Lorsque Jon Davey réfléchit aux décisions difficiles qu’il a dû prendre lorsqu’il est passé des études de premier cycle à l’école de droit, puis au poste d’avocat du gouvernement fédéral chargé des questions autochtones, et enfin à celui de dirigeant d’entreprise, il pense souvent à une question que son père lui a posée à propos d’une certaine décision.

Quelle est la chose la plus difficile à faire?

«C’est là que la magie opère, a affirmé M. Davey, qui est Haudenosaunee et membre de la Première Nation Lower Cayuga des Six Nations de la rivière Grand, dans le sud-ouest de l’Ontario. La magie est là où vous ne voulez pas aller et dans ce que vous ne voulez pas faire.»

M. Davey, chef du personnel du président et chef de la direction de la Banque Scotia, Scott Thomson, a pris la parole la semaine dernière à l’occasion de la quatrième édition annuelle de la série de conférences Web des leaders autochtones (Indigenous Leader Speaker Series) organisée par l’Université Brock.

Au cours de la conversation avec Robyn Bourgeois, vice-recteur à l’engagement autochtone de Brock, il a décrit son parcours universitaire et professionnel, son approche du leadership et la manière dont son héritage autochtone a façonné ses valeurs et ses décisions.

M. Davey a grandi à Hamilton, en Ontario, avec un père haudenosaunee et une mère non autochtone. Il a eu une enfance si formidable et des amis si merveilleux qu’il a hésité à partir quand est venu le temps d’entrer à l’université. Encouragé par sa famille, il y est allé et a été surpris de constater que ses collègues étudiants et les professeurs à l’Université Brock, à St Catharines en Ontario, étaient accueillants et très curieux à propos de sa culture.

«Les gens voulaient en savoir plus sur moi, ils voulaient comprendre d’où je venais, a-t-il déclaré. L’une des choses importantes que j’ai retenues de mon expérience à Brock a été de me dire : Vous savez quoi? Il y a des gens qui m’acceptent tel que je suis.»

Après avoir obtenu son diplôme de premier cycle, il a décidé de faire des études de droit, car c’était le meilleur moyen de contribuer au bien-être de sa communauté. Il s’est fixé un objectif ambitieux.

«Je voulais prendre l’initiative d’abroger la Loi sur les Indiens

La Loi sur les Indiens, adoptée en 1876 et toujours en vigueur aujourd’hui, est le principal texte législatif définissant les relations entre les peuples autochtones et le gouvernement fédéral. Il couvre une multitude d’aspects de la vie dans les réserves, notamment la gouvernance, l’utilisation des terres, les soins de santé, l’éducation et bien plus encore.

Cette loi a été imposée aux peuples autochtones, et non pas négociée avec eux comme les traités, et elle est depuis longtemps controversée et source de colère et de ressentiment.

Après sa première année d’études de droit, M. Davey a travaillé pour une organisation des Six Nations impliquée dans un litige avec le gouvernement fédéral sur une question fiscale. Il retourne à ses études avec un fort sentiment antigouvernemental, mais son professeur de droit autochtone lui dit qu’il n’aborde pas la question sous le bon angle.

«Il a dit quelque chose qui m’a marqué. Il m’a dit : Tu ne seras jamais un bon avocat si tu ne peux pas voir les deux côtés d’un argument.»

«En fait, il m’a dit que la meilleure chose à faire était de travailler pour le gouvernement et d’apprendre à connaître l’appareil gouvernemental, les processus de prise de décision et les lois et règlements qui contribuent à l’élaboration des politiques.»

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Nous devons adapter nos ressources aux besoins de notre clientèle, en l’occurrence aux besoins des populations autochtones.

Jon Davey, chef du personnel du président et chef de la direction de la Banque Scotia, Scott Thomson

C’est ce que M. Davey a fait dans le cadre de plusieurs stages pendant qu’il terminait ses études de droit, dont un au sein de ce qui s’appelait alors Affaires autochtones et du Nord Canada (aujourd’hui le ministère des Services aux Autochtones), qui était en train de supprimer 34 dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’administration des terres dans les réserves.

«Il y a donc un peu plus de place pour la créativité, un peu plus de place pour l’autonomie en matière de prise de décision autochtone, et cela m’a inspiré.»

Après avoir obtenu son diplôme, M. Davey a fini par travailler pour la division du droit autochtone du ministère de la Justice.

«Je voulais savoir pourquoi le gouvernement fédéral a agi comme il l’a fait à l’égard de nos peuples, en adoptant des politiques et des lois qui étaient et qui demeurent très restrictives.

«Lorsque je suis arrivé au gouvernement et que j’y ai vu de grands défenseurs, des gens qui se souciaient vraiment de nos relations et de la relation entre la Couronne et les peuples autochtones, cela m’a inspiré. C’était un peu inattendu, pour être franc.»

En tant que personne autochtone travaillant pour le gouvernement, M. Davey a parfois ressenti des réticences de la part de sa propre communauté, ce qu’il comprend parfaitement. Mais certains jours ont été plus difficiles que d’autres.

«Les jours les plus difficiles ont été ceux où j’ai discuté avec des survivants des pensionnats. J’ai vu la force et la résilience qu’il leur a fallu, dans le cadre d’un processus judiciaire, alors que je représentais le gouvernement.»

Certaines personnes demandaient s’il était vraiment autochtone, s’il les soutenait réellement. Elles lui ont demandé si c’était le travail qu’il se voyait faire.

«Je n’aurais pas vraiment voulu discuter avec moi non plus.»

Mais M. Davey croyait fermement en ce qu’il faisait, et qu’en approchant les gens avec l’esprit et le cœur ouverts, il pouvait changer les choses.

Après dix ans passés au sein du gouvernement fédéral, M. Davey s’est joint à la Banque Scotia, où sa formation juridique et son expérience professionnelle avec les peuples autochtones ont été mises à profit d’une nouvelle manière.

«Une grande partie des problèmes juridiques que je rencontrais au sein de la division du droit autochtone du ministère de la Justice étaient liés à des causes économiques, a-t-il déclaré. J’espère être en mesure d’apporter une contribution en travaillant à la Banque Scotia et en montrant qu’il y a différentes façons de structurer le crédit, qu’il y a différents modèles de revenus qui permettent des flux de trésorerie sans restriction et différentes façons de gérer les dépôts. 

«J’avais vraiment hâte de les mettre en pratique pour voir si ces solutions tenaient la route et si elles fonctionnaient vraiment. Et la plupart ont fonctionné avec l’aide de nombreuses personnes au sein de la Banque.»

L’important était d’aborder la question en tenant compte de la situation particulière des peuples autochtones.

«Nous devons adapter nos ressources aux besoins de notre clientèle, en l’occurrence aux besoins des populations autochtones… Il ne s’agit pas d’essayer d’obliger les Premières Nations, les Métis, les Inuits, les entreprises et les personnes à s’adapter à nos pratiques.»

Lorsque le PDG de la Banque Scotia a demandé à M. Davey de travailler directement pour lui, il a de nouveau pensé à la question de son père sur la voie la plus difficile à suivre.

«Pour moi, il y avait cette idée que l’on ne cesse jamais d’apprendre et que l’on ne cesse jamais d’investir dans les moyens de s’améliorer. En même temps, j’ai l’occasion de travailler avec un grand leader au sein de la Banque, et c’est Scott.»

M. Davey dit s’inspirer du traité du wampum à deux rangs conclu entre les Haudenosaunee et les Hollandais, et de la ceinture qui symbolisait ce traité. Elle comporte deux lignes parallèles, représentant les deux peuples évoluant côte à côte.

«Cela représente l’idée d’harmonie et de paix. Je veux voir cela plus souvent et je veux incarner ce changement, qu’il s’agisse du gouvernement fédéral et de nos relations ou de nos relations dans le secteur financier.

«Comment puis-je comprendre et transmettre cette valeur de partenariat et de collaboration tout en montrant l’exemple?»