Pour de nombreux jeunes diplômés, la période la plus difficile de l’université est d’essayer de prévoir ce qui se passera ensuite. Il est temps de trouver un emploi, oui, mais encore? Quelle voie prendre exactement? Faut-il postuler à des postes dans son domaine? Quel est le plan?
On peut imaginer comment jadis les jeunes diplômés se lançaient avec confiance dans leur recherche d’emploi : il leur suffisait de montrer leur diplôme et de refuser poliment les offres d’emploi proposées. Nous ne saurons jamais avec certitude si les choses se passaient réellement ainsi, mais pour obtenir un portrait actuel de la situation, nous avons demandé à des diplômés universitaires ayant intégré le marché du travail dès la fin de leurs études ce qu’ils ont appris de leurs premières expériences.
Cameron, 27 ans, Vancouver
La recherche de mon premier « vrai » emploi après l’école de commerce a été difficile. J’ai répondu à plusieurs offres d’emploi, en vain. Ce qui a fini par fonctionner le mieux pour moi, c’est d’essayer de rencontrer des gens pour discuter ouvertement de mes objectifs de carrière, et des leurs. Soit nous nous apercevions que la discussion ne menait pas à grand-chose et je changeais de sujet, soit, au contraire, la discussion était enrichissante et elle pouvait déboucher sur une recommandation. Finalement, ma voisine m’a mis en contact avec une amie qui était gestionnaire de projet et notre discussion a vraiment porté fruit. Elle m’a fait entrer dans l’entreprise pour laquelle elle travaillait (une petite entreprise d’experts-conseils en technologie), et j’ai été embauché en tant qu’analyste technique d’entreprise.
Ma première impression de l’entreprise est liée à son processus d’embauche. D’abord, on m’ainvité à prendre un café pour mieux me connaître, puis on m’a de nouveau invité à prendre un café pour rencontrer le personnel des RH. Par la suite, il y a eu la rencontre de présentation à l’équipe et au superviseur, l’entrevue sur différentes mises en situation qui m’ont amené à me creuser les méninges, puis « l’entrevue classique » avec différents groupes de deux ou trois employés. Enfin, on m’a invité à une dernière entrevue avec le président de la firme et on m’a remis une lettre d’offre. Tout cela pour un poste de débutant qui consistait essentiellement à offrir du soutien technique pour une plateforme Web. En d’autres termes, je devais aider des employés à utiliser un site Web.
L’adaptation au travail a été difficile par moments. J’avais tendance à prendre les choses très à cœur. Si je recevais un courriel laconique, je supposais que c’était parce qu’on m’en voulait. J’analysais ce qu’on m’écrivait et je portais même attention à la ponctuation utilisée, comme si les messages que je recevais venaient d’une petite amie à distance qui m’envoyait des textos. Il m’a fallu un an pour apprendre que l’on pouvait simplement demander de l’aide, et que l’on ne perd pas son emploi si on explique la raison pour laquelle on cumule du retard dans notre travail.
Bref, il m’aurait été utile de savoir plus tôt que ce qui nous arrive pour la première fois concerne en fait tant d’autres personnes, et qu’il vaut mieux s’abstenir de demander l’avis de nos collègues quant à la signification supposée de tous les courriels que nous recevons.
Ma formation m’a aidé de plusieurs façons à préparer mon entrée sur le marché du travail. D’abord, j’ai appris que le plus important est simplement de savoir comment se présenter en tant que professionnel. C’est un grand défi que j’ai dû surmonter, car à 21 ans, j’avais du mal à prendre ma place. Aussi, j’ai compris qu’il fallait se méfier du genre d’entreprise qui affirme être une « famille ». Peut-être que les gens s’en sont rendu compte au fil du temps, mais l’expression en question est une façon de dire que l’employeur a des attentes élevées et offre un salaire peu alléchant, mais que pour compenser, il a de petites attentions à l’égard de ses employés et leur fait cadeau d’une veste à l’effigie de l’entreprise.
Hannah, 26 ans, Montréal
Je suis allée au Collège LaSalle pour suivre une formation en design de mode. À la fin de mes études, j’étais sûre de vouloir devenir aide-designer. Je savais aussi que je ne voulais pas créer ma propre marque – pour une introvertie comme moi, ce projet ne me convenait tout simplement pas puisqu’il aurait fallu que je sois constamment à l’avant-scène. J’ai donc fait la connaissance d’un designer local, puis j’ai posé ma candidature à un poste qu’il offrait. Ce dernier m’a embauchée et j’ai commencé à travailler à ses côtés tout en gardant un emploi dans le commerce de détail pour joindre les deux bouts. Mais après quelques mois, j’ai senti que je me désintéressais de l’industrie de la mode et j’ai commencé à me rendre compte que ce n’était pas dans ce domaine que je voulais faire carrière. Je dois avouer que cette prise de conscience était assez insécurisante.
Par la suite, je me suis mise à faire du tissage en janvier 2016, peu après avoir abandonné l’idée d’être dans l’industrie de la mode. J’avais appris pas mal de choses sur les textiles à l’école, mais je n’avais jamais vraiment pensé mettre à profit ces connaissances. Le tissage était un choix sensé à mes yeux puisque je ressentais vraiment une paix intérieure lorsque je créais quelque chose. J’ai ouvert ma boutique Etsy le printemps suivant.
Pour subvenir à mes besoins tout en gérant mon entreprise, Framed Fibres, j’ai trouvé un autre emploi à temps partiel dans une épicerie située tout près de chez moi. Je n’en pensais rien au départ : je me disais que c’était juste un travail de caissière qui me permettrait de payer mes factures. Cela peut paraître étrange, mais cet emploi a changé ma vie. Grâce à lui, j’ai développé un sentiment d’appartenance envers mon quartier; j’ai des clients réguliers qui me connaissent par mon nom, et j’entretiens des relations avec des collègues de tous âges et de toutes origines.
Aussi, je me suis rendu compte que j’aimais bien interagir avec une clientèle particulière : les personnes âgées. J’ai l’impression que la population âgée est souvent mise de côté et sous-estimée. Bien sûr, nous aimons tous nos grands-parents, et nous aimons les voir une fois par semaine, ou peut-être deux fois par mois. Mais est-ce qu’on pense vraiment aux interactions sociales qu’ils ont et est-ce qu’on se demande si ces interactions sont positives? À quel point se sentent-ils épanouis? Au fil du temps, j’ai voulu entretenir des liens plus étroits avec les clients âgés. Je planifie retourner aux études cet automne pour obtenir un certificat de préposé aux bénéficiaires et j’envisage une carrière épanouissante dans ce domaine.
Qui aurait cru que le fait d’occuper un deuxième emploi à l’épicerie m’amènerait à repenser complètement ce que je voulais faire dans la vie? Lorsque les gens vous disent qu’« il y a de fortes chances que vous changiez 11 fois de carrière », ils n’ont pas tort. Chaque emploi que vous occuperez vous apprendra quelque chose. Il faut aborder avec ouverture les leçons que la vie vous réserve et ce à quoi vous ne pouvez pas nécessairement vous attendre.
Martina, 29 ans, Vancouver
J’avais 18 ans quand j’ai quitté Vancouver pour m’établir à New York en vue d’étudier dans une école de théâtre. C’était la première fois que je recevais des critiques en temps réel sur mon jeu d’actrice, et je me comparais constamment à chacun de mes pairs, de la manière la plus malsaine qui soit… j’étais vraiment très dure envers moi-même. Honnêtement, c’est une chose sur laquelle je travaille encore aujourd’hui.
Je dirais que pendant la première année suivant la fin de mes études, j’ai compris que mon ego était trop fragile et que je n’avais pas la force nécessaire pour mener la vie d’une actrice qui doit fréquemment passer des auditions. Non pas que j’abandonnais le métier d’actrice, mais je voulais être productive et avoir davantage de contrôle sur ma vie.
Une personne que j’ai pu rencontrer – grâce à mon travail de longue date comme gardienne d’enfants – m’a fait connaître une maison de production de films docufictions, où j’ai fait mes débuts comme stagiaire et où j’ai finalement été embauchée. Dans l’ensemble, je détestais mon emploi : être assise à un bureau pendant huit heures, le contenu sur lequel je travaillais et les règles du bureau. J’ai tout de même conservé cet emploi pendant environ deux ans, parce que je voulais désespérément vivre à New York, et que je me sentais prise en raison de mon visa de travail. J’étais vraiment découragée et je ne savais pas ce que je voulais faire du reste de ma vie.
Ma situation a empiré, puis j’ai pris conscience qu’il me fallait envisager sérieusement un changement. Cette prise de conscience a eu lieu lorsque j’ai commencé à m’ouvrir à ma famille et à mes amis sur le sentiment de désarroi qui m’habitait. Ma mère, en particulier, a vraiment su trouver les bons mots. Elle m’a demandé qui je pensais décevoir. Mes amis? Ma famille? Elle m’a assuré que personne n’allait me juger si je changeais de voie; tout le monde voulait que je réussisse et que je sois heureuse, et personne n’avait d’attentes quant à la manière dont j’allais y parvenir. Il n’y a pas de honte à admettre qu’on s’est trompé de voie. Même s’il m’a fallu un certain temps, j’ai fini par accepter le fait que je pouvais avoir une vie épanouie et axée sur la créativité en dehors de New York. Je suis donc retournée vivre à Vancouver.
Malgré les bons et les mauvais côtés de mon expérience à l’école de théâtre, j’en suis reconnaissante, car je pense en être sortie avec un regard plus éveillé, plus vif et bienveillant sur le monde qui m’entoure. Grâce à ce regard bien aiguisé, j’ai développé d’autres intérêts qui m’ont finalement amenée à faire carrière dans le domaine du cinéma et de la télévision, et plus spécifiquement en ce qui a trait à l’écriture, à la production et à la réalisation.
J’ai appris entre autres qu’il faut laisser son esprit critique éclairer ses décisions futures de manière à être indulgent envers soi et non le contraire. Maintenant, lorsque je fais une erreur ou que j’essuie un échec, j’essaie d’ignorer la voix intérieure qui a tendance à sauter aux conclusions et je me concentre sur ce qui m’a menée à faire cette « erreur ». Enfin, m’adresser des compliments pour souligner mes forces est probablement le meilleur cadeau que j’ai commencé à m’offrir ces dernières années.