Clara Gutsche a commencé à faire de la photographie en 1970, lorsqu’elle a acheté un appareil photo à pellicule de 35 millimètres après avoir déménagé de St. Louis, aux États-Unis, à Montréal.
Prendre des photos était «une façon de cartographier la ville où j’habitais désormais, de découvrir cette ville et mon quartier», se remémore-t-elle.
En 1972, Gutsche s’est mise à utiliser une chambre photographique (4 x 5) et un trépied pour réaliser ses photographies, ce qui allait devenir un des traits distinctifs de son art.
Aujourd’hui, quelque 50 ans plus tard, son œuvre lui a valu le 14e de Prix de photographie Banque Scotia.
Photo : Clara Gutsche a remporté le Prix de photographie Banque Scotia lors d'une cérémonie à Toronto.
En soulignant l’œuvre d’artistes à mi-carrière ou aguerris, ce prix permet aux Canadiens de se familiariser avec l’art photographique et d’être sensibilisés aux enjeux et aux éléments moteurs de notre temps. Le nom de la lauréate a été dévoilé le 30 mai lors d’une cérémonie qui a eu lieu à Toronto.
Gutsche utilise la photographie pour explorer les relations personnelles dans les portraits et les valeurs culturelles dans les paysages urbains et les intérieurs architecturaux.
«Au cours des 54 années de ma carrière artistique, j’ai eu l’occasion d’explorer de multiples modes de photographie documentaire dans le contexte de l’art contemporain. Dans mes écrits critiques et mes projets documentaires axés sur la subjectivité, je remets continuellement en question la compréhension théorique et matérielle du sujet», souligne Gutsche.
Gutsche était l’une des trois finalistes choisis parmi les huit artistes mis en nomination.
Photo : Réception et salons de la Maison Shaughnessy, Centre canadien d’architecture, épreuve argentique à la gélatine (33,5 x 26,1 cm).
En plus de se consacrer à son art, Gutsche a travaillé comme professeure et critique. Ses écrits critiques ont été publiés dans Photo communiqué (1983 et 1984), Vanguard (1984), C Magazine (1988), Canadian Art (1995) et au chapitre 5 de Photogenic Montreal: Activisms and Archives in a Post-Industrial City (2021).
Ses œuvres ont été exposées dans plusieurs villes au Canada et à l’étranger.
«L’art de Gutsche explore la profondeur des relations interpersonnelles et l’intersection de la culture et du paysage urbain d’un point de vue photographique unique et puissant, affirme Laura Curtis Ferrera, cheffe du marketing à la Banque Scotia. Nous sommes fiers d’avoir fondé ce prix qui contribue à soutenir et à mettre en valeur l’art et les artistes, les conteurs canadiens les plus éminents, à l’échelle du pays et ailleurs dans le monde.»
Photo : Collège Bourget, Rigaud, 1994, série Les collèges, 1993-1998, épreuve à développement chromogène (38,1 x 48,3 cm).
L’artiste montréalaise, qui s’est dite stupéfaite d’apprendre qu’elle figurait sur la liste des finalistes, considère que le Prix de photographie Banque Scotia est important pour la communauté des photographes canadiens.
Le Prix de photographie Banque Scotia a été créé en 2010 conjointement par la Banque Scotia et le photographe canadien de renommée internationale Edward Burtynsky, dans le but de propulser la carrière d’artistes à l’échelle nationale et internationale.
Gutsche recevra une bourse de 50 000 $, fera une exposition solo durant le festival de photographie CONTACT de la Banque Scotia de 2025 et verra un recueil de ses œuvres distribué dans le monde entier par Steidl, éditeur de renommée internationale. Les deux autres finalistes, Nicolas Baier et Thaddeus Holownia, recevront chacun une bourse de 10 000 $.
Elle a l’intention de consacrer cet argent à ses activités artistiques, pour acheter de l’équipement et engager des assistant(e)s qui l’aideront à traiter numériquement ses photographiques.
Gutsche ne cherche pas à livrer un message précis au moyen de son œuvre. «On ne peut pas prédire comment quelqu’un réagira à nos photographies», soutient-elle.
«Je n’utilise pas de texte avec mes photographies. Je préfère adopter une démarche qui fait en sorte que différentes personnes réagissent parfois très différemment aux photographies.»
Une exception toutefois : sa série Milton Park (1970-1973), du nom d’un quartier de Montréal menacé à l’époque par un projet de démolition. Habitant eux-mêmes Milton Park, Gutsche et son partenaire David Miller, également photographe, ont utilisé l’art photographique pour contribuer à l’effort de la communauté visant à sauver le quartier.
Sélection de la série Milton Park, 1970-1973
Photo : De la série Milton Park, 1970 – 1973, épreuve argentique à la gélatine (30,2 x 23,2 cm).
Photo : De la série Milton Park, 1970 – 1973, épreuve argentique à la gélatine (30,2 x 23,2 cm).
«Dans ce cas particulier, les photographies avaient pour but de montrer aux gens la valeur de ce qu’ils avaient avant qu’ils ne le perdent», explique Gutsche.
Une partie de Milton Park a finalement été rasée, mais la deuxième phase du projet de démolition a été annulée. Selon Gutsche, cette volte-face est attribuable aux protestations des habitants du quartier, aux efforts des défenseurs du patrimoine et à la coopération des différents ordres de gouvernements.
«La particularité de ces photographies, c’est qu’elles sont restées vivantes. Elles sont encore exposées et elles intéressent encore les gens», souligne Gutsche.
Réalisée entre 1990 et 1998, la série Couvents est un autre projet de Gutsche qui a été très bien accueilli par le public. «J’avais très envie de photographier ces communautés de femmes de l’intérieur. Je voulais savoir ce que ça signifie de vivre en tant que femme dans un univers féminin, et aussi illustrer le rôle central de ces communautés dans l’histoire du Québec», confie Gutsche.
Sélection de la série Couvents, 1990-1998
La candidature de l’artiste montréalaise a d’abord été proposée par Zoë Tousignant, Conservatrice, Photographie au Musée McCord Stewart. Gutsche a ensuite déposé sa candidature, mais elle ne s’attendait pas à figurer parmi les artistes mis en nomination.
La lauréate a été sélectionnée par un jury composé de membres prééminents de la communauté artistique canadienne : Edward Burtynsky, artiste et président du jury; Stéphane Aquin, directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal; Andrea Kunard, conservatrice principale des photographies au Musée des beaux-arts du Canada; et Gaëlle Morel, commissaire d’exposition de l’Image Centre de l’Université métropolitaine de Toronto.
«Clara Gutsche est une praticienne dévouée de la photographie classique», affirme M. Burtynsky.
«Gutsche s’intègre dans une communauté au fil du temps et pose un regard doux et attentif sur celle-ci afin d’en révéler le vrai caractère. Ce sera un plaisir de voir ses œuvres réunies dans une exposition et un livre à paraître.»