Ci-haut : Kim Delisle (à gauche) et Dre. Stéphanie Marsan



Pour certains membres de la communauté autochtone de Montréal, obtenir les soins dont ils ont besoin signifie de pouvoir faire confiance aux institutions qui peuvent les aider. Or, ces institutions doivent apprendre à mieux comprendre cette communauté et à gagner sa confiance.

« Le trauma intergénérationnel continue d’entretenir la peur et la méfiance », indique Kim Delisle, coordonnatrice des programmes de santé communautaire de Projets autochtones du Québec (PAQ) et l’une des porteurs du projet. PAQ offre des solutions d’hébergement, des options de logement et d’autres services aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis et milite pour les droits à la santé et au logement des Autochtones en milieu urbain.

Selon madame Delisle, la discrimination, les mauvaises expériences passées et d’autres facteurs ont souvent fait en sorte que les Autochtones – en particulier ceux en situation d’itinérance – ne sont pas disposés à se faire soigner pour leurs problèmes de santé. 

En 2021, PAQ et le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) ont établi un partenariat pour aider à surmonter cette méfiance et à améliorer la santé des Autochtones. 

Le projet Mieux-être autochtone : avec, par et pour les peuples autochtones vise à « créer un environnement de soins surspécialisés et holistiques plus inclusif et équitable, tout en garantissant le respect des cultures et des valeurs de ces communautés ».

La phase initiale du projet a été déployée dans les unités de médecine d’urgence, de médecine interne ainsi que de médecine et psychiatrie des toxicomanies. Au cours des cinq prochaines années, l’objectif est d’étendre les services à d’autres unités du CHUM et, à terme, aux autres hôpitaux de la province. 

La Banque Scotia a annoncé qu’elle soutiendrait le projet en effectuant un don d’un million de dollars sur cinq ans à la Fondation du CHUM. Ce don s’inscrit dans l’initiative à impact social ScotiaINSPIRE, un engagement de 500 millions de dollars de la Banque Scotia visant à promouvoir la résilience économique des groupes défavorisés. 

« Faciliter l’accès aux soins de santé pour les personnes issues des communautés autochtones fait partie intégrante d’un processus de réconciliation », déclare Pierre Laboursodière, vice-président, Gestion de patrimoine, Services bancaires privés, Est du Canada à la Banque Scotia. « En soutenant ce programme, nous contribuons à améliorer la vie des personnes touchées et à bâtir des collectivités plus fortes et plus résilientes », ajoute-t-il.

Approche du « double regard »

PAQ et le CHUM ont opté pour une approche dite du « double regard » qui consiste à combiner le meilleur des connaissances et des pratiques de soins autochtones et occidentales pour offrir des soins culturellement adaptés à la clientèle.

Madame Delisle et ses collègues de PAQ, des navigatrices et navigateurs, offrent des services de soutien aux Autochtones qui suivent un traitement au CHUM. Ces personnes les accompagnent à leurs rendez-vous, traduisent lorsque nécessaire, offrent un soutien psychosocial et font venir des aînés pour les réconforter. 

« Notre réel objectif était d’améliorer la trajectoire et le cercle de soins pour nous assurer que les gens reviennent à leurs rendez-vous, qu’ils sont accompagnés et que nous travaillons avec toutes les organisations communautaires pour veiller à nous unir pour soutenir les membres de la communauté », explique la Dre Stéphanie Marsan, médecin au service des toxicomanies du CHUM et l’une des responsables du projet.

« Les composantes cliniques et de recherche du projet visent à cibler et à surmonter les obstacles importants auxquels les Autochtones sont confrontés dans l’accès aux soins au sein du CHUM et, à terme, dans tous les hôpitaux de la province », ajoute-t-elle.

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« Le trauma intergénérationnel continue d’entretenir la peur et la méfiance. »

Kim Delisle, coordonnatrice des programmes de santé communautaire de Projets autochtones du Québec (PAQ)

Les défis de la grande ville

Selon madame Delisle, les personnes autochtones de partout au Québec, et même de plus loin, sont attirées par Montréal et ses perspectives de travail ou d’études, ou par la possibilité d’obtenir des soins médicaux ou de combler d’autres besoins. Parfois, c’est simplement l’attrait de la grande ville qui les y amène. Toutefois, ce qu’elles vivent à leur arrivée n’est pas toujours ce qu’elles espéraient.

« Malheureusement, passer d’une communauté éloignée à la grande ville est un gros changement et peut ressembler à visiter Las Vegas, avec toutes ses lumières brillantes et l’excitation qui s’ensuit. Cela les entraîne dans la mauvaise direction.

Ce mauvais changement de cap peut se produire dès leur descente de l’avion à Montréal », explique Mme Delisle. Des personnes malintentionnées ciblent les vols en provenance des communautés autochtones du Nord, parlent aux nouveaux arrivants avec quelques mots d’inuktitut et tentent de les entraîner dans la drogue ou la prostitution. 

« Ces personnes passent alors à travers les mailles du filet, et c’est là qu’elles viennent nous voir, ajoute Mme Delisle. Elles cherchent à se désintoxiquer et à obtenir des soins médicaux auxquels elles n’ont pas accès, puisqu’elles vivent dans la rue. »

Dre Marsan connaît bien les difficultés qu’a rencontrées l’hôpital pour nouer des liens significatifs avec la communauté autochtone. 

Elle se souvient d’un incident survenu il y a plus de dix ans, lorsqu’une femme mohawk de Kahnawake, au sud de Montréal, s’est rendue à l’hôpital pour y suivre un traitement de la toxicomanie. Elle voulait s’adonner à son art traditionnel du perlage, qui l’aidait à s’ancrer et à contrôler son anxiété. Comme le service de médecine en toxicomanie partageait son espace avec celui de la psychiatrie de la dépendance, des protocoles de sécurité stricts étaient en place et interdisaient aux patientes et patients d’avoir des objets pointus. Les outils de perlage de cette femme lui ont été retirés jusqu’à ce qu’elle quitte l’hôpital.

« Cela a provoqué une grande détresse parmi les membres de la communauté et a vraiment mis en évidence le fait que nous devions agir différemment, a relaté Dre Marsan. Nous devions changer la façon dont nous offrions nos services, et il y avait un réel manque de compréhension à ce sujet. »  

L’un des résultats de cette réflexion a été le partenariat avec PAQ. Depuis son lancement en 2021, madame Delisle et ses collègues, dont les bureaux sont situés à cinq minutes de l’hôpital, interagissent quotidiennement avec le personnel de l’hôpital et les patientes et patients autochtones.

Cette interaction peut être aussi simple que de s’assurer qu’une personne qui attend aux urgences ne manque pas son tour parce que la personne qui appelle son nom ne le prononce pas correctement. Elle peut aussi être plus complexe, comme s’assurer qu’une patiente ou un patient comprend des termes médicaux compliqués ou se rend à ses rendez-vous de suivi importants.

Madame Delisle et son équipe sont devenues des figures connues au service des urgences et ailleurs dans l’hôpital. 

« Lorsque j’ai pris mes fonctions, je n’étais pas considérée comme l’égale du personnel du CHUM, raconte-t-elle. Mais au fil du temps, les choses ont changé. Aujourd’hui, les médecins me connaissent et le personnel des urgences sait qui je suis. Les membres du personnel en travail social m’appellent pour que je vienne les aider lorsqu’ils font affaire avec un membre de la communauté. Tout cela représente un grand changement. Ce n’est pas encore parfait, mais nous y travaillons. » 

Comprendre les valeurs et la culture

Une grande partie du changement consiste à former le personnel et la direction de l’hôpital à mieux comprendre les valeurs, les cultures et les besoins particuliers de leurs patientes et patients autochtones, et à les intégrer dans leurs plans de soins. Dre Marsan indique que cela n’a pas été facile au début.

« J’étais un peu naïve au départ. Je pensais qu’il suffisait d’offrir ce programme en partenariat avec PAQ et que tout irait bien. Mais le chemin a été semé d’embûches. Les équipes médicales, qui avaient l’habitude de faire les choses d’une certaine manière, se sont montrées réticentes. 

Mais cela fait partie du processus et je pense qu’il y a aujourd’hui une meilleure compréhension et une plus grande volonté de travailler ensemble. Les gens réalisent que nous devons faire bouger les choses. »  

Selon Dre Marsan, les professionnelles et professionnels de la santé reconnaissent que les populations autochtones ont peur et se méfient des institutions comme les hôpitaux, souvent à juste titre. Il y a quelques semaines, l’Association médicale canadienne a présenté ses excuses pour son rôle et celui de la profession médicale dans les torts passés et présents causés aux personnes autochtones.

Elle ajoute que les professionnelles et professionnels de la santé ont souvent l’impression de ne pas avoir tout en main pour faire face à ces situations de la meilleure façon possible.

« Ce que j’ai aussi beaucoup entendu de la part des équipes hospitalières, c’est qu’elles ont peur de ne pas dire ou faire la bonne chose, ou de dire quelque chose qui pourrait aggraver la situation, mentionne-t-elle. 

Nous essayons donc de changer les choses et d’offrir les connaissances nécessaires pour prodiguer les soins de manière culturellement adaptés. » 

La formation prend la forme de conférences et d’ateliers, ainsi que d’un soutien et des conseils individuels. Des visites des centres d’hébergement de PAQ ont également été organisées pour permettre au personnel du CHUM de mieux comprendre les défis auxquels ces patientes et patients sont confrontés. 

L’objectif de la Dre Marsan est de faire en sorte que les services de soins de santé holistiques et culturellement adaptés deviennent une partie intégrante de la culture du CHUM et de tous les hôpitaux de la province.

« Il ne faut pas considérer cela comme un projet spécial. Les choses doivent simplement être comme ça. Ce serait un rêve devenu réalité. »