La fabrication des microprocesseurs, qui rendent possible toute la technologie moderne (des téléphones aux voitures, des centrales électriques aux systèmes de défense, et presque tout ce dont dépend notre vie quotidienne), nécessite des centaines de minéraux.
Ces minéraux dits « critiques » en raison du rôle clé qu’ils jouent (p. ex., le graphite et le gallium) sont extraits dans différents pays du monde. Toutefois, au cours des dernières décennies, la Chine s’est imposée en maître du traitement et du raffinage de nombre d’entre eux, et ce, tout en disposant elle-même d’importantes réserves. De plus, l’aggravation des tensions commerciales et d’autre acabit entre la Chine et l’Occident a mis en lumière un problème de plus en plus urgent : la vulnérabilité de l’Occident advenant que la Chine décide de tirer parti de sa dominance.
Dans un récent article de recherche qui prédit «la guerre des puces» à venir, le Center for Strategic and International Studies, un groupe de réflexion basé à Washington, plaide en faveur d’une réponse coordonnée de l’hémisphère occidental afin qu’il dépende moins de la Chine.
Le rapport, réalisé avec le soutien de la Banque Scotia, expose en détail l’objectif de la Chine (soit dominer le secteur des minéraux critiques pour créer une industrie des semi-conducteurs de premier plan au niveau mondial) et les tensions croissantes entre l’Empire du Milieu et les États-Unis à ce sujet. Les auteurs examinent également le «potentiel de perturbation» que représente la position dominante de la Chine sur cinq minéraux critiques pour lesquels il n’y a aucun substitut facile d’accès et expliquent en quoi une réponse coordonnée des pays de l’hémisphère occidental partageant les mêmes valeurs pourrait contribuer à atténuer les répercussions potentielles sur la chaîne d’approvisionnement.
«Il nous faudra du temps, des efforts et des politiques publiques mûrement réfléchies pour diminuer graduellement l’importation de certains minéraux critiques en provenance de la Chine, et ainsi renforcer la première partie de la chaîne d’approvisionnement visant à fabriquer des semi-conducteurs», a déclaré Ryan Berg, directeur du programme des Amériques du CSIS et l’un des auteurs du rapport, lors d’une entrevue.
Les chaînes d’approvisionnement en subissent déjà les conséquences
Les tensions entre la Chine et l’Occident se ressentent déjà sur les chaînes d’approvisionnement en microprocesseurs, et ce, dans les deux sens. Les États-Unis ont pris des mesures pour restreindre l’accès de la Chine aux technologies avancées de fabrication de semi-conducteurs tandis que la Chine a limité l’exportation de certains minéraux critiques, tels que le gallium, le germanium et le graphite.
Le rapport du groupe de réflexion mentionne que : «La dépendance de l’Occident à l’égard des minéraux chinois est inquiétante, car elle risque de mettre en péril l’équilibre entre l’offre et la demande. La sécurité d’approvisionnement en minéraux critiques consacrés à l’industrie des semi-conducteurs n’est pas seulement nécessaire pour le secteur privé, c’est aussi une question de sécurité et de défense nationales. »
Selon le rapport, il est peu probable qu’un pays puisse fabriquer des microprocesseurs en mode autarcique, même pour les États-Unis. Cela dit, l’Occident pourrait devenir beaucoup plus résilient en renforçant, entre autres, les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques du continent américain et au-delà.
Toujours d’après le rapport : «Bien que l’hémisphère occidental ne soit peut-être pas encore prêt à réduire les goulots d’étranglement en place, il peut contribuer à résoudre le problème actuel. En raison de ses riches réserves minérales et de sa main-d’œuvre hautement qualifiée, cette région est d’une importance capitale pour réussir toute stratégie de réduction des risques.»
Les Amériques disposent de réserves de nombreux minéraux critiques, notamment le cuivre, le spath fluor et la bauxite (utilisée pour produire de l’aluminium, dont le traitement fournit du gallium en tant que sous-produit). Cependant, leur capacité de traitement et de raffinage est limitée.
Il est essentiel de rapatrier les capacités de traitement dans l’hémisphère occidental
La Chine a établi sa domination dans les domaines du raffinage et de la minéralurgie d’une part parce qu’elle pouvait effectuer le travail à moindre coût et d’autre part, parce que les pays occidentaux n’étaient pas disposés à endosser les coûts environnementaux potentiellement importants.
Le développement de cette capacité serait coûteux et son essor nécessiterait des subventions substantielles de la part des pays riches. Néanmoins, cela serait avantageux sur l’ensemble de l’hémisphère.
«Le retour des capacités de traitement dans l’hémisphère occidental promet donc non seulement de contribuer à contrer l’influence de la Chine sur les chaînes d’approvisionnement en semi-conducteurs, mais aussi d’aider les pays d’Amérique latine de progresser dans le domaine de la fabrication à valeur ajoutée », indique le rapport.
«Alors que des pays comme le Chili, le Pérou et le Brésil exportent actuellement une grande partie de leurs minéraux bruts vers la Chine afin d’y être traités, le renforcement des capacités de raffinage nationales permettrait à ces pays d’exporter des matériaux finis.»
«Les nouvelles activités de raffinage ont beaucoup de mal à émerger parce que la Chine domine dans ce secteur. Cette mainmise lui permet de contrôler les prix et d’empêcher les nouvelles raffineries d’entrer en concurrence», a expliqué M. Berg. D’où la nécessité du soutien de l’État.
«Il n’y a vraiment aucun moyen de percer le marché à moins de pouvoir subventionner l’industrie afin qu’elle puisse au moins prendre son envol, a-t-il insisté. Elle nécessite l’aide de l’État et des politiques publiques afin de se stabiliser, sinon elle ne sera pas concurrentielle.»
Des intérêts mutuels dans tous les domaines
Il est fondamental d’impliquer le secteur privé, selon M. Berg. Bien que la participation de l’État soit probablement nécessaire pour réaliser l’investissement initial là où le secteur privé pourrait être plus hésitant, l’objectif devrait toujours être de passer le relais au secteur privé lorsque c’est possible.
«Je crois que le rôle des politiques publiques est de poser constamment la question suivante : qu’est-ce qui a empêché le secteur privé d’investir davantage dans ce domaine? Comment pouvons-nous utiliser les politiques publiques dans le but d’atténuer certaines de ces préoccupations?»
M. Berg estime qu’il faudra engager de «grandes discussions» dans l’Ouest sur l’importance de l’exploitation des minéraux critiques et sur la manière d’utiliser les outils à sa disposition pour accroître la capacité d’extraction et de traitement. Cela implique de reconnaître les conséquences environnementales de ces pratiques.
«La façon d’obtenir ces matières supplémentaires n’est pas toujours noble, mais l’avenir que nous voulons bâtir grâce à elles est, avec un peu de chance, bien plus agréable», a-t-il déclaré.
Malgré tous les défis inhérents à la création d’une chaîne d’approvisionnement en minéraux critiques et en microprocesseurs plus sûre et plus résiliente, M. Berg reste confiant en l’avenir et pense que des pays amis partageant les mêmes valeurs peuvent s’unir pour les relever.
«Je suis optimiste, car je pense qu’il existe des intérêts mutuels dans tous les domaines», a-t-il soutenu. Les pays d’Amérique latine disposent de l’exploitation minière, mais souhaitent raffiner davantage les minéraux localement, alors que les pays d’Amérique du Nord veulent accroître la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des utilisateurs finaux.
«Les intérêts concordent. En ce qui concerne l’Amérique du Nord, je suis encore plus optimiste, car nous avons l’ACEUM et le Sommet des leaders nord-américains. Nous pouvons utiliser tous ces outils binationaux et trinationaux avec nos partenaires commerciaux les plus proches, comme le Canada et le Mexique.»