En voyant son maillot de basketball, sa bague de championnat et son turban dans une vitrine du Temple de la renommée du basketball Naismith Memorial, Nav Bhatia a pleuré de joie.

D’origine sud-asiatique et de confession sikhe, il n’a cessé d’être victime de discrimination et de harcèlement pendant toutes les années écoulées depuis le jour où il est arrivé au Canada en 1984 après avoir vécu en Inde. Il n’en revenait pas de voir tous ses souvenirs ainsi mis à l’honneur.

Son titre de « super partisan » et sa place dans le musée consacré aux plus grands joueurs de basketball, il les doit à sa ferveur pour les Raptors de Toronto — dont la Banque Tangerine est le commanditaire officiel — ainsi qu’à son énergie dans les gradins de l’aréna Banque Scotia, lui qui a assisté à la quasi-totalité des matchs de l’équipe depuis plus de deux décennies.

Aujourd’hui propriétaire de deux concessions automobiles Hyundai et après avoir lancé la Nav Bhatia Superfan Foundation, il a été intronisé, au début du mois, au Temple de la renommée du Basketball à Springfield dans le Massachusetts. Nav Bhatia, que l’on voit sur la photo en haut à droite, s’est confié à Perspectives à propos du parcours qui l’a mené au Superfandom (le panthéon des super partisans), des difficultés qu’il a surmontées, des occasions qui se sont offertes à lui et de l’exemple qu’il espère donner à ceux et celles qui luttent pour se faire accepter malgré leurs différences.

Q : Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris que vous seriez intronisé au Temple de la renommée?

R : C’est mon directeur qui me l’a en fait appris l’an dernier, le 10 février. Je n’y croyais pas. Je pensais qu’il plaisantait. Mais non, c’était vrai.

Q : Comment s’est déroulée votre intronisation?

R : Je ne voulais pas prendre l’avion. Nous avons donc pris la voiture. En arrivant à la frontière, nous avons été refoulés par l’inspecteur américain, qui nous a fait savoir que notre voyage n’était pas essentiel. Son superviseur s’est pointé avec quatre autres inspecteurs. On m’a demandé si j’étais bien le « super partisan » des Raptors. Ils m’ont demandé d’abaisser mon masque, ce que j’ai fait. Ils sont revenus me voir 10 minutes plus tard pour me dire : « Nous n’allons certainement pas vous priver de cette grande occasion. Nous allons donc faire une exception et vous laisser passer. » Quand nous sommes arrivés au Temple de la renommée, on m’a fait visiter la galerie. Quel travail phénoménal! Je voyais mon maillot d’origine — que m’avait remis Isiah Thomas, avec la mention « Superfan 1 » —, mon banc — c’était bien le banc des Raptors que j’occupais dans les gradins — et la réplique de ma bague de championnat, ainsi que ma figurine à tête ballante. Il y avait aussi le turban que je portais pour le championnat de la Californie. J’ai éclaté en sanglots. Parce que pour un sikh, un turban, c’est une couronne. Je représente tous les sikhs. Je représente aussi tous les amateurs des Raptors, et c’est pour moi un honneur de représenter tous les autres amateurs de basketball dans le monde. J’ai commencé à me pincer pour savoir si je rêvais. Tout cela était-il bien vrai? Le turban que j’avais porté dans la course au championnat était juste ici, sous mes yeux, avec la bandelette rouge. J’étais très ému.

Q : En voyant dans cette vitrine tous ces objets qui vous appartiennent, que ressentez-vous?

R : À cause de la couleur de ma peau et parce que je suis membre d’une minorité visible, c’est un parcours en montagnes russes que j’ai vécu dans ma vie depuis 1984, soit l’année où je suis arrivé ici. Je suis ingénieur mécanicien. Personne ne voulait embaucher un ingénieur qui portait le turban et la barbe. J’ai enchaîné les petits boulots — j’ai été concierge et paysagiste — pour nourrir ma famille. Et j’en suis fier, parce que nous, les sikhs, avons foi dans la dignité du travail. Le tout premier jour où j’ai commencé à travailler à Rexdale Hyundai en 1984, il y avait 9 ou 10 vendeurs, tous de race blanche. Ils ont commencé à m’injurier (« Tiens, il porte une couche sur la tête »). Ça m’a fouetté. Je me suis dit « Nav, si tu veux survivre dans cet environnement, tu ne dois pas te contenter d’être bon : tu dois être meilleur ». Et c’est ce que j’ai fait. C’est aussi ce qui m’a permis de vendre 127 voitures en trois mois, ce qui était un record pour l’époque et un sommet encore aujourd’hui. Vingt‑cinq ans plus tard, pendant la course au championnat, quelqu’un de Milwaukee a lancé dans un gazouillis que le partisan des Raptors que j’étais faisait de l’embonpoint et qu’il portait un sous‑vêtement sur la tête. Comment ai-je réagi? Quand les gens sont sournois, il faut les ignorer. Je n’ai donc pas riposté. Il m’a ensuite appelé pour me dire « Je suis absolument désolé de ce que j’ai dit ». Je lui ai alors dit que je lui pardonnerais uniquement lorsque j’aurais l’occasion de l’inviter au restaurant et à un match. Je l’ai donc invité à un match avec son fils. Après ce match, je l’ai conduit au vestiaire et lui ai présenté tous les joueurs, soit aussi bien ceux de Milwaukee que des Raptors. Je les ai présentés comme mes amis de Milwaukee. Nous avons tous les deux fondu en larmes. Nous sommes devenus amis. C’est exactement ce qu’il faut faire pour changer les perceptions. S’ils apprennent la haine, enseignons-leur l’amour aussi. C’est ce que je fais et c’est ce que je vais continuer de faire, en réunissant tout le monde grâce à ce prodigieux sport qu’est le basketball.

Q : Qu’est-ce que ça vous fait d’être au Temple de la renommée avec les plus grands joueurs de basketball dans les annales?

R : J’en ai la chair de poule, pour tout vous dire. Je n’arrive pas à y croire. Il me faudra un certain temps pour m’y habituer. Comme amateur, on ne peut pas imaginer ce que c’est. Nul ne peut imaginer que votre équipe gagnera le championnat, que vous participerez au défilé et que tous les honneurs rejailliront sur vous. Dans les 70 dernières années, seulement 300 personnes, à ce que je sache, ont été intronisées au Temple de la renommée.

Q : Avez-vous toujours été un fervent partisan de basketball? Depuis quand vous passionnez-vous pour ce sport? Est-ce le sport ou l’expérience que vous avez vécue qui a fait de vous un fidèle partisan?

R : Comme tous les Indiens, le cricket est notre religion là‑bas. Je suis arrivée ici [au Canada] en 1984, et pendant les 10 premières années, je me suis contenté d’essayer de joindre les deux bouts, de m’assurer que je m’acclimaterais et d’avoir un toit pour m’abriter. Et en 1995, je me tirais bien d’affaire. J’étais le directeur général d’une concession automobile. J’ai eu plusieurs voitures. J’avais aussi une belle maison de 278 mètres carrés à Mississauga. Puis, je me suis dit que je travaillais tout le temps, 100 heures par semaine, que je m’ennuyais et qu’il me faudrait bien un passe‑temps. J’ai donc acheté deux billets. À l’époque, je ne pouvais m’en offrir que deux. J’allais essayer de voir ce sport dans l’aréna, et à l’époque, les matchs se déroulaient dans le SkyDome. Dès le premier jour, je me suis passionné pour le basketball. C’est le sport le plus rapide sur la planète. C’est aussi le plus captivant, à cause de la tournure que lui donne la NBA, avec les temps morts et les spectacles. Pendant trois heures, on est dans un autre monde. En somme, depuis 25 ans, je n’ai jamais raté une minute de jeu. J’adore ce sport. Mais depuis les quatre ou cinq dernières années, ce n’est pas seulement le spectacle qui m’attire : c’est tout l’amour que m’expriment les partisans.


 

Photo : Nav Bhatia, super partisan, admire ses souvenirs des Raptors dans la vitrine du Temple de la renommée du basketball Naismith Memorial au début du mois. Crédit photo : Push Marketing Group.

Q : En tant que super partisan, vous ne faites pas qu’acclamer l’équipe : vous avez aussi une œuvre de bienfaisance. Pourquoi est-ce important à vos yeux?

R : Je m’intéresse à ce sport pour d’autres raisons. J’ai fondé une œuvre de bienfaisance en lançant la Nav Bhatia Superfan Foundation, en collaboration avec Vision Mondiale. Je suis l’ambassadeur mondial de cet organisme. Je suis le seul ambassadeur non chrétien d’un organisme chrétien. Grâce à Vision Mondiale, j’ai pu accomplir beaucoup de travail. Nous construisons des toilettes dans les écoles de jeunes filles en Inde pour qu’elles puissent poursuivre leurs études. En me divertissant grâce au basketball, j’ai aussi appris à faire du bien pour l’humanité, ce qui m’apporte la plus grande satisfaction. Ma mission, c’est de réunir le monde grâce au basketball.

Q : Quel est l’avenir de la Superfan Foundation?

R : Avec Vision Mondiale, nous sommes en train d’adopter une autre région en Inde. Nous avons aménagé 135 toilettes dans 35 écoles, et Vision Mondiale vient de désigner une autre région qui a énormément besoin d’aide. Cette région s’appelle Alwar, dans le Rajasthan, et nous allons y construire deux ou trois cents toilettes. Cette fois, avec l’aide de la NBA, nous allons aussi aménager des terrains pour que les jeunes filles puissent jouer au basketball.

Q : Quel conseil donneriez-vous à ceux et à celles qui sont aux prises avec le sentiment d’être exclus en raison de leurs différences pour leur dire qu’ils peuvent rester fidèles à eux-mêmes?

R : À l’époque où j’avais 16 ans, il y a 53 ans, ma mère s’est confiée à moi. Elle m’a demandé de lui faire trois promesses. Elle m’a enjoint de ne pas me couper les cheveux, de rester un sikh, de ne pas boire et de ne pas fumer. J’ai tenu toutes ces promesses envers ma mère. C’était loin d’être facile. J’ai travaillé plus de 100 heures par semaine dans mes 20 premières années dans ce pays et j’achetais chaque année des cartes d’abonnement pour les matchs. J’en ai 13 aujourd’hui. Mais je ne bois pas, je ne fume pas, je ne cours pas les jupons… je me contente d’aller voir les Raptors. Il faut être fier, que l’on soit Blanc, Noir ou Asiatique. Que vous soyez chrétien, sikh, hindou ou musulman, vous devez être fiers de ce que vous êtes parce qu’au fond, nous sommes tous les mêmes. Toutes les religions nous enseignent les mêmes bonnes leçons dans la vie. C’est pourquoi je dis à tous de rester fiers et de devenir ce qu’ils souhaitent devenir comme êtres humains. Il faut avoir l’esprit d’équipe. Si vous voyez que quelqu’un est abattu, remontez-lui le moral, peu importe qui il est, sans imposer de condition, et vous verrez que votre vie changera. Je suis aussi fier d’être Canadien et de rester un sikh.

Q : Quel est votre plus beau souvenir pendant toutes ces années au cours desquelles vous avez assisté aux matchs?

R : Mon plus beau souvenir, c’est le jour où j’ai été contacté par un garçon de 12 ans atteint d’un cancer et en phase terminale. Il lui restait peu de temps à vivre. Son dernier vœu, c’était de faire connaissance avec la super vedette Vince Carter. J’ai exaucé son vœu. Je me rappelle l’avoir invité au match avec son infirmière et sa potence pour intraveineuse. J’ai décidé de l’emmener, 5 ou 10 minutes avant la fin du match, dans le tunnel par où passaient les joueurs. À la fin du match, je suis allé voir Vince Carter et je lui ai dit que j’étais en compagnie d’un enfant qui voulait le voir et qui avait le cancer. Vince s’est arrêté, s’est agenouillé et a commencé à retirer son maillot, ses bandeaux, son serre‑tête, ses coudières, ses serre‑poignets, ses chaussures et ses chaussettes et à les donner à l’enfant. Le garçon s’est mis à sourire. Vince a commencé à pleurer, et j’en ai fait autant. C’était mission accomplie. Depuis ce jour, j’ai un énorme respect pour Vince. Parce qu’à mes yeux, un joueur n’est pas seulement un grand joueur s’il peut marquer 80 points et smasher des paniers. Pour moi, un grand joueur traite tout le monde dans le respect, surtout les enfants. C’est ce qui m’a le plus touché.

Q : Pendant la pandémie, vous n’avez pas pu assister aux matchs en présentiel. Quelle a été votre expérience d’amateur en virtuel?

R : Pendant la pandémie, on m’a effectivement proposé d’assister aux matchs dans les gradins en respectant les consignes. J’ai décidé de ne pas le faire parce que ce n’est pas sécuritaire pour les joueurs et leur famille ni pour moi. J’ai donc décidé de me contenter de regarder les matchs à la maison avec ma femme. Quand je vais à l’aréna, c’est ma sortie : j’ai la liberté de sortir et de rester moi-même. Nous n’avons pas une bonne saison à cause de la pandémie, parce que notre équipe compte sur ses partisans. Nous sommes les meilleurs partisans dans la NBA. J’espère que le 21 octobre l’an prochain, nous serons à l’aréna, que les partisans seront tous réunis et que nous trônerons à nouveau au sommet de la Conférence de l’Est.

Q : Qu’allez-vous faire maintenant comme super partisan?

R : Je vais tout faire pour être une source d’inspiration pour la prochaine génération et pour l’avenir du Canada, et je vais continuer de m’y consacrer. Dieu m’a béni en me donnant une bonne situation et je suis reconnaissant au Tout-Puissant et à tout le monde. Je vais donc me contenter de continuer d’accomplir ma mission, qui consiste à réunir le monde grâce au basketball.

Les propos recueillis dans cette entrevue ont été révisés et condensés.

 

Photo : Nav Bhatia, super partisan, parle de son intronisation, au début du mois, au Temple de la renommée du basketball Naismith Memorial. Crédit photo : Andrew Bernstein.