Il s’agit d’une année charnière pour la finance durable, les obligations vertes étant en passe d’établir un possible record mondial dans le contexte d’une vague d’élections susceptibles de réorienter les politiques ESG dans de nombreux pays, déclare Fanny Doucet, directrice générale et chef, Finance durable à la Banque Scotia.
Au mois de mai seulement, les émissions d’obligations vertes ont atteint 70 milliards de dollars américains, soit le mois de mai le plus actif jamais enregistré, a affirmé Mme Doucet lors d’une récente conférence à Toronto.
Par ailleurs, plus de 60 pays organisent des élections nationales en 2024, et les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) sont au cœur des débats politiques, a fait remarquer Mme Doucet.
«Les facteurs ESG sont certainement un sujet incontournable, selon elle. Il y a beaucoup de politiques qui sont potentiellement en jeu.»
Mme Doucet s’exprimait à l’occasion du Sommet annuel sur la durabilité et les facteurs ESG de la Banque Scotia, qui s’est tenu pendant deux jours en juin. L’événement a rassemblé des dirigeants de divers secteurs de l’économie mondiale, notamment des cadres de Brookfield Asset Management, de Cameco, du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID), de CEMEX, de Fibra UNO, de Hydro One, de Microsoft et de Teck Resources. Au cours du sommet, qui en était à sa sixième édition, les présentations et tables rondes ont abordé divers sujets, comme la transition énergétique, l’énergie nucléaire en tant que voie d’avenir, la finance durable et l’infrastructure du marché du carbone.
Au cours de sa présentation, Mme Doucet a donné un aperçu du contexte de la finance durable et a mis en évidence les tendances ESG principales et émergentes.
1) Les élections pourraient entraîner des changements dans les politiques ESG
Mme Doucet a fait remarquer qu’au moins 64 pays organisent des élections cette année, notamment l’Union européenne et les États-Unis, qui pourraient entraîner des changements politiques majeurs en matière de politique ESG.
Par exemple, lors des récentes élections au Parlement européen, le parti des Verts a perdu quelques sièges, ce qui soulève des questions sur les conséquences pour le pacte vert européen et les futures politiques de développement durable.
En outre, les résultats des prochaines élections américaines pourraient avoir des répercussions sur la loi sur la réduction de l’inflation, la loi sur le climat phare du président Joe Biden, qui a fait l’objet d’une forte opposition de la part des Républicains.
«Cette année étant une année électorale importante, les mouvements politiques en matière d’ESG se sont multipliés», Mme Doucet a-t-elle déclaré.
Mme Doucet a fait remarquer que si 18 États américains ont adopté des lois anti-EGS depuis le début de l’année 2020, six États ont adopté des lois pro-EGS, dont la Californie.
«Il y a certainement un grand fossé, et je pense qu’il va s’élargir», a-t-elle affirmé.
2) Les gouvernements ouvrent la voie aux facteurs ESG et à la finance durable
Dans le monde entier, les déclarations relatives au développement durable – qui procurent au marché de l’information sur les caractéristiques environnementales et sociales d’une entité ou d’un produit financier donné – gagnent en adoption, de nombreux pays prenant des mesures pour imposer des déclarations conformes aux normes du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB). Ces exigences de déclaration peuvent aider à guider les entreprises dans leur propre parcours de finance durable, en renforçant l’alignement stratégique interne en matière d’ESG.
Dans le même temps, les États et les agences gouvernementales se tournent de plus en plus vers le financement durable. Le développement continu des taxonomies nationales, qui définissent les activités ayant des incidences environnementale et sociale, aide à préparer le terrain pour que ces émetteurs puissent promouvoir efficacement leur développement durable sur les marchés des capitaux.
Par exemple, dès 2024, le Canada a émis sa deuxième émission d’obligations vertes, l’Australie a émis sa première émission d’obligations vertes et le Japon a émis sa première émission d’obligations de type ESG pour la transition climatique, a indiqué Mme Doucet.
«Les gouvernements montrent vraiment la voie en affirmant que la finance durable est un outil utile pour eux et en montrant l’exemple aux entreprises et aux émetteurs financiers de leur pays», a déclaré Mme Doucet.
3) Disparité régionale dans l’appétit pour la finance durable
La popularité des obligations de type ESG varie considérablement d’une région à l’autre.
L’Europe est un chef de file dans ce domaine en termes de volume global, comptant environ de 15 à 20 % des émissions d’obligations de société et d’institutions financières étant de type ESG, qu’elles soient vertes, sociales, durables ou liées à la durabilité, a noté Mme Doucet. Le Canada se situe dans les cinq premiers rangs sur ce plan, mais les États-Unis ont vu l’émission d’obligations de type ESG diminuer, a-t-elle ajouté. Elles représentaient environ 7 % des émissions lors du récent pic du marché de la finance durable en 2021, mais se sont rapprochées de 3 % au cours des deux dernières années.
«Cela est tout à fait logique si l’on considère le contexte politique aux États-Unis», Mme Doucet a-t-elle déclaré.
Le Mexique donne espoir. Par exemple, près d’un quart des émissions d’obligations sur le marché local mexicain sont de type ESG, toujours du côté des sociétés et des institutions financières. Si l’on tient compte des obligations souveraines, supranationales et d’agences, ainsi que des banques de développement, les obligations de type ESG représentent environ la moitié des émissions au Mexique, selon Mme Doucet.
Les investisseurs deviennent plus connaisseurs et exigent davantage des entreprises.
«L’Amérique latine a vraiment pris les devants et nous la considérons comme une plaque tournante de l’innovation en matière de produits financiers durables», a déclaré Mme Doucet.
Au mois de mars 2022, le Chili a placé sa première obligation liée au développement durable, un instrument à revenu fixe dont les caractéristiques financières ou structurelles, comme le taux d’intérêt, sont liées à des objectifs de développement durable prédéfinis. Elle est devenue le premier pays au monde à émettre une dette souveraine de ce type et, en juin 2023, le premier émetteur souverain d’obligations liées au développement durable à inclure un IRC social.
En outre, la première obligation verte et liée au développement durable des Amériques a été émise par Inversiones CMPC, un fournisseur de produits de papier d’Amérique latine, au mois de juin 2023. Ces instruments combinent l’utilisation du produit et des caractéristiques liées au développement durable, le produit étant utilisé pour des projets environnementaux désignés et le taux d’intérêt étant également lié à des objectifs prédéfinis en matière de développement durable.
4) Les facteurs, les indicateurs et les rapports ESG arrivent à maturité
Les investisseurs eux-mêmes deviennent de plus en plus connaisseurs.
Au départ, a expliqué Mme Doucet, le marché était très axé sur certains facteurs, comme la diversité et l’inclusion, et les émissions de portée 1 et 2, qui se réfèrent aux émissions directes de gaz à effet de serre (GES) associées aux activités d’une organisation.
«Elles sont actuellement considérées comme une base de référence pour les grandes entreprises.»
Les rapports comprennent désormais des facteurs plus approfondis, comme l’économie circulaire, les émissions de portée 3, qui se réfèrent aux émissions de GES résultant d’activités qui ne sont pas exercées ou contrôlées par l’organisation, mais qui font partie de sa chaîne de valeur globale, ainsi que la nature et la biodiversité.
«Les investisseurs deviennent plus connaisseurs et exigent davantage des entreprises», a expliqué Mme Doucet, soulignant que les investisseurs examinent désormais plus largement les profils ESG et les stratégies de durabilité des entreprises, et ne s’arrêtent pas à l’étiquette de finance durable, lorsqu’il s’agit d’évaluer les obligations de type ESG.
5) Une demande croissante, en particulier pour les obligations vertes
Le plafonnement des flux mondiaux de fonds durables a fait l’objet de discussions, mais un examen plus approfondi des données révèle une situation plus nuancée.
Le marché américain des actions pour certains actifs, comme les technologies propres ou les énergies renouvelables, a été touché par des facteurs macroéconomiques tels que la hausse des taux d’intérêt et les pressions sur la chaîne d’approvisionnement, mais les fonds à revenu fixe ont été «très résistants», a déclaré Mme Doucet.
Selon les données obtenues par Morningstar et EPFR, au premier trimestre 2024, les fonds d’actions américaines présentant des caractéristiques durables ou ESG ont enregistré des entrées nettes au cours d’un seul des huit trimestres précédents, tandis que les fonds de titres à revenu fixe américains présentant des caractéristiques durables ou ESG ont enregistré des entrées nettes au cours de cinq des huit trimestres précédents.
«Beaucoup d’argent continue d’affluer dans les fonds ESG à revenu fixe, et pas seulement en Europe, mais dans toutes les régions, y compris aux États-Unis.»
La demande d’obligations de type ESG augmente également. Une récente enquête de la Banque Scotia sur les titres à revenu fixe ESG a montré que 60 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles prévoyaient d’augmenter leur répartition dans les instruments ESG.
«La situation est positive du côté des placements, a expliqué Mme Doucet. Les investisseurs placent davantage de fonds dans ces instruments.»
Pourtant, du côté de l’offre, les émissions sont restées stables, a-t-elle noté.
«Il y a un certain déséquilibre entre l’offre et la demande, a déclaré Mme Doucet. L’augmentation de l’offre ne correspond pas à l’augmentation de la demande pour ces types de produits.»