Touché par la pénurie de semiconducteurs, l’irrégularité de la demande et les difficultés d’approvisionnement, le secteur de l’automobile au Canada a traversé bien des épreuves au cours des dernières années. Notre invitée dans le cadre de ce balado est Laura Gu, économiste à la Banque Scotia. Elle répondra à nos questions sur le marché de la location d’automobile et le secteur de l’automobile canadien, et nous expliquera pourquoi le prix des automobiles d’occasion affiche une hausse de plus de 50 % depuis le début de la pandémie.

Stephen Meurice: Avez-vous cherché à acheter une automobile dernièrement? Si oui, certains détails ont sûrement retenu votre attention. D’abord, les prix sont en hausse. Par exemple, ceux des véhicules d’occasion ont augmenté de plus de 50 % depuis le début de la pandémie et l’offre en véhicules d’occasion se tarit.

Des pénuries de micropuces, une demande instable, des difficultés d’approvisionnement : le secteur de l’automobile au Canada a traversé bien des épreuves.

Où en sommes-nous aujourd’hui? Est-ce que le nouveau VUS qui vous plaît sera disponible? Et aurez-vous les moyens de vous l’offrir? Et qu’arriverait-il s’il vous fallait louer une automobile durant le temps des fêtes? Et qu’est-ce que c’est au juste, une pénurie de micropuces?

Nous nous entretenons aujourd’hui avec Laura Gu, économiste à la Banque Scotia. Elle répondra à nos questions et fera le point sur le secteur de l’automobile au Canada.

Je me présente, Stephen Meurice, et bienvenue à Perspectives.

Laura, merci d’avoir accepté notre invitation.

Laura Gu: Merci, Stephen. Je suis ravie d’être ici.

SM: Comme bien d’autres sphères économiques, le secteur de l’automobile a connu des hauts et des bas en temps de pandémie. Je sais que la question est complexe, mais pourriez-vous nous résumer ce qui s’est produit dans le secteur de l’automobile au cours des dernières années?

LG: En effet, le secteur de l’automobile canadien en a vu de toutes les couleurs au cours des deux dernières années. Il y avait des feux à éteindre à tous les détours. Tout a commencé dès le début de la pandémie de COVID-19. En 2020, la production a été interrompue et les ventes ont dégringolé. La production s’est redressée durant quelques mois avant d’être à nouveau freinée par une pénurie de semiconducteurs qui a fragilisé la chaîne d’approvisionnement mondiale. Ce contexte a provoqué des ruptures de stock. Et une accumulation de la demande latente des consommateurs. Depuis, les prix des véhicules s’envolent et sont de plus en plus exorbitants. Les ventes ont continué de chuter depuis le début de l’année. À ce jour, les ventes au Canada depuis le début de l’année ont reculé par rapport à celles enregistrées à la même période il y a un, mais celles-ci semblent rattraper lentement leur retard à mesure que les conditions de la chaîne d’approvisionnement reviennent à la normale. Entre-temps, comme nous le voyons dans les manchettes, les prix des véhicules augmentent rapidement, surtout sur le marché des véhicules d’occasion, où les prix ont bondi de plus de 50 % depuis le début de la pandémie.

SM: Wow.

LG: Oui, et cela s’explique principalement par une demande vigoureuse et une offre anémique, ce qui s’est traduit par un cas classique de déséquilibre des conditions de marché.

SM: Oui, bien sûr. Et j’aimerais revenir avec vous sur le sujet des véhicules d’occasion dans un moment. Mais pour ce qui en est des automobiles neuves, les consommateurs doivent-ils toujours prendre leur mal en patience avant de pouvoir prendre le volant d’une nouvelle automobile?

LG: Oui, c’est toujours le cas à bien des endroits. Est-ce que les choses changent? Je dirais que oui, lentement mais sûrement. En Amérique du Nord, les niveaux des stocks demeurent très bas et les ventes sont ralenties par le rythme de production. Celle-ci a augmenté lentement cette année en Amérique du Nord, moins rapidement qu’anticipé. Un peu partout dans le monde, les constructeurs automobiles ont sabré radicalement leurs objectifs de ventes pendant la majeure partie de l’année, 30 % de ce recul ayant été comptabilisé en Amérique du Nord. Bref, oui, l’approvisionnement se stabilise, mais très lentement, et il accuse toujours un retard par rapport à la demande.

SM: On entend aussi beaucoup parler d’une pénurie de semiconducteurs. À quel point cet enjeu a-t-il ébranlé la chaîne d’approvisionnement? Malgré toute l’information qui circule à ce sujet, je ne suis toujours pas certain de comprendre ce qui cause cette pénurie. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé?

LG: Oui, c’est une longue histoire. Essentiellement, la pénurie de semiconducteurs résulte d’une série de chocs visant la production et la distribution de semiconducteurs. En 2019, avant même la pandémie, le président Donald Trump avait initié une série de bras de fer commerciaux avec la Chine, ce qui avait nui aux activités d’importation et d’exportation de semiconducteurs. Apparemment, 75 % de la production mondiale de semiconducteurs provient de la Chine et de l’Asie du Sud, si bien que ces bras de fer commerciaux ont gêné l’approvisionnement en semiconducteurs. Plus récemment, en 2021, de nombreux événements climatiques violents, ainsi que des incendies et des interruptions dues à la pandémie ont entravé la production au Japon, à Taïwan et aux États-Unis et aussi perturbé l’offre en semiconducteurs. Mentionnons aussi la nature de la chaîne d’approvisionnement en semiconducteurs, caractérisée par une gestion des stocks selon la méthode juste-à-temps, en vertu de laquelle la production s’ajuste en fonction des commandes. Or, comme la demande pour des automobiles est très cyclique et variable, il arrive que les fabricants de semiconducteurs réduisent leur production pour l’aligner sur la demande. Cette pratique rend le secteur de l’automobile fort vulnérable à des difficultés d’approvisionnement.

SM: Donc, si j’ai bien compris, la méthode juste-à-temps suppose la production de la quantité juste nécessaire au moment précis où on en a besoin? C’est une façon de réduire l’espace réservé à l’entreposage.

LG: Oui, exactement. Et cette approche est privilégiée pour préserver les marges de profit minces sur les semiconducteurs destinés aux automobiles.

SM: S’il s’agit de la cause principale de l’embouteillage de l’offre en automobiles, d’autres circonstances ont-elles aussi fragilisé la chaîne d’approvisionnement?

LG: Oui. En plus de la pénurie de semiconducteurs, le secteur de l’automobile a été frappé par des pénuries de main-d’œuvre et de matériaux de base, en plus de perturbations au transport et à la logistique de la chaîne d’approvisionnement. Tous ces facteurs ont provoqué une détérioration majeure des délais de livraison. Ce fut particulièrement le cas l’année dernière et au début de l’année en cours, mais les délais se sont améliorés au cours des derniers mois. La situation se normalise, ce qui est bon signe.

SM: C’est une bonne nouvelle. Mais qu’arrivera-t-il aux prix des véhicules? À quel point le prix d’une automobile a-t-il augmenté depuis 2019 ou avant la pandémie?

LG: Les prix des véhicules neufs ne cessent d’augmenter. Selon les mesures de l’IPC au Canada, ceux-ci ont augmenté d’environ 13 % depuis le début de la pandémie. Ce chiffre est encore plus élevé aux États-Unis, où les prix des nouveaux véhicules ont grimpé d’environ 18 %. Mais c’est surtout dans le segment des véhicules d’occasion qu’ont été observées les hausses de prix les plus frappantes. Aux États-Unis, les prix des automobiles d’occasion ont augmenté de plus de 50 % depuis le début de la pandémie, et le même scénario semble s’être produit au Canada.

SM: Comment est-ce possible? Pourquoi les prix des automobiles d’occasion ont-ils augmenté plus vite que ceux des autos neuves?

LG: Même si les prix des véhicules d’occasion n’augmentent plus comme avant, ils demeurent très élevés. Certains signes semblent indiquer que ces prix plafonnent. On peut s’interroger sur les raisons expliquant la hausse astronomique des prix des automobiles d’occasion. Tout d’abord, d’un point de vue de l’offre, les véhicules d’occasion proviennent essentiellement d’échanges, de fins de bail et de saisies. Toutes ces sources se sont taries depuis 2021, en partie en raison de la baisse des stocks et des ventes d’automobiles neuves durant la pandémie. Dans ce contexte, les automobiles d’occasion se sont faites de plus en plus rares sur le marché. La demande explique aussi en partie l’envolée des prix des automobiles d’occasion. Depuis l’année dernière, dans un contexte où l’offre en automobiles neuves est fort limitée, certains acheteurs se sont tournés vers le marché d’occasion. Les entreprises de location de véhicules ont aussi joué un rôle dans le déséquilibre de la demande. En raison de la rareté des véhicules neufs, certaines d’entre elles n’ont eu d’autre choix que d’acquérir des automobiles d’occasion de bonne qualité pour renflouer leur flotte de véhicules et répondre à la demande grandissante. Cela a accru la concurrence entre les acheteurs sur le marché d’occasion et exacerbé la forte demande sur le marché.

SM: J’ai entendu, et c’est peut-être anecdotique, que les prix à la location d’une automobile avaient augmenté cet été puisque de plus en plus de gens recommencent à voyager et à partir en escapade routière.

LG: Oui, c’est sûr que cela a contribué au déséquilibre entre l’offre et la demande. Selon les dernières données de l’IPC, les prix à la location au deuxième trimestre demeurent élevés et ont augmenté de 30 % sur douze mois au Canada.

SM: Wow.

LG: Effectivement. Les prix à la location avaient atteint un sommet au troisième trimestre l’année dernière. Cette année, les prix se sont approchés de ce sommet en été et demeurent très élevés au Canada. Aux États-Unis, les prix à la location d’une automobile ont diminué par rapport aux sommets enregistrés l’année dernière, mais ils demeurent beaucoup plus élevés qu’avant la pandémie. Bref, oui, les entreprises de location d’auto peinent toujours à renouveler leur parc et que la pénurie de voitures de location demeure un sujet d’actualité.

SM: Wow, ok. L’Ontario est un acteur important dans le secteur de la fabrication automobile. Selon vous, quelles sont les répercussions de la conjoncture sur les activités des constructeurs automobiles. Actuellement, quel est le pouls de ce secteur?

LG: Au Canada, l’emploi dans le secteur automobile est en hausse. Mais, en même temps, le taux de postes vacants dans le secteur automobile est bien plus élevé qu’il ne l’était avant la pandémie. Cette donnée souligne la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur automobile, ce qui pourrait facilement se traduire par des pressions salariales exercées sur les constructeurs automobiles établis en Ontario. Sous ces pressions et celles découlant des coûts du transport et des matières premières, mesurés par l’indice des prix à la production, les prix des pièces de véhicules motorisés augmentent. Bref, les constructeurs automobiles en Ontario se heurteront assurément à des enjeux en matière de coûts et de bénéfices. Gardons aussi en tête que les conditions de marché devraient se relâcher. Les taux d’intérêt en hausse pourraient atténuer une part de la demande comprimée et, dans ce cas-ci, nous sommes d’avis que les constructeurs automobiles peineront à refiler la facture élevée des coûts des matières premières et de la main-d’œuvre aux consommateurs, du moins jusqu’à l’année prochaine, lorsque la production aura rattrapé la demande.

SM: Et bien, c’est une belle amorce à ma dernière question : que nous réserve l’avenir? Peut-on s’attendre à ce que les prix des véhicules neufs et d’occasion diminuent? Ou vivons-nous le début d’une nouvelle réalité? L’offre commencera-t-elle à rattraper la demande?

LG: Les conditions d’approvisionnement semblent s’améliorer. À moins de nouvelles perturbations à la production, nous prévoyons que l’offre rattrapera son retard. Mais d’ici là, la demande sera ballottée par des vents contraires de plus en plus puissants, qu’il s’agisse de la perte de confiance des consommateurs, des fortes pressions inflationnistes ou de l’anémie des marchés des capitaux. La combinaison de ces facteurs devrait ralentir les ventes et pousser certains consommateurs à reporter leurs achats, surtout au retour à la normale de la production. Entre-temps, les taux d’intérêt augmentent et certains observateurs, à la lumière de l’activité économique terne en Chine et en Europe, anticipent une récession mondiale. Ce contexte est propice à l’affaiblissement de la demande, même celle comprimée depuis deux ans. Mais jusqu’à maintenant, l’incidence de ces réalités est atténuée par des stocks toujours limités. Quoique certains signes pointent vers une baisse des carnets de commandes des constructeurs automobiles, ce qui pourrait être un signe avant-coureur de l’érosion de la demande. Cela pourrait atténuer certaines des tensions sur le marché et des pressions exercées sur les prix des véhicules neufs.

SM: Je comprends. Donc, peut-être que les mauvaises nouvelles sur le plan économique, en favorisant la baisse des prix, pourraient en fait représenter une bonne nouvelle pour les automobilistes.

LG: Oui. Ces mauvaises nouvelles macroéconomiques soulagent le marché de certaines tensions. Et une part de la demande des consommateurs semble être absorbée. Au Canada, le bilan des ménages demeure robuste et les conditions du marché de l’emploi sont toujours très tendues. La conjoncture devrait contribuer à maintenir la demande, tout comme la demande refoulée au cours des dernières années en raison d’un déficit de production. Toutes ces réalités sont en fait encourageantes pour le secteur automobile, malgré un ralentissement potentiel de l’économie.

SM: Je crois que nous allons en rester là. Laura, merci beaucoup d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants.

LG: Merci, Stephen.

SM: C’était mon entretien avec Laura Gu, économiste à la Banque Scotia.

 

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