Depuis plus de dix ans, Cynthia Bland est à l’écoute des survivants dont elle défend les intérêts. Mme Bland, elle-même victime d’agression et d’exploitation sexuelle, sait ce que c’est de ne pas être entendu. Il lui aura fallu plus de 40 ans pour trouver sa voix et être en mesure de dire qu’elle avait été victime d’agression sexuelle dès l’âge de cinq ans.

«J’ai vécu quelque chose que je n’étais pas en mesure de nommer, qui m’a causé des problèmes de santé mentale et de dépendance, comme c’est malheureusement le cas pour tant d’autres survivants de la traite de personnes,» explique Mme Bland.

En tentant de trouver la voie de la guérison, Mme Bland a constaté qu’il y avait bien peu de ressources offertes aux survivants. Il y en avait encore moins pour les adultes qui avaient été victimes d’agression sexuelle alors qu’ils étaient enfants. En 2011, pour combler ces lacunes en matière de services, Mme Bland a lancé l’organisme Voice Found, à Ottawa, dont la vocation est d’aider les personnes et les communautés à guérir et à se remettre des blessures physiques, émotives et financières de l’exploitation sexuelle.

«Beaucoup de gens ne comprennent pas les enjeux. Je voulais éduquer les gens, parler de cette réalité, plutôt que de la réduire au silence,» affirme Mme Bland.

Voice Found est l’un des deux organismes non gouvernementaux (ONG) ontariens qui ont récemment intégré le programme Accès Finances de la Banque Scotia. Le second, Covenant House, a comme mission de répondre aux besoins variés et complexes des jeunes qui vivent dans la rue. La possibilité d’établir des partenariats en Alberta, au Québec et en Nouvelle-Écosse est aussi envisagée.

Lancé en 2019 dans le cadre d’un projet pilote du groupe Illuminate de l’Armée du Salut (anciennement les services de lutte contre la traite des personnes de l’Armée du Salut), le programme Accès Finances a été établi dans le but de conclure des partenariats avec des ONG à l’échelle du Canada, afin d’offrir un système de référence pour les victimes. Celui-ci les mettrait en contact avec des fournisseurs de services financiers qui pourraient les aider à regagner leur indépendance financière. Les bénéficiaires du programme obtiennent un compte-chèques gratuit pour une période de 12 mois, ainsi qu’un compte d’épargne et le soutien d’un conseiller attitré qui les aidera à apprendre les bases de la gestion des finances personnelles. En outre, le programme leur permet d’obtenir une carte de crédit non garantie sans frais annuels, assortie d’une limite de 1 000 $, au besoin.

«Nos partenariats avec les ONG canadiens nous permettent d’offrir une formation aux employés de nos succursales afin de les sensibiliser à la traite de personnes et au traumatisme que vivent les victimes. Grâce à cette formation, nous disposons des ressources nécessaires pour répondre aux besoins uniques des collectivités que nous servons,» explique Stuart Davis, vice-président à la direction, Gestion du risque de crimes financiers et chef de groupe, Lutte contre le blanchiment d’argent, à la Banque Scotia.

La formation de sensibilisation à la traite de personnes offerte aux employés de la Banque Scotia qui sont choisis pour servir cette clientèle est l’un des aspects les plus appréciés des ONG partenaires du programme. La formation fait partie d’une approche axée sur la personne visant à l’aider à comprendre les principes de base de l’accès aux services bancaires. Celle-ci tient compte du traumatisme subi par la victime et facilite les conversations entre elle et son conseiller financier. Au cours des premières rencontres, on aborde les nouveaux comptes bancaires qui ont été ouverts et les notions de base de la gestion des finances personnelles, notamment l’établissement d’un budget et la prévention de la fraude. On discute ensuite des besoins éventuels en matière de services financiers. 

Le programme Accès Finances constitue la toute première expérience bancaire pour certains survivants qui ont été exploités lors de leur adolescence. Pour d’autres, il représente une occasion de retrouver leur identité financière, qui pourrait avoir été compromise pendant la période où ils se faisaient exploiter.

Mme Bland ajoute qu’il n’est pas rare de voir les trafiquants prendre le contrôle de l’identité, des comptes bancaires et du crédit de leurs victimes. Dans certains cas, ils accumulent une dette immense au nom de la victime en remplissant au maximum leurs cartes et leurs lignes de crédit. «Sans l’aide d’employés ayant reçu une formation spécialisée, le simple fait de se présenter à une succursale bancaire et d’ouvrir un compte peut être une expérience extrêmement difficile pour les survivants, car les dommages à leur historique de crédit sont mis au grand jour, dit-elle. Cependant, il est important que les victimes comprennent que leur vie privée est protégée.»

«En offrant ces services, on comprend que l’abus économique est l’un des éléments et des résultats clés de la traite des personnes. C’est également l’un des aspects les plus difficiles du rétablissement d’un survivant. Cela explique le taux renversant de victimes qui retournent auprès de leurs agresseurs,» affirme Larissa Maxwell, directrice des programmes de lutte contre la traite des personnes de l’Armée du Salut. Mme Maxwell dirige le programme Deborah’s Gate de l’Armée du Salut, une résidence pour les survivants du trafic sexuel et du travail forcé, établie en Colombie-Britannique.

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’organisme Voice Found mise sur l’importance d’aider les victimes à trouver des emplois valorisants afin de réduire le risque qu’elles se tournent à nouveau vers un trafiquant. Mme Bland soutient que le fait d’avoir, au sein de l’équipe, des gens qui ont vécu les mêmes expériences aide beaucoup ceux qui tentent de se libérer. Elle ajoute que les jeunes femmes deviennent souvent les victimes d’une personne de leur entourage qui les a trahies, leur petit-ami, par exemple; il devient très difficile de restaurer leur confiance par la suite.

Pour souligner la Journée mondiale de la dignité des victimes de la traite d’êtres humains des Nations Unies, la Banque Scotia a intensifié ses efforts pour lutter contre la traite de personnes et l’exploitation sexuelle des enfants en ligne, avec le soutien de trois organismes dont le mandat est de partager cette information cruciale et de combattre la prolifération de matériel ayant trait à la violence sexuelle exercée contre des enfants. La Banque Scotia a notamment fait un don au Projet Arachnid du Centre canadien de protection de l’enfance, un outil utilisé pour repérer le matériel lié à l’abus pédosexuel sur le Web.

Lors du lancement du thème de la campagne La voix des victimes nous guide de la Journée mondiale de la dignité des victimes de la traite d’êtres humains, qui aura lieu le 30 juillet, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime a dit : «De nombreuses victimes de la traite d’êtres humains ont été confrontées à l’ignorance ou à l’incompréhension lorsqu’elles ont tenté d’obtenir de l’aide. […] Certaines ont été de nouveau victimisées et punies pour des crimes qu’elles ont été forcées de commettre par leurs trafiquants. D’autres ont été stigmatisées ou ont reçu un soutien insuffisant.»

Bon nombre de Canadiens croient, à tort, que la traite de personnes est une réalité lointaine, que cela ne peut pas se produire ici. Selon Sécurité publique Canada, les personnes les plus risques de faire l’objet de la traite des personnes au Canada sont les femmes et les jeunes filles. En effet, elles représentaient 97 % des victimes des incidents de traite de personnes à des fins sexuelles déclarés à la police en 2018. Elles sont souvent issues des groupes les plus vulnérables de notre société : les Autochtones, les nouveaux immigrants, les enfants du système de protection de la jeunesse, les personnes handicapées, les membres de la communauté LGBTQ2, et les personnes ayant des difficultés sociales ou financières. Près de la moitié des victimes déclarées sont âgées de 18 à 24 ans.