes. Nous comptabilisons, sur l’horizon prévisionnel, de nouvelles dépenses modestes, qui viennent détériorer des perspectives de croissance déjà amoindries, ce qui donne une trajectoire budgétaire légèrement plus expansive sur l’horizon prévisionnel, puisqu’une autre année vient s’ajouter à ces prévisions. La cible de déficit de 1 % dans le moyen terme pourrait baisser (en réduisant orientationnellement la dette) en raison des vents contraires économiques. Il va de soi qu’on peut s’attendre dans l’ensemble à un ralentissement économique plus sérieux. Ou encore, lorsque le bref électoral sera délivré. 

Tableau 1 : Les projections budgétaires